Le journaliste et militant angolais Rafael Marques à nouveau devant la justice pour avoir enquêté sur la corruption
[Sauf indication contraire, tous les les liens renvoient à des sources en portugais]
Le journaliste angolais Rafael Marques est de nouveau traduit en justice pour son travail d’enquête.
Cette fois, Marques est accusé d’avoir “insulté les autorités publiques” après avoir publié un article en octobre 2016 sur le site d’informations indépendant Maka Angola (dont il est le fondateur et rédacteur en chef), article qui a soulevé des questions sur l’éventuelle corruption du désormais ex-procureur général João Maria de Souza.
Mariano Lourenço, rédacteur en chef du journal O Crime, qui a publié l’article imprimé, fait face aux mêmes accusations. Marques est également accusé d’avoir “offensé un organe de souveraineté” pour avoir prétendument dénoncé l’ex-président José Eduardo dos Santos dans la même publication.
L’article révèle l’acquisition par l’ex-procureur général de trois hectares de terrain (environ quatre terrains de football) en 2011, pour 600 000 kwanzas (2 500 dollars US), afin de construire un complexe résidentiel. C’est une propriété de front de mer dans la ville de Porto Amboim, à environ 220 km au sud de la capitale Luanda, selon des documents obtenus par Maka Angola.
Depuis son indépendance [fr] du Portugal en 1975, l’Angola a été dirigé par le Mouvement populaire de Libération d’Angola [fr] (MPLA), parti de l’actuel président João Lourenço, élu en août 2017. Lourenço a remplacé José Eduardo dos Santos,qui a occupé la présidence plus de 35 ans en dirigeant un gouvernement qui a été accusé de violations des droits de l’homme [en] et de restrictions à la liberté d’expression, les journalistes ainsi que les critiques étant fréquemment harcelés.
Les avocats de Souza disent que les journalistes angolais ont publié l’article un an après que l’ex-procureur général João Maria de Souza a perdu la concession du terrain pour avoir omis d’en payer les frais d’acquisition. Néanmoins, la défense de Rafael Marques soutient qu’il y a eu des irrégularités dans l’acquisition du terrain.
Son avocat Horácio Junjuvili a déclaré à la radio allemande Deutsche Welle, en mars:
Les accusations ont été portées contre Marques pour la première fois en décembre 2017. Le procès a finalement commencé le 19 mars. La dernière audience, prévue pour le 16 avril, a été annulée en raison de l’absence de João Maria de Souza, qui a fait valoir qu’en tant que juge à la retraite, il pouvait invoquer l’immunité et refuser d’être déféré devant la Cour provinciale d’Angola.
Le juge qui préside l’affaire a déterminé que João Maria de Souza sera obligé de comparaître le 24 avril dans l’une des salles du ministère public, à huis clos.
Une cible de longue date des autorités
Ce n’est pas la première fois que Marques fait face à des poursuites pour son travail journalistique en Angola. En 1999, il a passé 42 jours en prison, sans aucune charge formelle contre lui, après avoir publié un article dans lequel il a qualifié le président de l’époque, José Eduardo dos Santos, de “dictateur corrompu”.
En 2016, il a été condamné à six mois de prison et à une amende pour avoir publié le livre Diamantes de Sangue. Corrupção e Tortura em Angola (Diamants de Sang: Torture et corruption en Angola), publié au Portugal en 2011, dans lequel il dénonce les violations des droits de l’homme dans les mines de diamants du pays. Marques a été accusé de diffamation contre des sociétés minières et des généraux de l’armée angolaise impliqués dans le commerce des diamants.
En mai 2016, sous la pression des organisations internationales et de la société civile angolaise, toutes les accusations portées contre Marques concernant le livre ont été retirées par les autorités angolaises.
Selon l’avocat de la défense de Marques, David Mendes, ce procès a connu une série d’irrégularités, parmi lesquelles le fait que la cour a refusé d’entendre les témoignages d’experts et d’autres témoins, à l’exception de Marques lui-même. Il avait dit à DW à l’époque :
L’éditeur portugais de Tinta da China a mis en ligne un téléchargement gratuit en PDF du livre Diamantes de Sangue.
Harcèlement des militants des droits de l’homme
S’agissant de ceux qui cherchent à mettre au jour les violations des droits humains, Rafael Marques n’est pas le seul à faire face à la répression du pouvoir en Angola.
Dans une affaire, connue sous le nom de15 + 2, un groupe d’activistes a été arrêté en juin 2015 lors d’une séance d’étude sur la politique angolaise, centrée sur le livre From Dictatorship to Democracy (De la dictature à la démocratie) de l’écrivain américain Gene Sharp.
En mars 2016, les tribunaux leur ont infligé des peines de prison allant de six mois à deux ans et trois mois, en les accusant de préparer une rébellion et une conspiration. En mai 2016, les peines ont été réduites à la détention à domicile.
Un autre militant visé par les autorités est José Marcos Mavungo, fondateur de l’organisation des droits de l’homme ‘Association civique Mpalabanda de Cabinda (Mpalabanda Associação Civica de Cabinda). Mavungo a été arrêté[en] en mars 2015, accusé de rébellion, et plus tard condamné à six ans de prison. En mai 2016, il a été libéré pour “manque de preuves”.
Cabinda, actuellement une enclave angolaise au nord du fleuve Congo, était un protectorat portugais de 1885 à 1956, lorsque l’administration coloniale décida de gouverner la région depuis l’Angola, mais sans l’accord des dirigeants locaux. Depuis les années 1960, la région fait face à une insurrection séparatiste armée [fr] qui s’est intensifiée après l’indépendance de l’Angola, qui a hérité des Portugais la souveraineté sur la région.
Le conflit a causé beaucoup de souffrances au peuple de Cabinda. Au fil des ans, diverses organisations internationales ont critiqué les opérations militaires angolaises à Cabinda pour violation des droits de l’homme et restrictions à la liberté d’expression.
En décembre 2017, 28 activistes appartenant à l’organisation pour le développement de la culture des droits de l’homme (ADCDH) de Cabinda ont été arrêtés alors qu’ils se préparaient à participer à une manifestation pacifique. Ils ont été libérés le même jour.