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Les règles élémentaires du pluralisme politique bafouées au Rwanda tout au long de 2017

Je n’ai jamais caché ma sympathie pour le Président rwandais Paul Kagame pour la capacité dont il a fait preuve pour transformer un pays en lambeaux en un état performant, après une tragedie qui l’avait privé d’un tiers environ de sa population. Etant arrivé à Kigali environ deux semaines après la fin du génocide de 1994, comme chef de la Section des services généraux, j’ai vu les traces de l’horreur qui s’y était déroulée: la putréfaction des milliers de corps ensevelis dans des fosses communes, les traces de sang qui jonchaient le sol, les casques militaires transpercés par des balles, destruction de tous les services publics, économiques et sociaux au point que c’est l’armée américaine qui assurait les services d’immigration à l’aéroport, l’armée ghanéenne qui serait l’hôtel Meridien, l’armée indienne et australienne les services médicaux, etc.

J’ai revu Kigali en 2012, au-delà de toutes les statistiques et autres critères de mesure de la réussite d’une politique d’un leader, j’ai été fasciné par ce qui a été réalisé. C’est une ville dynamique pleine de chantiers que j’ai retrouvée, des jardins et des routes bien entretenus. La sécurité était telle qu’un ami avocat de la Cour pénale internationale pour le Rwanda qui m’avait invité à diner m’a appelé un taxi vers minuit. Le taxi qui est venu était conduit par une femme. À mon étonnement de voir une femme faire ce travail à pareille heure, elle m’a répondu que Kigali était une ville sure.

Cette sympathie pour Paul Kagame ne doit cependant pas me faire taire sur les graves violations des droits humains dont son régime est accusé. C’est pour cela que je reprends ici une Synthèse des atteintes aux droits humains récentes documentées par Human Rights Watch  que cette organisation a présenté lors de la 6ème session de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui s’est tenue à Banjul, Gambie, du 1er au 15 novembre 2017.

Une première partie présente les menaces sur le pluralisme politique

La deuxième partie traitera des différentes formes de violations des droits humains

Introduction

Cela fait plus de vingt ans que Human Rights Watch travaille sur le Rwanda. Sur la période 1995–2013, nous avons pu compter la plupart du temps sur un chercheur ou une chercheuse basé(e) dans le pays. La situation est devenue plus difficile depuis 2013, quand HRW n’a plus pu obtenir de visa de travail. Cependant, nous pouvons toujours accéder au pays et nos travaux se poursuivent.

Pluralisme politique et liberté d’expression

Lors d’un référendum tenu en décembre 2015, les citoyens rwandais ont voté à une très large majorité en faveur d’amendements constitutionnels permettant au Président Paul Kagame de briguer un troisième mandat en 2017 puis deux quinquennats additionnels. Rares sont les voix à l’intérieur du pays qui se sont publiquement opposées à cette décision.

L’élection présidentielle du 4 août 2017 s’est déroulée dans un contexte marqué par une liberté d’expression très limitée et un espace politique restreint. Entre le référendum et l’élection, remportée par Kagame avec 98,79 % des voix, d’après les informations disponibles, nous avons constaté de nombreuses atteintes aux droits à la liberté d’expression, d’association et de rassemblement à travers le pays.

Nous nous sommes entretenus avec des activistes locaux et des citoyens privés qui ont évoqué des mesures d’intimidation et des irrégularités tant à l’approche de l’élection que pendant celle-ci, notamment des dons forcés destinés au parti dirigeant, l’incapacité à voter de manière privée et des scrutins falsifiés.

Diana Rwigara, qui aurait souhaité se présenter en tant que candidate indépendante, a été empêchée de prendre part à l’élection et se trouve actuellement en détention. Le harcèlement de Rwigara a commencé en mai, lorsque – 72 heures après avoir annoncé son intention de se présenter à l’élection présidentielle – des photos d’elle nue ont été publiées dans les réseaux sociaux visiblement pour tenter de l’humilier et de l’intimider. La Commission électorale nationale a par la suite rejeté sa candidature, faisant valoir qu’un grand nombre des signatures requises pour appuyer sa candidature n’étaient pas valides. Rwigara a rejeté les accusations, affirmant avoir rempli les critères d’éligibilité.

Le 30 août, suite à des rumeurs selon lesquelles Rwigara aurait été arrêtée ou victime d’une disparition forcée, la police a annoncé qu’elle ne se trouvait pas en détention mais qu’elle faisait l’objet d’une enquête. Au bout de plusieurs semaines d’intimidation, d’interrogatoires et de restrictions à leur liberté de circulation, Rwigara, sa sœur et sa mère ont été arrêtées le 23 septembre. Elles se trouvent actuellement en garde à vue à Kigali, la capitale rwandaise. Sa sœur a été libérée sous caution le 23 octobre. Rwigara est accusée d’incitation à l’insurrection et de faux et usage de faux. Nous sommes très préoccupés par le fait que ces chefs d’inculpation pourraient avoir des motivations politiques et nous interrogeons sur les chances que Rwigara puisse bénéficier d’un procès équitable.

L’arrestation de Rwigara se déroule dans un contexte de pressions croissantes à l’encontre d’autres opposants politiques. Ainsi, le 6 septembre, sept membres des Forces démocratiques unifiées (FDU)-Inkingi, un parti d’opposition interdit, ont été arrêtés, dont quatre de ses dirigeants. Ceux-ci sont accusés d’avoir constitué un groupe armé illégal et d’avoir commis des délits à l’encontre du Président. Un autre membre du parti a été victime d’une disparition forcée le 6 septembre et détenu au secret pendant 17 jours avant qu’un membre de sa famille ne puisse lui rendre visite dans un poste de police.

Le service de la BBC en langue kinyarwanda a été interdit par le gouvernement en mai 2015 après qu’un comité avait conclu qu’un documentaire télévisé de la BBC, intitulé « Rwanda’s Untold Story », avait, entre autres, abusé de la liberté de la presse et enfreint la loi rwandaise relative au déni du génocide et au révisionnisme, incitant à la haine et au divisionnisme.

Depuis que la BBC n’a plus le droit d’émettre, Voice of America reste la seule station de radio indépendante qui diffuse des émissions en langue nationale à travers le pays. Le service de Voice of America en langue kinyarwanda a rendu compte de sujets sensibles tels que les rapports de Human Rights Watch en 2017 et le procès de Diane Rwigara et sa famille.

John Ndabarasa, journaliste à Sana Radio, une station locale, a disparu le 8 août 2016, pour ne réapparaître que le 6 mars 2017 à Kigali. Ndabarasa est un parent de Joel Mutabazi, ancien membre de la garde présidentielle condamné à perpétuité en 2014 pour des délits d’ordre sécuritaire. Lors d’un récit qui a fait naître des soupçons parmi de nombreuses personnes, Ndabarasa a déclaré à des journalistes qu’il avait fui le pays puis décidé de revenir de son plein gré. Sa disparition et le peu d’informations qui ont été recueillies depuis sa réapparition ont lancé un signal inquiétant aux autres journalistes locaux.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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