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Le mécanisme infernal de Sékou Touré contre Alassane Diop et d’autres hauts cadres

Après l’attaque contre la Guinée le 22 novembre 1970, il y a eu des arrestations et exécutions dans tout le pays et dans toutes les couches sociales. Sékou Touré a érigé toutes les structures du parti et l’Assemblée nationale en tribunaux dits révolutionnaires. Soumis à des tortures, les accusés n’avaient droit qu’à dire ce que leurs geôliers voulaient entendre. Ils étaient obligés de lire ces « confessions » infamantes à la radio dénonçant d’autres personnes qu’ils ne connaissaient souvent meme pas.

L’article d’aujourd’hui est extrait du site grioo.com de feu le doyen ElHadj Mamadou BA [1932 -2009] sous le titre de Qui est SEKOU TOURE. 

Ce grand militant de la démocratie fut condamné à mort, lui aussi, par contumace comme de nombreux autres membres de sa famille. C’est, donc, un témoins direct qui nous parle de ce qu’il a vu et vécu.  

Sékou Touré nomme une commission avec à sa tête Alassane Diop qui a occupé plusieurs postes ministériels, en vue de définir si les envahisseurs ont bénéficié d’appuis à l’intérieur de la Guinée. Alassane Diop remet ses conclusions en disant : « Il n’y a pas de complices à l’intérieur ». Sékou Touré le remercie et le félicite pour la qualité de son travail, et lui accorde 15 jours de repos en Bulgarie, lui disant : « Tu es très fatigué, je te donne une bourse de santé, vas te reposer en Bulgarie ». Sékou Touré était souverain même quand il s’agissait de s’occuper de la vie privée de ses ministres ou collaborateurs.

En son absence une nouvelle commission est nommée dont Ismaël Touré obtiendra la présidence. Ismaël Touré apportera des conclusions totalement opposées à celles de la précédente commission, déclarant que les envahisseurs avaient reçu l’aide d’éléments intérieurs et accusant Alassane Diop lui-même d’être un complice. Or d’après un témoin de ces journées, alors qu’Alassane Diop avait dans la nuit du débarquement organisé les miliciens en les plaçant dans les différents postes-clés de Conakry, personne n’avait vu durant ces heures Ismaël Touré participer au combat.

Sékou Touré a le champ libre pour continuer à éliminer les cadres compétents qui lui font ombrage. Il lance à travers tout le territoire des consultations populaires en vue de débusquer les traîtres complices des agresseurs et de juger les mercenaires faits prisonniers et ceux qui les avaient aidés. Le verdict est unanime : la mort pour tous. Le 18 janvier 1971, devant l’Assemblée nationale qui s’érige en tribunal révolutionnaire suprême, s’ouvre le procès. Il se déroule hors de la présence des accusés, sans avocat, sur la base de bandes magnétiques qui enregistrent leurs aveux. Nous examinerons plus loin de quelle manière ces aveux sont arrachés aux accusés.

A un journaliste ami qui avance qu’un procès public était non seulement souhaitable mais contribuerait d’avantage encore à faire éclater la vérité sur le complot international dont la Guinée est victime, il est répondu qu’il était matériellement impossible aux autorités de transporter les accusés de la prison au Palais du Peuple où se tenait le procès sans qu’ils soient pris à partie par la foule. Cet argument sera utilisé à maintes reprises par Sékou Touré pour justifier toutes les exécutions sommaires qui ont jalonné son régime.

Le tribunal révolutionnaire prononce 91 condamnations à mort (33 par contumace) dont celle de Baldet Ousmane, secrétaire d’Etat aux Finances, Barry Ibrahima dit Barry III, secrétaire général du Gouvernement, Moriba Magassouba ministre délégué au Foutah, et Keita Kara, commissaire de police. Accusés de complicité avec les agresseurs ils sont pendus à Conakry sous le « pont Fidel Castro Ruz, route infinie de l’histoire » dans la sinistre nuit du 24 au 25 janvier 1971. Dans la même nuit, huit personnes de haut rang sont fusillées à Conakry dont Madame Camara Loffo, ancien ministre des affaires sociales, Camara Sékou , ancien ministre, ambassadeur et gouverneur, et Camara Balla, ancien secrétaire général du gouvernement.

En outre, dans chacune des 29 régions de Guinée, on pendra au moins deux personnes sur la place publique avec obligation à la population d’assister à ces pendaisons. Ces condamnations à la peine capitale n’ont été précédées d’un quelconque jugement. Elles sont l’oeuvre du comité révolutionnaire composé de Sékou Touré, de son frère Ismaël et de ses cousins ou alliés Siaka Touré, le général Lansana Diané, Mamadi Keïta, Moussa Diakité.

Cette purge ne s’est pas faite au hasard, même si Sékou Touré attend plusieurs années avant de se venger. Barry Ibrahima, dit Barry III, leader du Mouvement Socialiste Africain, est un vieil adversaire de Sékou Touré, qui eut le tort de se rallier au PDG au moment de l’indépendance en sabordant son propre parti. Le chemin ainsi tracé n’était pas assez libre, il fallait encore éliminer celui qui l’avait ouvert. Madame Camara Loffo est cette militante de longue date qui, avec Camara Bengaly et Tounkara Jean Faragué, s’est opposée à la toute-puissance de Sékou Touré lors du séminaire de Foulaya en novembre 1962, et du 6ème Congrès du PDG de fin décembre 1962. Quant à Camara Balla, ancien fonctionnaire français venu se mettre à la disposition de la Guinée, et à Baldet Ousmane il leur est reproché leur compétence, leur franc-parler et leur honnêteté.

