Madagascar: Il y a 70 ans, une des pires guerres coloniales françaises
Pendant la deuxième guerre mondiale, les peuples colonisés ont participé activement dans les files des combattants contre le nazisme et le fascisme pour la libération de la France. Dans le cas de Madagascar, le site Chemins de Mémoire du ministère de la défense rappelle:
Entre les deux guerres, l’exploitation des ressources de Madagascar se poursuit, ainsi que la modernisation de l’île, mais les revendications malgaches, à l’instar de celles d’autres colonies, ne sont cependant pas satisfaites. Malgré tout, dès 1939, les Malgaches répondent à l’appel de la France et 10 500 d’entre eux participent à la campagne de France en 1940, dont le tiers tombe au combat. Les 3ème, 11ème régiments d’artillerie coloniaux et le 42ème bataillon de tirailleurs malgaches s’illustrent particulièrement, tandis que des tirailleurs combattent bravement dans le cadre d’unités africaines.
Cette participation de nombreux soldats malgaches ainsi que la maturité politique croissante des jeunes intellectuels ont renforcé leur soif de liberté. C’est tout naturellement qu’après la victoire sur le nazisme et le fascisme qu’à l’instar d’autres colonies,les malgaches aussi réclament une plus grande autonomie au sein de l’Union française. Le site ldh-toulon.net raconte:
En mars 1946, deux jeunes députés malgaches, membres du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), Joseph Raseta et Joseph Ravoahangy, déposent sur le bureau de l’Assemblée Nationale à Paris, un projet de loi demandant l’indépendance de l’île dans le cadre de l’Union française. Vincent Auriol, alors président de l’Assemblée, refuse de faire imprimer ce texte car « c’était un acte d’accusation contre la France et, en somme, un appel à la révolte ». Le projet de loi est repoussé.
Aux élections législatives suivantes de novembre 1946, les trois sièges du second collège (réservés aux « indigènes »), sont remportés par les dirigeants du MDRM, Joseph Ravoahangy, Joseph Raseta et Jacques Rabemananjara.
C’est alors que dans la nuit du 29 au 30 mars 1947 deux sociétés secrètes déclenchent une vague de violences dans de nombreux endroits de l’île. Mais au lieu de la négociation, c’est la répression que choisit le gouvernement français. Le site matierevolution.fr rappelle:
Le gouvernement envoie à Madagascar des renforts, essentiellement des troupes coloniales (tirailleurs sénégalais) : au total 18.000 hommes début 1948. La répression donne lieu à de nombreux débordements et crimes de guerre : tortures, exécutions sommaires, regroupements forcés, mises à feu de villages,…
Parmi les crimes les plus graves figure celui du 6 mai 1947, quand le commandant du camp de Moramanga, dans la crainte d’une attaque, fait mitrailler plus d’une centaine de militants du MDRM emprisonnés dans des wagons.
L’armée française expérimente aussi une nouvelle technique de guerre psychologique : des suspects sont jetés vivants d’un avion pour terroriser les villageois de leur région.
Se posant la question “Quel a été le nombre des victimes de la répression?”, le site gauchemip.org répond:
Les chiffres cités à l’époque devant l’Assemblée nationale parlaient de 80 000 morts, une estimation qui sera reprise par les spécialistes comme Jacques Tronchon. Encore récemment, l’écrivain Claude Simon évoquait “Madagascar, dont on a longtemps caché qu’on y a tué, en 1947, 100 000 indigènes en trois jours”.
Le problème est que ces chiffres seraient faux, selon les dernières estimations de certains historiens. Maître de conférences à Paris-I- Sorbonne, Jean Fremigacci affirme, comme d’autres historiens, que le nombre de personnes tuées lors de l’insurrection n’a pas dépassé les 10 000 (dont 140 Blancs), auquel il convient d’ajouter le nombre de Malgaches morts de malnutrition ou de maladie dans les zones tenues par les insurgés.
“Cette surmortalité reste encore très difficile à évaluer, l’hypothèse la plus vraisemblable tournant autour de 20 000 à 30 000 morts” , écrit M. Fremigacci. Il n’y a pas eu de “génocide oublié” à Madagascar, conclut l’historien, mais une faute des dirigeants politiques qui, à Paris, se sont révélés incapables d’éviter un drame annoncé.
