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Le faux témoignage qui emporta El Hadj Boubacar Telly Diallo

Le 25 mai est la journée mondiale de l’Afrique célébrée pour marquer la signature des accords d’Addis-Abeba pour sur la création de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) devenue Union Africaine.

Cette année aussi les dirigeants africains célèbreront cette Journée tout en oubliant qu’après avoir été jeté nu dans une cellule jusqu’à ce que mort survienne au Camp Boiro, le premier  Secrétaire général  de l’OUA, Elhadj Boubacar Telli Diallo git toujours dans une fosse  non identifié. 

Dans ce post repris du livre de son livre La mort de Diallo Telli: 1er Secrétaire général de l’O.U.A. (Organisation de l’unité africaine), Amadou Diallo nous présente comment il fut prélevé de sa cellule pour être confronté avec El Hadj Diallo Telly Diallo sur qui il avait dit tous les mensonges que ses tortionnaires avaient fabriqués contre cette éminente personnalité.

 

J’appris par la suite que depuis avril 1976, c’est-à-dire depuis mon arrestation, Siaka avait assisté à tous les conseils de ministres à la seule fin de surveiller Telli. C’est Siaka lui-même qui me l’a dit. De même qu’il m’a répété à plusieurs reprises entre le 24 juillet, date de l’arrestation, et le 11 ou 12 août, fin de sa première diète noire, que Telli refusait d’avouer. En même temps que la diète noire, Diallo Telli subissait les interrogatoires dans la cabine technique. Voulant absolument obtenir de lui qu’il admette sa « trahison », le chef de l’Etat en personne demanda à ses exécuteurs des basses besognes que lui soient appliquées plus fréquemment et plus longuement les électrodes sur les parties génitales. Jusqu’à ce qu’il cède. Ce traitement inhumain lui a été infligé pendant dix-neuf jours. Pendant dix-neuf jours Telli résista.

Affolés par les coups de fil intempestifs du Président et désorientés par la résistance de Telli, Moussa Diakité et Siaka Touré firent alors une fausse manœuvre. Afin de convaincre leur prisonnier de collaborer, ils crurent bon de lui faire savoir que son arrestation avait été décidée depuis longtemps déjà. Pour étayer cette affirmation, ils lui révélèrent l’existence depuis 1974 d’un rapport rédigé par M. Martin, Procureur de la République. Telli leur dit qu’il connaissait l’existence de ce rapport et insista auprès d’eux afin qu’ils obtiennent du Président qu’il informe objectivement l’opinion publique sur l’origine réelle du complot.

En clair, Telli refusait de laisser croire à tout le Fouta Djallon que son arrestation et sa mort probable étaient imputables à l’un de ses fils, c’est-à-dire à moi-même. Malgré ses souffrances, Telli était décidé à ne pas céder. Il ne voulait pas être complice de la politique de division et de diversion menée en Guinée depuis 1958.

Pour Sékou Touré le but à atteindre était simple : ses collaborateurs devaient concentrer leurs efforts sur la mise en lumière d’une alliance entre Telli et Siradiou Diallo par l’intermédiaire du jeune Amadou de la SOGUIFAB. L’existence et les activités du RDR, trop peu connues du public, devaient rester dans l’ombre.

Informé du piétinement de l’enquête, Sékou Touré désapprouva l’initiative de ses collaborateurs. Ceux-ci parvinrent cependant à le convaincre qu’avec Telli il convenait d’aller droit au but si on voulait obtenir de lui une déposition qui aille dans le sens souhaité. Pressé de parvenir à ses fins, Sékou Touré ordonna alors que Telli et moi soyons confrontés en présence de Moussa Diakité, assisté de Siaka Touré et de Manma Tounkara.

Un soir du mois d’août, vers 22 h, l’adjudant-chef Bembeya vient me prendre dans ma cellule pour me conduire devant le Comité Révolutionnaire. Siaka désire me voir car, paraît-il, il s’inquiète de mon état de santé, de mon alimentation, etc. Je lui réponds que depuis trois mois, lui et moi, nous nous retrouvons régulièrement dans la cabine technique où, sous ses ordres et même par sa main, le courant n’épargne ni mes oreilles, ni ma bouche, ni mon sexe. Il peut donc disposer de moi comme il l’entend sans se fatiguer à tenir des discours inutiles.

