Sékou Touré était-il le petit-fils de l’Almamy Samory Touré? Voici la réponse de l’éminent historien Ibrahima Baba Kaké
En 1987, soit 3 ans après la mort du tyran Sékou Touré, l’historien et professeur guinéen, Ibrahima Baba Kaké écrivait le livre Sékou Touré : Le Héros et le Tyran. Il y a des divergences sur les liens réels unissant Sékou Touré à l’empereur mandingue Samory Touré. Mais la thèse du Professeur Ibrahima Baba Kaké semble la plus crédible, d’abord à cause du sérieux de cet auteur, ensuite sa connaissance profonde tu tyran.
Qui est Ibrahima Baba Kaké?
Voici comment se souvenait de lui en 2004, une de ses collègues à Radio France internationale, à l’occasion du 10ème anniversaire de sa mort:
Ibrahim sait où il va, et ne laisse pas son vis-à-vis s’égarer dans des voies de traverses si elles ne sont pas nécessaires à la démonstration. L’émission dure quarante-cinq minutes, voire cinquante, puis le professeur quitte RFI en grande hâte, car il cumule, outre sa prestation à l’antenne, son enseignement au lycée Turgot, ses recherches à la Bibliothèque Nationale, la direction de collections dont il a lancé l’idée, et ses voyages en Afrique, sans oublier sa famille et ses amis….
A la mort de Sékou Touré, qui avait en plein Paris, fomenté à son endroit une tentative d’assassinat, déjouée grâce à la vigilance de la police, Ibrahima Baba Kaké fut chargé par les Editions Jeune Afrique, d’écrire la biographie du leader contesté.
Extrait du livre Sékou Touré : Le Héros et le Tyran
Sur la ligne de jonction entre l’Afrique de la savane et l’Afrique de la foret, à 455 kilomètres de Conakry et à 352 kilomètres de Kankan, se trouve Faranah. Une ville de plaine, comme son nom l’indique, puisque Faranah vient du mot malinke fara, signifiant précisément plaine . Elle est située tout près des sources du Niger, là où le grand fleuve — on l’appelle ici la rivière aux chanteurs— n’est encore qu’un modeste cours d’eau qui plonge si profondément entre de gros blocs de pierre que, pour les riverains, les poissons l’avalent.
C’est dans cette modeste cité en pays malinké qu’est né Ahmed Sékou Touré , à une date que l’on ne saurait préciser avec certitude. La plupart de ses biographes donnent 1922 comme date de sa naissance. Rien n’est moins sûr. Il faut savoir en effet qu’à l’époque coloniale seuls les fonctionnaires africains qualifiés d’évolués déclaraient leurs enfants à l’état-civil.
Pour les autres, c’est-à-dire la grande majorité, il n’y avait point de pièce d’état-civil. On leur accordait un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance au moment de leur inscription à l’école ou de leur incorporation dans l’armée coloniale. L’âge que le maître d’école ou le sergent recruteur leur attribuait était évidemment toujours approximatif. Sékou Touré lui-même, cadet d’une famille de huit enfants, affirmait qu’il n’était pas né en 1922. Mais il n’a jamais pu dire quelle était sa véritable date de naissance. Celle-ci se situe selon toute vraisemblance entre 1918 et 1920.
Incertitude sur la date de naissance de l’homme mais aussi controverse sur son ascendance: était-il ou non un descendant du grand conquérant l’Almamy Samori, comme il le proclamait ? D’aucuns, en effet, lui dénient tout lien avec l’imam (?) de Bissandougou. La tradition africaine ayant toujours accordé la plus extrême attention aux véritables origines des individus comme des collectivités, il nous a cependant été possible, en recoupant divers témoignages, de situer avec précision Sékou Touré et les siens et même de dépassionner la question épineuse de ses liens avec Samori.
Son père, Alpha Touré, un Maraka originaire de l’ex-Soudan francais, est allé, en compagnie de deux de ses frères, chercher fortune en Guinée. Siguiri, première étape de leur voyage, les séduit. Ils s’y installent. Alpha, le plus aventureux d’entre eux, ne se fixe définitivement nulle part. Il quitte bientôt ses frères pour Kankan, Kouroussa et Kissidougou. Finalement l’amitié d’une famille, les Camara , le retient à Faranah, mais il garde le contact avec ses frères restés à Siguiri.
