Guinée: Les dures réalités d'un pays à la dérive
Du 21/12/10 au 21/12/11 ça fait exactement un an, soit 20% du quinquennat en cours, depuis que le président Alpha Condé a reçu les clés de la République de Guinée des mains du président de la Cour Suprême: une grande nouveauté par rapport à ses 3 prédécesseurs qui les avaient prises d’assaut grâce aux kalachnikov confiés à eux pour la défense du pays.
Alpha Condé par republicoftogo.com sur flickr.com
Autre particularité: le nouveau locataire du Palais de la République est un universitaire qui a vécu sans discontinuer au pays des blancs depuis son adolescence, mais visiblement sans altérer ses paramètres intrinsèques, tant son ancrage dans le tribalisme primaire s’est avéré profond, depuis son « TSP » (tout sauf un peul) du 2e tour de la Présidentielle jusqu’au nettoyage ethnique systématique qu’il mène dans la fonction publique guinéenne où il ne restera bientôt que les plantons à remplacer. Il est vrai que le bois mort a beau rester dans l’eau, il ne deviendra jamais caïman. C’est une curieuse façon d’entamer la construction de l’Etat dont il déplore l’absence (« j’ai hérité d’un pays, pas d’un Etat »).
Pour ma part, malgré l’accouchement difficile de la nouvelle république, je me suis proposé de saisir l’occasion pour réaliser mon rêve de réintégrer mon village natal pour y finir mes vieux jours. Il y a en effet longtemps, très longtemps même, j’avais dû me résigner à l’exil, à mon corps défendant, pour 6 à 7 ans, le temps d’une formation professionnelle supérieure avant de revenir au pays. Plusieurs décennies après, ce retour est toujours dans mes projets après les études et une carrière de 45 ans d’enseignement en Afrique et en Europe.
Pour l’an 2011, j’ai donc décidé d’intensifier les préparatifs du retour. Pour cela j’ai effectué un premier séjour de 3 mois, puis un deuxième de 7 semaines. Avec pour premier résultat collatéral la perte sur place d’une part substantielle de mes précieux kilos malgré un budget conséquent.
Durant les 2 séjours, entre les salamaleks dans la famille élargie et dispersée, j’ai tenté de faire avancer 2 dossiers principaux: l’un pour la constuction d’un pied-à-terre à Conakry, l’autre pour le compte d’un groupe d’ONG engagées dans des projets de développement à la base.
Avec le chantier de construction j’ai eu l’occasion de vivre, en taxi ou en voiture personnelle, les embarras de la circulation et la galère inénarrable des conakrykas pour leurs déplacements, leurs ravitaillements dans les marchés, et les règlements des divers problèmes de la vie courante: l’ampleur de l’indiscipline et l’agressivité de beaucoup d’usagers des rues, la roublardise des artisans (tailleurs, maçons, plombiers, électriciens,…), le racket des commerçants, dépassent l’entendement.
Photo de Julien Harneis via flickr.com
Quant aux démarches pour les projets associatifs, elles m’ont donné l’occasion entre autre de constater qu’à l’hôpital, si tu demandes un certificat de visite et contre-visite médical, on te donne le document mais sans te faire examiner; au tribunal même scénario pour un extrait du casier judiciaire: on te donne l’extrait dès que tu payes sans consultations du fichier des délinquants, qui n’existe peut-être pas d’ailleurs.
A la lumière de ces expériences, mon conseil insistant aux migrants guinéens est, avant toute opération au pays, de séjourner d’abord sur place car, comme disent les chinois, pour conaître les vraies réalités guinéennes, il vaut mieux les vivre 1 fois qu’entendre 100 fois.
En dehors des informations ainsi recueillies sur le terrain, j’ai évidemment noté comme tout le monde certaines mesures ahurissantes qui ont marqué le démarrage de la 3e république de Guinée:
– D’abord, une soixantaine de ministres au gouvernement et à la présidence dans un pays classé PMA ( pays les moins avançés) et PPTE (pays pauvres très endetté).
– Ensuite, la remise en selle d’anciens barons de triste réputation dans le système Conté; et surtout celle de Louncény Camara à la tête de la CENI, poste dont il avait été dégagé au profit de l’étranger Sangaré à la grande honte des guinéens soucieux de la dignité du pays.
– L’élaboration d’un nouveau code minier qui continue de confiner la Guinée à l’unique rôle d’exportateur de minerais: y’aura-t-il un jour des décideurs guinéens qui imposent aux multinationales leur transformation préalable obligatoire avant toute exportation, en attendant l’industrialisation (sidérurgie, industrie métallurgique,…)?
– L’évocation du rétablissement des liaisons aériennes intérieures en collaboration avec la Guinée-Bissau qui est, à leurs yeux, le partenaire potentiel le plus expérimenté en transport aérien! Songez, à ce sujet, que j’ai mis 11 heures de route de Conakry à Labé contre 45 minutes d’avion!