Sans opposer la moindre résistance, je prends place à ses côtés dans une des voitures de luxe mises à la disposition de Siaka et nous faisons le trajet du bloc au bureau du Comité Révolutionnaire. Sans escorte cette fois. Dès notre arrivée, Siaka évoque les nombreuses démarches que ma mère et ma soeur Diamy ont effectuées auprès de lui afin d’avoir des informations de première main. Il conclut sa littérature sentimentalo-policière en m’annonçant que je vais être confronté à Diallo Telli. « Il n’est pas question de faire marche en arrière et de te dédire. Tu dois maintenir tes aveux. Que ce soit entendu. » Et il sort me laissant en présence de Moussa Diakité. Les autres collaborateurs du Maître de Boiro sont présents.

A la perspective de cette confrontation avec l’homme qu’on m’a forcé à dénoncer, je tremble de tous mes membres. Je demande une cigarette. L’attente ne dure pas plus de cinq minutes. Cinq minutes qui me paraissent une éternité.

Je fume encore lorsque Diallo Telli entre, escorté par plusieurs gardes et l’adjudant-chef Leno. Il est vêtu de son ensemble trois poches de couleur grise dans lequel il avait été arrêté. Son visage accuse les souffrances subies. Ses bras portent les blessures faites par le fil électrique avec lequel sont attachés les interrogés de la cabine technique. Je savais que Diallo Telli avait été torturé mais d’en avoir la preuve me donne un choc. Malgré son épuisement son attitude reste digne. Il se dirige vers moi. Très vite je me lève et jette ma cigarette. Il me serre la main, la garde quelques instants dans les siennes et s’enquiert de mon état de santé.

Siaka qui, à l’arrivée de Telli, a réintégré le bureau, nous demande de nous asseoir.

Puis se tournant vers Telli, il lui dit :

— « Voici Amadou qui a avoué que tu étais l’âme du complot. Et tu refuses de le reconnaître ! » Telli sourit et répond qu’il est sûr que je n’ai rien contre lui.

— « C’est vrai que je suis lié à sa famille ; mais lui est très jeune. Nous n’appartenons pas à la même génération et par conséquent nous ne nous fréquentions pas. Il est donc inutile de s’étendre sur le sujet. Je ne voudrais pas qu’après ma mort Amadou ait sur la conscience une responsabilité quelconque dans ce qui m’arrive aujourd’hui. Donc, cela suffit. A présent j’ai tout compris. »

Siaka lui demande alors s’il accepte d’aider la Révolution. Telli lui dit qu’il est inutile de continuer la torture.

— « Cela veut donc dire que tu acceptes ? » insiste Siaka.

Telli :

— « Oui, mais à condition que le Président accepte de publier ma vraie déclaration. » Siaka entame alors un long discours sur le complot peul :

— « Le Président a l’impression que vous, les Peuls, vous avez une haine contre lui. Votre haine vous fait oublier que c’est l’Almany Samory Touré qui s’est opposé, seul, à la colonisation française en luttant avec de faibles moyens contre une grande armée coloniale.

Après soixante années de colonisation, le Président Sékou Touré a libéré la Guinée grâce aux lutte du PDG. Dans son humanisme naturel, le Président a intégré tous les cadres peuls qui s’étaient opposés à la dignité de la Guinée et leur a accordé des postes de gouverneurs, d’ambassadeurs et de ministres. Mais n’étant pas originaire de la Guinée, vous voulez la détruire et aller ailleurs. En tout cas, l’Histoire s’interroge sur votre patriotisme. Comme vous le savez, moi-même, j’ai fait une partie de mes études à Grenoble d’où j’ai été renvoyé à cause des luttes pour l’indépendance. C’est ainsi que j’ai été amené à embrasser la carrière militaire en URSS.

Par un côté de ma famille, je peux me réclamer des Peuls. C’est pourquoi je vous vois dans cet état avec beaucoup de peine. Mais mon travail m’oblige à obtenir de vous toute la vérité sur ce complot. Je ne veux pas entendre parler d’un certain RDR. Tous les complots auxquels nous avons eu à faire face jusqu’ici ont pris leur source à Paris. Nous connaissons parfaitement tous vos hommes à l’extérieur. Nous connaissons la plus grande de vos organisations. Nous recevons même ses publications. Nous ferons tout pour éviter la situation de 1971 où des gens mourraient dans la cabine technique avant d’avoir aidé la Révolution. Tous mes hommes sont ici, ils vous écoutent. Ils n’auront pas besoin de me consulter pour agir. Je laisse la parole au président de la commission. »

Moussa Diakité prend alors la parole :

— « Siaka nous a beaucoup facilité la tâche. Je ne reviendrai pas sur ce qu’il a dit, mais j’insisterai sur un point. Comme l’a si bien dit Siaka, nous sommes tous des Peuls. C’est bien dommage que ce soit dans ce genre de cadre que nous évoquions ce grand lien qui devrait nous rapprocher les uns des autres ?

