Rafael Braga Vieira et la justice brésilienne, symbole du racisme institutionnalisé et de la pauvreté criminalisée
Rafael Braga Vieira a été condamné à cinq ans de prison après son arrestation par la police lors d’une grande manifestation tenue à Rio de Janeiro le 20 juin 2013. À peine âgé de 25 ans, le jeune homme était sans abri et récupérait des matières recyclables pour survivre. Il avait soutenu ignorer complètement qu’une manifestation avait lieu. Lorsque la police a trouvé sur sa personne des bouteilles de désinfectant et d’eau de javel, elle l’a accusé de détenir des explosifs, et il a été condamné avant la fin de l’année.
Braga a été la seule personne envoyée en prison en relation avec les manifestations de juin 2013, mais son cas était le début d’une saga plus sombre, que les militants des droits humains et les juristes qualifient aujourd’hui de symbole du racisme institutionnalisé du système judiciaire brésilien et de la criminalisation de la pauvreté dans le pays.
Il est resté en prison jusqu’en décembre 2015, lorsqu’un tribunal lui a permis de purger le reste de sa peine chez sa mère à Rio, avec un dispositif électronique à la cheville. Un mois plus tard, cependant, la police l’a arrêté à nouveau en possession de 0,6 gramme de marijuana et un feu d’artifice (le genre utilisé par les trafiquants de drogues pour alerter les gangs lorsque la police approche.
Le 20 avril 2017, Braga a été reconnu coupable de trafic de drogue, et cette fois un tribunal l’a condamné à 11 ans et trois mois de prison, malgré une campagne intense (maintenant dans sa troisième année) menée par des militants des droits humains qui ont souligné à plusieurs reprises les contradictions et les irrégularités dans les deux procès.
Le juge lors de son premier procès en 2013 semble avoir ignoré un rapport technique de la brigade anti-bombe de l’État de Rio de Janeiro, qui concluait que les produits de nettoyage que M. Braga transportait avaient une « capacité explosive minimale », en partie parce que les bouteilles étaient en plastique, alors que les cocktails Molotov sont normalement fabriqués à l’aide de bouteilles en verre.
Braga a nié les accusations qui ont mené à sa deuxième arrestation en 2016, accusant les policiers de mauvais traitements et de falsification des preuves – chose qui n’est pas rare avec la police brésilienne, les suspects étant souvent battus pour dénoncer les trafiquants de drogue.
Au cours du deuxième procès, le tribunal a récusé un témoin appelé à la défense de M. Braga (un voisin qui a corroboré sa version des événements) au motif que celui-ci avait une « relation familiale » avec lui. Les cinq témoins à charge étaient tous des policiers délivrant des témoignages contradictoires. Par exemple, un agent a déclaré que M. Braga avait été transporté au poste de police dans le coffre tandis qu’un autre soutenait qu’il avait été placé sur le siège arrière d’une voiture de patrouille.
On doit souligner que le juge a également refusé de voir les vidéos de surveillance placés dans la zone où M. Braga avait été arrêté, déclarant qu’elles étaient « inutiles pour la conclusion de l’affaire ».
Beaucoup de juristes ont également critiqué la peine qui lui a été infligée en faisant valoir que plus de 11 ans de prison constituaient une peine extrêmement grave pour la détention d’une petite quantité de marijuana. Le site Ponte Jornalismo, un média indépendant qui a couvert les deux procès, a cité des cas similaires qui ont abouti à des condamnations à des peines beaucoup plus faibles – comme lorsque la police a arrêté un homme âgé de 18 ans en 2007 pour avoir transporté 25 grammes de marijuana. Ce suspect avait passé juste un jour en prison, avant qu’un juge rejette les accusations de trafic de drogue. Selon le site G1, le défendeur avait admis plus tard qu’il avait obtenu l’aide de son père qui avait de bonnes relations parmi les amis d’un autre juge.
Les lois controversées du Brésil permettent aux tribunaux de traiter les détenteurs de drogues d’une manière extrêmement différente selon les cas. Bien que l’usage de drogues ait été décriminalisé, la loi n’offre pas de définitions claires de ce qui différencie « usage » et « trafic » laissant la décision aux policiers et aux juges au cas par cas. Certains juristes soutiennent que la formulation vague de ces lois renforce en réalité les préjugés racistes dans le système de justice du Brésil, où les personnes de couleur les plus pauvres sont plus susceptibles d’être reconnues coupables de trafic de drogue que les autres.
