Le swahili déboulonne l'anglais comme langue d'enseignement en Tanzanie
Contrairement à l’Afrique occidentale, en Afrique de l’est et centrale, il existe une langue vernaculaire n’appartenant à aucune ethnie. Il s’agit du swahili, une synthèse de plusieurs langues bantoues, de l’arabe et du persan. Il y a des traces de son existence depuis le deuxième siècle de notre ère.
Le swahili est parlé, notamment, en Tanzanie, au Burundi, en R. D. Congo, au Kenya, aux Comores, à Mayotte, au Mozambique, à Oman, au Rwanda, en Somalie, en Afrique du Sud, en Ouganda, aux Émirats arabes unis et aux États-Unis, etc. Ce sont environ 5 millions de personnes qui l’ont comme langue maternelle, en plus de 135 millions d’autres locuteurs habituels, qui l’utilisent comme deuxième langue. Le swahili est la langue officielle de la Tanzanie, de l’Ouganda et du Kenya.
De nombreux médias, dans la plupart de ces pays utilisent quotidiennement le swahili, qui est enseigné dans différentes écoles et universités à travers le monde. La Tanzanie s’apprête à l’adopter comme langue d’enseignement dans ses écoles primaires publiques.
Ndesanjo Macha, un ami, un blogger, journaliste, juriste, militant pour l’activisme digital, coordinateur des activités en anglais pour l’Afrique du réseau globalvoicesonline.org, illustre les réactions de certains internautes sur cette initiative. L’article a été traduit en français par Sarah, qui se qualifie comme traductrice indépendante EN/ES vers FR à plein temps,photographe amateur selon l’inspiration, voyageuse éternelle et bien d’autres choses encore.
La Tanzanie s’apprête à prendre un tournant historique en remplaçant l’anglais par le swahili comme langue d’apprentissage dans les écoles du pays.
Lancé le 13 février 2015 par le président Jakaya Kikwete dans le cadre du National Vision 2025 [le plan national de développement], le nouveau système éducatif va être étendu à l’enseignement primaire (de 7 à 11 ans). Il met notamment fin aux examens nationaux et réintroduit la gratuité de l’éducation dans l’école primaire.
Pour la première fois, un pays d’Afrique semble privilégier l’enseignement dans une langue africaine aux dépens d’une langue étrangère pour les élèves de tous les niveaux.
Commentant ce tournant linguistique, Atetaulwa Ngatara, le secrétaire permanent du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, a précisé que l’anglais sera toujours enseigné. Cependant, il n’est plus considéré comme nécessaire que les étudiants apprenant cette langue aient toutes leurs matières dispensées en anglais.
Tous les liens vers des citations extraites de Facebook sont interrompues. Pour le lecteur qui voudrait les consulter, le mieux c’est de se reporter sur le site globalvoicesonline.org en français et de cliquer chaque fois sur « Citation d’origine ».
Un article consacré à ce changement politique et publié sur Facebook par Oliver Stegen, locuteur de swahili d’origine allemande et conseiller linguistique à SIL International, a suscité des réponses mitigées
Nancy Petruzzi Maurer s’en amuse :
Traduction de la citation d’origine
Good mauning teacha !” Sans rien ajouter de plus.
Paul A Kijuu laisse un commentaire en swahili où il explique que l’anglais a transformé la classe instruite en robot :
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Pour ma part, Oliver Stegen, je pense que c’est une bonne décision. Le problème est que nous ne faisons que nous plaindre. L’éducation doit être dispensée dans une langue comprise par l’utilisateur. A part nous transformer en robot, l’anglais ne nous est pas d’une grande utilité. Nos élites instruites ne peuvent pas penser de manière indépendante parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils ont étudié.
Vera Wilhelmsen rappelle que si tout le monde n’a pas nécessairement besoin d’entrer à l’université ; tout le monde a, en revanche, le droit de recevoir une éducation de qualité :
Traduction de la citation d’origine
Je pense qu’il est important de considérer quel enseignement fondamental sera bénéfique au plus grand nombre. Il est certain qu’aujourd’hui peu de personnes passent par les bancs de l’école secondaire, et encore moins qui en sortent diplômés. Si les étudiants comme les enseignants ne sont pas préparés à passer du swahili à l’anglais, cela risque de poser un sérieux problème. Les effets de cette réforme doivent être examinés de près, mais dans tous les cas, c’est un bon pas en avant. Tout le monde n’a pas besoin d’aller à l’université, mais tous méritent une bonne éducation de base !