– Enfin, la reprise d’entreprises privatisées au profit de l’Etat dont AC a pourtant souligné l’inexistance; de même que l’affaire GETMA/BOLLORE qui est une dissuasion retentissante pour les investisseurs potentiels.
Tout le monde sait évidemment que les dégâts guinéens qui se sont accumulés pendant des décennies ne se résoudront pas en quelques mois ni même en quelques années; mais compte tenu de tant de rendez-vous manqués, une question automatique est suspendue sur tout acte posé par le pouvoir Condéen: va-t-il dans la bonne direction, celle de l’espoir d’une vie meilleure à terme pour tout le monde? Pour le moment la réponse n’est pas affirmative à mon avis.
En effet, le leitmotiv du changement s’est limité jusqu’ ici aux personnes et équipes, pas les orientations et les décisions prises . La politique suivie cherche visiblement à instaurer un Etat totalitaire comme les précédents, par le contrôle intégral de l’Exécutif, du Judiciaire déjà effectif, et bientôt du Législatif. On assiste à une continuité évidente voire un renforcement de la tare congénitale du pays: en effet pour les cinq régimes qui ont suivi le départ des colons, la république n’est pas un ensemble de citoyennes et citoyens rassemblés dans la même barque au milieu des flots, donc ayant tous intérêt à ramer dans la même direction pour s’en sortir. C’est plutôt une fédération de tribus en compétition, de manière que celle qui accède à la tête instaure une gestion de l’Etat à son seul profit et à l’exclusion des autres.
C’est pour cette raison essentielle que, malgré des potentialités exceptionnelles (sous-sol, sol, hydrographie, climat,…) la population est maintenue dans une misère sans nom, très démocratiquement partagée par l’ensemble des tribus sans exception, y compris celles dont des membres contrôlent le Pouvoir. Il n’y a en effet pas d’écoles,hôpitaux, routes, … bonnes pour les uns et mauvaises pour les autres, tout le monde subit les dures réalités du pays.
Et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, il en sera ainsi évidemment tant que les guinéens continueront de se laisser berner par des gens qui n’invoquent leur ethnie que pour la défense de leurs intérêts égoïstes au détriment de l’intérêt général, à commencer par celui de leurs parents.
Au lieu d’organiser des élections crédibles pour permettre à la population de choisir elle-même ses représentants, ce sont des coordinations de régions, comités de sages auto-proclamés et cooptés qui parlent au nom du peuple de choses floues comme la réconciliation et autres thèmes de diversion: à l’évidence la tactique du régime consiste à agresser les uns puis à revenir leur proposer de se réconcilier en faisant fi des torts qui leur ont été infligés.
Parallèment le scénario du 2e tour de la présidencielle se met en place par le vérouillage du MATD, de la CENI et des FDS, qui permettra au régime de rééditer l’exploit de 2010 ayant permis de passer de 18% à 53% grâce à la « technologie électorale ». Quand AC et ses amis considèreront les conditions mûres alors et alors seulement ils fixeront la date des élections législatives.
Quant à l’autre partie de la classe politique c-a-d l’Opposition, sa stratégie est moins évidente que celle de la Mouvance présidentielle; la question est de savoir si l’UFDG et ses alliés peuvent éviter ce que l’UPR et ses alliés ont subi sous la 2e république: la défaite électotale pendant tous les scrutins de 1993 à 2008. En effet, face au RPG et ses alliés la configuration des vrais partis d’opposition se présente encore comme celle de la 2e république, le Forum des Forces Vives en moins.
En réalité, il est grand temps que les militants du progrès pour tous en Guinée comprennent enfin que si ailleurs, c’est le libéralisme capitaliste qui détermine le clivage dans la classe politique, en Guinée le combat est celui des tribalistes contre tous les autres guinéens.
L’Etat étant présentement entièrement contrôlé par les premiers pour le plus grand malheur de l’écrasante majorité de la population, il appartient alors aux autres, tous les autres, de se donner la main dans un grand Mouvement National Anti-tribaliste au service du pays dans son ensemble et non de telle région ou telle ethnie. L’enfermement actuel de beaucoup d’acteurs dans un régionalisme incompréhensible face à la galère globalisée à laquelle seule une petite poignée d’individus échappe, restera fatal à la Guinée tant qu’il persistera.
En conclusion, mes dossiers de 2011 restent des affaires à suivre; la route du village demeure semée d’embûches; les migrants guinéens vont continuer à balancer entre la vie très difficile au pays et les couleuvres tout aussi difficiles à avaler dans les pays d’accueil; car en ces temps de crise socio-économique aiguë pour tout le monde, quand on n’est pas autochtone dans son pays de résidence , on a assurément des problèmes.
Mais Dieu est grand, tant qu’il y a la vie il y a l’espoir, wassalam.
Amadou Sadio Bah