Telli, en ma qualité de président de cette commission, le chef de l’Etat me charge de te remettre son engagement écrit concernant l’orientation que tu veux donner à ta déposition. Parallèlement, il te demande pour l’amour de Dieu de nous décrire les circonstances dans lesquelles Amadou et toi avez jeté les bases de ce complot. Pour te dire jusqu’où le chef de l’Etat te respecte et le désir qu’il a de te récupérer, il t’autorise à lui téléphoner du bureau de Siaka. Dans ces affaires, le chef de l’Etat a eu de très grands amis égarés mais avec eux il n’est jamais allé aussi loin qu’avec toi. Tu connais son numéro de téléphone. Va avec Siaka car il y a longtemps que le chef de l’Etat t’attend. »

Siaka quitte la pièce. Au bout de quelques instants il revient et déclare que le chef de l’Etat attend Telli au bout du fil. Telli et Siaka sortent ensemble. Nous attendons environ un quart d’heure. Puis ils reviennent tous deux. Telli dit à Moussa Diakité :

— « Moussa, toutes les conditions sont réunies pour empêcher un chef d’Etat de mentir, malheureusement la plupart d’entre eux mentent. J’accepte la proposition. Je suis entièrement. à votre disposition à partir de maintenant pour signer et enregistrer la déposition que vous avez rédigée, vous-mêmes. Par ailleurs, Amadou étant un fumeur, je demande à Siaka de lui fournir régulièrement des cigarettes et du lait par l’intermédiaire de Mamadou Fofana qui assure la gestion de vos magasins. Dans l’immédiat, donnez-lui à manger. »

Siaka dépêche Léno qui nous apporte du foie de porc grillé, de la bouillie de riz arrosée de lait caillé et du pain. Telli, ne consommant pas de viande de porc, ne prend qu’un peu de bouillie et de pain.

On nous ramène ensuite au bloc pénitentiaire.

Le principe du complot étant admis, il fallait peaufiner la rédaction de l’aveu. Ce fut le rôle de la commission présidée par Moussa Diakité. Cette commission comprenait plusieurs groupes de travail chacun animé par un homme de confiance du chef de l’Etat. Il y avait Moussa Diakité, Kera Karim, Siaka Touré et le lieutenant Kissi.
J’ai été confronté plusieurs fois encore à Telli. Ces confrontations visaient à faire coïncider mes aveux avec ceux de Telli et ses amis et avec ceux d’autres personnes qu’à son tour il avait dénoncées et qui étaient inscrites sur la liste. Dans ce complot la majorité des accusés appartenaient à l’ethnie peule.

Entre chaque passage devant la commission, Telli devait compléter par écrit certains chapitres de sa déposition. Pour ce faire on lui a remis une pile de feuilles de papier, des crayons à bille et on a fait apporter dans sa cellule une petite table qui appartenait à un autre détenu 1. Telli utilisa une partie de ces feuilles à la rédaction de sa déposition qui devait être enregistrée et diffusée à la radiodiffusion nationale une fois qu’elle eut été approuvée par le chef de l’Etat.

Il est à noter que c’est par le biais des agents et officieusement que nous apprenions la diffusion des « aveux ». Car de même que nous étions laissés dans l’ignorance de la peine à laquelle on nous avait condamnés, nous devions méconnaître ce qui se passait à l’extérieur.

L’autre partie des feuilles, Telli la consacra à une correspondance qu’il entretint avec le chef de I’Etat et à la rédaction de l’authentique déclaration qu’il voulait laisser à la postérité. Au début, il espérait que Sékou Touré accepterait de publier un rectificatif aux aveux qui lui avaient été extorqués, mais les jours passant, il comprit que le président guinéen ne lui avait fait de vagues promesses au téléphone et par écrit (voir lettres qui suivent) que pour obtenir une déposition à sa convenance, mais que jamais il ne publierait la vérité. Diallo Telli acquit aussi très vite la certitude qu’il ne sortirait pas vivant.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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