Un jour, la famille Camara reçoit un cortège de marchands en provenance d’Albadaria, non loin de Kissidougou. Dans le groupe des arrivants se trouve une jeune fille, Aminata Fadiga, chargée de menus travaux au cours du voyage. Alpha tombe amoureux de la jeune fille. Les Camara se prêtent volontiers au jeu et ne tardent pas à demander la main de la jeune domestique. Le mariage se fait le plus simplement du monde à Albadaria . Devenu sédentaire, Alpha embrasse le métier de boucher. De l’union avec Aminata Fadiga naissent successivement :
- Amadou Sékou Tidiane, qui conserve d’abord le seul prénom de Sékou mais qui plus tard, après avoir visité le monde arabe, reprendra Amadou en le transformant en Ahmed
- Bakari, mort prématurement
- une fille prénommée Ramata
- une seconde fille du nom de Nounkoumba
- un dernier enfant qui ne porte pas chance à Aminata puisqu’elle meurt en couches.
Quelle épouse sera la mère de Sékou ? En fait, elle a deux coépouses et de l’avis de tous, cette femme de petite taille et un peu dure d’oreille ne connait pas longtemps le bonheur conjugal. Mal aimée de son mari, elle souffre toute sa vie des sarcasmes et quolibets de ses coépouses. Ce manque d’affection semble même rejaillir sur Sékou, qu’Alpha ne porte pas outre mesure dans son coeur. D’autant que la rumeur dit volontiers qu’il ne serait pas son fils de sang, sa mère ayant connu son mari déjà enceinte…
Quoiqu’il en soit, cette hostilité paternelle à son endroit le diminue aux yeux de ses demi-frères, Amara, l’aîné et Ismael, son cadet, qui le traitent de temps à autre d’enfant illégitime. C’est la raison pour laquelle Sékou parle très peu de son ascendance paternelle. Quant à ce grand-père, Bakari Touré, qu’il dit être mort en déportation à Madagascar, tous les témoignages concordent pour déclarer qu’il n’a jamais existé. Toujours désireux d’apparaître, lui et sa famille, comme des martyrs de la colonisation, Sékou en a carrément pris à son aise, une fois au pouvoir, avec l’histoire et la généalogie. Sékou, en revanche, adore sa mère, et se réfère souvent à elle. A cause de Samori, dit-on, dont elle serait une arrière-petite-fille.
Cette parenté avec Samori Touré, nous l’avons dit, est toujours restée des plus controversées. Certains informateurs guinéens, en particulier bien sûr des opposants au régime de Sékou, écartent d’emblée l’hypothèse, allant jusqu’à traiter cette ascendance de lointaine et tortueuse. Mais la grande majorité, nous l’avons vérifié personnellement, admet que l’arrière-grand-mère maternelle du futur président de la Guinée, Bagbe Ramata Touré, est bien une fille de l’Almamy Samori. Tous les proches le confirment. Et personne ne conteste le lien entre l’Almamy et Djimini Saran, cette tante de Sékou qui le recommanda auprès d’Houphouet-Boigny. Enfin l’historien français Yves Person, qui a travaillé une vingtaine d’années sur Samori, écrit lui-même à ce propos dans sa thèse monumentale, Samori : une révolution dyoula :
A partir de 1871, les mariages [de Samori] s’étendaient aux pays du Nord qu’il s’employait à conquérir. C’est ainsi qu’il épousa, entre autres,
- Kene Konate, de Komodougou
- Hawa Ule et, surtout,
- Sarankenyi Konate, la plus illustre de ses femmes.
Son union avec Bagbe Mara, une Kuranko, arrière-grand-mère de Sékou Touré, doit remonter à la même époque. La parenté, en toute objectivité, ne fait finalement aucun doute, même si son origine maternelle permet à certains de tenter de la dévaloriser.