David Miranda, conseiller municipal de la ville de Rio de Janeiro du parti de gauche Socialisme et Liberté, a comparé le procès de M. Braga à une autre affaire tristement célèbre au Brésil en 2013, lorsque la police a trouvé 450 kilos de pâte de cocaïne dans un hélicoptère appartenant au député et homme d’affaires Gustavo Perrella (fils du sénateur Zezé Perella). La police avait arrêté le pilote de l’hélicoptère (un employé de la famille Perrella) en l’accusant de trafic de drogue, ignorant les Perrellas.
— David Miranda (@davidmirandario) a tweetté le 22 avril 2017
– produits de nettoyage = 11 ans de prison
– 450 kg de cocaïne dans un hélicoptère = affaire classée sans suite #LiberdadeparaRafaelBraga
Rafael Braga V. ao lado de uma pichação « Se você só olha da esquerda p/ direita o estado te esmaga de cima p/ baixo » pic.twitter.com/dPgTLzoq66
— Roger Cury (@semfimlucrativo) January 2, 2016
Rafael Braga V. debout à côté d’un graffiti disant, « Vous regardez seulement à gauche et à droite, l’Etat vous écrase de haut en bas » [Cette photo a été largement partagée sur les réseaux sociaux. Elle a été prise le 20 novembre 2014, lorsque M. Braga était en semi-liberté, alors qu’il rentrait en prison après une journée de travail. Il a été puni pour cette incartade de 10 jours d’isolement cellulaire].
Au cours de la semaine précédente, de nombreux internautes ont réagi avec colère à la nouvelle condamnation de M. Braga, y compris l’avocat et professeur Antônio Pedro Melchior :
Dans un pays dont l’histoire des violations des droits de l’homme par l’institution policière est immense, où la majorité écrasante de la population dit ne pas faire confiance à la police, les condamnations fondées uniquement sur les paroles de la police ne peuvent pas être admises.
Le député fédéral et militant des droits humains Jean Wyllys a également écrit sur Facebook :
Le scénario était déjà écrit. Le juge a simplement agi comme prévu.
Il a infligé un verdict à Rafael. Et nous l’avons tous fait. En résumant, tout le scandale d’une extrême pauvreté typiquement brésilienne dans la condamnation d’encore un homme noir, le juge a démontré à qui appartiennent les lois au Brésil.
Amnesty International a condamné le verdict sur Twitter :
"Nenhum de nós pode se calar diante da perspectiva que ele pague por crimes que não cometeu" @juremawerneck #LiberdadeParaRafaelBraga pic.twitter.com/GoeGpahcZP
— Anistia Internacional Brasil 🕯 (@anistiabrasil) April 24, 2017
« Aucun de nous ne peut se taire à la perspective qu’il paie pour des crimes qu’il n’a pas commis »
Plusieurs manifestations de soutien à M. Braga ont eu lieu à Rio de Janeiro, à São Paulo, et même en Uruguay. Le 24 avril, des centaines de personnes ont également participé à une veillée à São Paulo pour protester contre la nouvelle peine de prison.
Manifestation à São Paulo pour la libération de Rafael Braga. Photo de Daniel Arroyo et Ponte Jornalismo, utilisé avec permission.
Vous pouvez trouver des photos de la manifestation à São Paulo sur le site de Ponte Jornalismo et sur la page Facebook de Mães de Maio. En outre, quelques vidéos de la manifestation ont été publiées sur la page Facebook d’Alma Preta. Sur Facebook, la page Pela Liberdade de Rafael Braga Vieira (Pour la Liberté de Rafael Braga Vieira) relate la mésaventure complète (en portugais) de M. Rafael, depuis sa première arrestation en 2013 jusqu’à sa condamnation ce mois-ci.
Voici e dernier billet que j’ai traduit pour le réseau globalvoices.org en français. L’original, qui était écrit en portugais par Raphael Tsavkko Garcia, candidat au doctorat en droits de l’homme à l’Université de Deusto à Bilbao, a été traduit en anglais par Mariana Parra, candidate, elle aussi au même diplome dans la même université.