Le nouveau système éducatif est pourtant loin de remporter l’adhésion de tous. Steve Nicolle souligne un des effets pernicieux que cette nouvelle politique pourrait engendrer :
Traduction de la citation d’origine
Je soupçonne qu’un des effets de cette législation se traduise par la hausse des inscriptions dans les écoles privées qui, elles, continueront de dispenser leurs enseignements en anglais. Gardez un œil sur les politiciens qui, à l’avenir, permettront l’ouverture de nouvelles écoles anglophones !
Elly Gudo partage le même avis que Steve Nicole, estimant que les politiciens seront les principaux bénéficiaires de cette politique :
Traduction de la citation d’origine
Je suis entièrement d’accord avec Steve Nicolle. Ayant vécu en Tanzanie, je peux vous affirmer avec certitude que les politiciens seront les principaux bénéficiaires de cette nouvelle politique. La majorité des classes moyennes et aisées, qui a le sentiment d’appartenir au village mondial, fera tout pour que ses enfants puissent poursuivre leurs études dans des écoles anglophones. L’enfant de l’homme de la rue sera alors considérablement désavantagé pour intégrer l’université, et par extension pour décrocher un emploi. Dans 20 ans, ces classes sociales diviseront le pays. A bien des égards, la Tanzanie a besoin d’une révolution à la française.
Opposé à cette politique, Muddyb Mwanaharakati délivre le message suivant en swahili :
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Ne me fais pas rire, Oliver Stegen ! Ils ont politisé le problème. Leurs enfants vont dans des écoles internationales [où la langue d’enseignement est l’anglais]. Nous, les pauvres, allons continuer à aller dans nos écoles peu performantes et mal équipées et nous continueront d’ânonner dans notre anglais des “ya-ya-yes-no-yes-no”, alors que leurs enfants parleront couramment l’anglais. Oliver, nous sommes encore bien loin d’un changement, même les affiches et les informations gouvernementales sont encore rédigées en anglais dans de nombreux endroits.
Josephat Rugemalira remarque que la nouvelle politique n’est pas aussi radicale que les gens veulent bien le croire :
Traduction de la citation d’origine
Vous devez lire attentivement ce que contient cette politique. Il est écrit que le swahili sera enseigné à tous les niveaux scolaires et il est AUSSI écrit que l’anglais sera utilisé à tous les niveaux (ce qui signifie y compris au niveau primaire). Pour moi, ce qu’il faut retenir de nouveau dans cette réforme, c’est la possibilité pour certaines personnes d’instaurer des écoles secondaires en swahili, mais aussi pour les autorités gouvernementales locales, le droit de convertir officiellement les écoles primaires existantes en école anglophone.
Réagissant au même article repris sur Trending Kenya, Margaret Njeru explique que le nouveau système ne supprime pas les langues étrangères ou secondes. Au contraire, il les remet à la place qui leur revient dans le processus d’apprentissage :
Traduction de la citation d’origine
Ce nouveau système est vraiment audacieux et va dans la bonne direction. L’éducation participe au développement, et celui-ci dépend de la langue que le peuple comprend. Dans le monde entier, aucune économie développée ne s’appuie sur une langue étrangère, et l’utilisation des anciennes langues coloniales dans de nombreux pays d’Afrique a définitivement contribué à marginaliser une grande part de la population du processus de développement. Si nous voulons définir “notre” voie de développement, alors le choix de la langue doit aller de pair avec elle. Et cela ne signifie en aucun cas qu’il faille bannir les langues étrangères (ou langues secondes), mais plutôt de les remettre à la place qui est la leur dans le processus d’apprentissage.
Kwame Aboagye estime qu’il est temps pour les Africains de s’exprimer dans leur langue :
Traduction de la citation d’origine
Il serait grand temps que nous, pays africains, parlions nos dialectes comme le twi, le yoruba, le swahili et le mandingue. L’anglais n’a jamais été notre langue maternelle. Nous devons nous réveiller et revenir avec fierté à notre identité linguistique.
Ce tournant est monumental, mais il s’accompagne de défis considérables, remarque Christina Higgins :
Traduction de la citation d’origine
C’est plutôt une bonne nouvelle. Reste à savoir maintenant comment la transition vers le swahili va être assurée en ce qui concerne les matériels pédagogiques, les examens… Malgré les défis à surmonter, c’est vraiment un tournant monumental.