Erick Rabemananoro, ancien journaliste pour Madagascar Tribune rend hommage à ces soldats morts pour la France. L’un d’eux fut son grand père paternel. Erick raconte:
J’ai l’honneur de vous présenter mon grand-père paternel, Rabemananoro. Il fut placé par la France devant un peloton d’exécution en 1942, dans le tourbillon des luttes entre France vichyste et pro-Anglais en vue du contrôle de Diégo-Suarez et Majunga, où il travaillait.
Après cette première exécution, la France récidivera en 1947 en faisant également fusiller son fils et sa fille aînés, militants du MDRM. Nul n’est besoin de souligner l’impact de ces drames sur la vie de la famille, et les difficultés de ma grand-mère pour subvenir aux besoins des sept orphelins qui restaient.
Alors, en ce jour du 29 mars où tout le monde s’excite à tort ou à raison, je voudrais juste avoir une pensée pour toutes les familles qui savent ce que c’est que d’avoir payé le prix du sang versé pour la patrie dans le combat contre la puissance coloniale. Loin des grandes théories, des discours grandiloquents et autres activités folkloriques sous couvert de patriotisme et d’anticolonialisme
Il faut remonter à 1885 pour trouver les causes de cette répression sanglante. La France n’avait pas défini son occupation de l’ile ni de protectorat ni de colonie dans un traité signé avec la reine Ranavalona III (Ranavalo-Manjaka III).
un traité fut signé le 17 décembre 1885, dans lequel Madagascar se voyait imposer — bien que le mot ne fût pas utilisé — un statut de protectorat (impliquant la prise en charge par la France des relations extérieures de Madagascar), assorti du paiement d’une indemnité de dix millions de francs.
En contrepartie, les territoires Sakalava repassèrent sous l’autorité du gouvernement malgache et la reine se vit reconnaître le droit de « présider à l’administration de toute l’île ». En 1888, la reine fut même faite Grand-Croix de la Légion d’Honneur.
Alors que la reine pensait avoir signé un traité le 1er octobre 1895 avec pour la France le Général Jacques Charles René Achille Duchesne, lui garantissant la conservation de sa couronne et du régime monarchique malgache, vieux de plusieurs siècles, pour la puissance coloniale qui voulait agrandir son empire, il ne s’agit que d’une supercherie. Dans un article paru dans la Revue des Deux Mondes, 4e période, tome 132, en Paul Leroy-Beaulieu sur La Colonisation française à propos de Madagascar ne s’embarrasse pas et écrit avec cynisme:
La prise de possession de Madagascar par la France, quelque prix qu’elle nous ait coûté, quelles que soient les fautes ou les erreurs qu’on ait pu constater dans la préparation de l’expédition, a été une grande et belle œuvre. Une question se pose, toutefois, à l’heure actuelle, qu’il importe de trancher dans le bon sens, alors qu’il en est encore temps. Serons-nous vraiment les maîtres de la grande île australe ? Le traité intervenu entre la France et la reine Ranavalo nous donne-t-il un titre précis, incontesté, complet, non seulement pour l’administration intérieure, mais aussi à l’égard des étrangers, Anglais, Américains, Allemands ? Ne nous procure-t-il pas, au contraire, un domaine grevé de nombre de servitudes plus ou moins perpétuelles, et dont nous supporterons tous les frais sans jouir d’aucun avantage quant aux profits ?
À l’occasion de la Conférence des chefs d’état de l’organisation internationale de la Francophonie qui s’est tenue à Antanatarivo en novembre 2016, le Président François Hollande avait reconnu dans son discours au mémorial du lac Anosy que des atrocités avaient été commises par les troupes coloniales pendant cette guerre, comme le rappelle madagate.org:
«C’est bien parce qu’il y avait eu cet engagement des Malgaches pour la France mais aussi pour la liberté, que beaucoup, après la Seconde guerre mondiale, ont commencé à songer à l’indépendance, à cette aspiration qui montait du peuple. Ce mouvement a soulevé l’île tout entière en 1947 et elle fut brutalement réprimée par la France. Je rends hommage à toutes les victimes de ces événements, aux milliers de morts et à tous les militants de l’indépendance qui ont alors été arrêtés et condamnés pour leurs idées».
Pour les dirigeants français, reconnaitre les crimes de guerre est une chose, demander pardon en est une autre, à plus forte raison payer des compensations. La France a réclamé des dettes à l’Allemagne, mais oublie de faire face aux conséquences des guerres qu’elles provoquées sur les peuples colonisés.