Reste le cas de Moriba Magassouba, qui fut secrétaire d’Etat à l’Intérieur sous l’autorité de Keïta Fodéba, puis ministre de lEducation Nationale. Alors qu’il occupait ce dernier poste il publia dans les numéros d’Horoya des 23 et 24 août 1967 plusieurs articles très critiques sur la gestion du pays pour répondre à l’appel lancé par Sékou Touré en vue de la préparation du 8e Congrès du Parti : « Il faut que les bouches s’ouvrent ». Magassouba Moriba commençait ainsi ses articles : « J’ouvre la bouche. Ce qui en sortira sera amer et désagréable. Ce sera un tollé général, une véritable levée de boucliers ! Vais-je m’attirer des inimitiés pour cela ? Oui, mais peu me chaut! » mais la publication de ces articles fut rapidement suspendue et les Horoya déjà publiés retirés de la circulation.

Le BPN et le gouvernement l’obligèrent à faire amende honorable. Il fut une des victimes du « complot de la 5ème colonne » et périt pendu. Là encore Sékou Touré imite Mao Tsé Toung et sa politique des 100 fleurs. Un régime totalitaire ne peut admettre aucune critique étant donné qu’il va dans le sens de l’histoire et qu’il a donc toujours raison.

Sékou Touré va alors passer, à la mi-1971, à un stade supérieur qui permettra d’étendre la sphère des coupables en confiant le soin de les découvrir aux différents échelons du Parti, et en dernier ressort au Peuple. On entre alors dans une phase de dénonciations sans fin orientées par le Comité révolutionnaire, qui permit à Sékou Touré d’éliminer d’autres cadres, mais aussi des milliers de citoyens ordinaires : ménagères, gargotières, paysans, plantons. C’est dans cette période que fut adopté le terme de « 5ème colonne » 28 . Il fut suggéré par un dentiste coopérant tchèque, le docteur Kozel en poste à Kankan, à Emile Cissé, un des pires tortionnaires du régime qui le fit adopter par Sékou Touré.

Derrière ce terme se cache en fait une machine infernale basée sur la dénonciation et les aveux obtenus sous la torture. Il faut se reporter au film de Costa-Gavras, l’Aveu, tiré du récit de Lise et Arthur London, qui dissèque le régime policier tchécoslovaque pour en connaître tous les raffinements. Après avoir créé des sous-comités révolutionnaires dans chaque secteur, Sékou Touré lance l’opération « Tout le peuple est gendarme ».

Lors d’un meeting du BPN le 14 juin 1971, Sékou Touré s’assimilant au Peuple lui fait crier haut et fort « Continuez, recherchez, fouillez partout où besoin sera. Ne laissez aucun complice. Nous vous faisons entière confiance. Allez jusqu’au bout, allez en Profondeur, atteignez la racine de la 5ème colonne, c’est la radicalisation de la Révolution, c’est notre victoire ». Et il ajoute: « Contre-révolutionnaires guinéens de tout acabit, tremblez, tremblez encore ». Comme Hannah Arendt en décrit si bien le mécanisme: « Les états totalitaires s’efforcent sans cesse de démontrer que l’homme est superflu.

C’est à cette fin qu’ils pratiquent la sélection arbitraire des divers groupes à envoyer dans les camps, qu’ils procèdent régulièrement à des purges et à des liquidations massives ».

« Conséquence de la simple et ingénieuse technique de la culpabilité par association, dès qu’un homme est accusé ses anciens amis se transforment immédiatement en ses ennemis les plus acharnés afin de sauver leur propre existence ».

Toutes les organisations du Parti se mobilisent. Réunis le 2 octobre 1971 l’Assemblée régionale de Conakry, l’Etat-major interarmes, le Comité national des femmes, le Comité national de la JRDA, et le Comité national des travailleurs s’érigent en tribunaux souverains, et après avoir classé les éléments de la 5ème colonne en 6 catégories, dont 3 concernent des membres ayant participé activement au complot, et 3 des complices passifs, condamnent à la peine de mort par pendaison les membres du gouvernement, hauts fonctionnaires et membres du Parti ayant participé activement au complot, et à la peine capitale ceux considérés comme complices passifs, ainsi que les nationaux guinéens non investis de responsabilités officielles, qu’ils aient été actifs ou passifs, et les étrangers ayant participé activement au complot.

En revanche, les étrangers complices passifs sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Ces assemblées ne manquent pas de célébrer Sékou Touré, celle des femmes atteignant le plus haut degré de flagornerie. Elle « rend un hommage mérité à la Direction du Parti et à son guide incontesté et incontestable, héros de la lutte anti-impérialiste, ambassadeur incorruptible de la Vérité révolutionnaire, Responsable Suprême de la Révolution, Commandant en chef des Forces Années Populaires et Révolutionnaires, notre bien-aimé Ahmed Sékou Touré ».

Pour couper court à toute mansuétude, Sékou Touré renonce à son droit de grâce. Il refuse également toute mission de l’ONU visant à faire la lumière sur l’agression portugaise. En dehors de quelques pays sympathisants, des protestations contre ces exécutions s’élèvent dans le monde entier.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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