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Les Afro-Tchèques s’expriment sur la visibilité, le racisme et la vie en République tchèque (Partie I)

Longtemps invisibles, les Afro-Tchèques, l’une des plus petites communautés de la République tchèque, émergent progressivement et s’expriment en public. Ce billet est le premier d’une série en deux parties sur leur lutte pour la reconnaissance dans ce pays d’Europe centrale.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en tchèque, ndt.

Jusqu’à la chute du communisme en 1989, les Africains noirs et les Afro-Tchèques [fr] n’avaient aucune visibilité dans l’espace public, même si des centaines d’entre eux vivaient dans ce pays d’Europe centrale.

Dans les rapports et documents couvrant la période 1918-1948, lorsque la Tchécoslovaquie était une démocratie capitaliste, il y a quelques mentions d’Africains noirs et d’Afro-Américains servant dans l’armée ou jouant du jazz dans les bars de Prague.

Lorsque la Tchécoslovaquie est entrée dans le bloc socialiste en 1948, elle s’est activement engagée dans la guerre froide entre Moscou et l’Occident et a apporté un soutien diplomatique [pdf] aux mouvements de libération africains, fournissant même des armes à des guérillas sur le continent. Certains pays nouvellement indépendants deviennent des priorités à mesure que les relations bilatérales s’intensifient : l’Angola, le Bénin, la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, le Ghana, la Guinée-Bissau, le Mali, le Mozambique, le Nigéria et la Zambie en font partie.

Des centaines d’étudiants africains ont reçu des bourses pour aller en Tchécoslovaquie, où ils ont appris le tchèque ou le slovaque, et ont obtenu leur diplôme, principalement en sciences, technologies, sciences militaires et médecine. Une université spéciale a été créée à Prague de 1961 à 1974 pour répondre à leurs besoins.

Alors que beaucoup sont retournés dans leur pays d’origine, quelques-uns se sont mariés localement ou ont eu des enfants avec des femmes tchèques et slovaques, donnant naissance à la première génération d’Afro-Tchèques.

L’émergence des Afro-Tchèques

Lorsque le communisme a pris fin en 1989 et le pays a rejoint l’Union européenne en 2004 [en], la société tchèque a commencé à discuter des questions de discrimination et de diversité ethnique, ce qui était interdit depuis quatre décennies, car l’idéologie socialiste prétendait avoir éradiqué le racisme, malgré un traitement épouvantable de la communauté rom.

Depuis lors, trois domaines de la société ont contribué à une intégration partielle des Afro-Tchèques : la société civile, les médias et l’art. Un certain nombre d’ONG plaidant pour une meilleure connaissance de la culture africaine et un soutien aux Afro-tchèques ont vu le jour, contribuant au dialogue interculturel.

Le deuxième domaine est celui des médias, où un certain nombre d’Afro-Tchèques servent de modèles. L’un des noms les plus célèbres est Lejla Abbasová, une citoyenne tchèque d’origine soudanaise, qui présente des émissions de télévision populaires. Le tchéco-ghanéen Rey Koranteng est présentateur à TV Nova, une station privée qui détient [fr] la plus grande part de l’audience nationale.

Martin Kříž, sinologue afro-tchèque. Photo reproduite avec permission.

Martin Kříž est un sinologue afro-tchèque, qui fait régulièrement des apparitions dans les médias tchèques et à la BBC.

Il a partagé ses vues avec Global Voices (GV) :

Depuis 10 à 15 ans, la question de l’identité n’est plus basée sur les apparences extérieures. Je me souviens bien que lorsque notre société tchèque n’était pas aussi ouverte, en particulier avant [la chute du communisme] en 1989, et lorsque nous étions jeunes et que nous voulions sortir quelque part, c’était vraiment différent. Il est trop tôt pour parler d’une communauté afro-tchèque car dans la plupart des villes il n’y a qu’un ou peut-être dix Afro-tchèques, qui ont chacun des intérêts et des priorités très différents. Mais nous voyons apparaître les premiers signes, dans les groupes Facebook.

Un troisième domaine dans lequel les Afro-Tchèques se sont distingués, parfois à l’international, est celui des arts, et nombre d’entre eux se sont fait un nom notamment dans le chant, la danse et la littérature. L’exemple le plus en vue est probablement le danseur et chorégraphe moderne tchéco-nigérian Yemi Akinyemi Dele [en], qui a travaillé avec des stars mondiales telles que Kanye West [fr].

Le chanteur tchéco-angolais Ben da Silva Cristóvão [fr] (connu sous son nom de scène Benny Cristo) est un artiste à succès qui a été sélectionné en 2020 pour représenter la République tchèque au concours de l’Eurovision [fr] avec sa chanson Kemama :

Une autre danseuse et chanteuse tchéco-angolaise est Madalena João, qui chante en tchèque, anglais et portugais, parfois avec son frère Daniel, qui fait du rap.

Ici, elle explique en quoi consiste à son sens l’identité afro-tchèque dans un entretien pour Global Voices :

 

Mon père étudiait à Brno [la deuxième plus grande ville de la République tchèque] à la faculté de sciences vétérinaires, où il a rencontré ma mère. Ils parlaient le tchèque, une langue que mon père parle couramment à ce jour. Un Afro-tchèque est une personne tchèque avec des racines africaines, donc cela signifie que j’ai du sang africain, du rythme dans mon corps, et j’en suis heureuse. Maintenant, je suis plus consciente des avantages que cela représente. En Angola, où j’ai vécu pendant neuf ans, je parlais surtout le portugais, et à ce jour c’est la langue que nous utilisons à la maison avec mon père et mon frère.

Voici une des chansons de Joao, Vím, že jsi (je sais que vous existez) où elle chante avec le rappeur tchèque populaire Skipe, sur la visibilité et les relations :

Couverture du dernier livre d’Obonete Ubam Kalangu Africká moudrost na každý den (la sagesse africaine de Kalangu pour tous les jours). Photo de Filip Noubel, utilisée avec permission.

La littérature est également un domaine où d’éminents Afro-Tchèques ont laissé leur marque.

Le terme Afroczech a été inventé par l’écrivain et activiste tchéco-nigérian Obonete Ubam [fr], qui a passé sept ans au Nigéria et a écrit un livre dans lequel il raconte comment il a embrassé son héritage, et est finalement devenu le chef de son groupe ethnique natif anaang [fr].

Il a publié en juin un nouveau livre intitulé Kalangu African Wisdom for Every Day (Titre original : Kalangu Africká moudrost na každý den), pour amener la culture africaine aux lecteurs tchèques, et est sur le point d’en publier un autre sur l’histoire des Afro-Tchèques. Voici ce qu’il a dit à Global Voices :

Je pense que les Afro-Tchèques commencent à peine à former leur communauté. Ils sont présents ici à peu près depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en tant que descendants de soldats américains qui ont libéré les parties occidentales du pays. Puis nous, les descendants des étudiants africains et cubains. Nous ne nous connaissions généralement pas, et nous avons cherché des réponses sur nos racines et notre identité culturelle beaucoup plus tard dans la vie. Il est intéressant de noter que c’est la génération qui a produit les Afro-Tchèques les plus en vue. Maintenant, la troisième et plus grande génération arrive, et leur vie est très différente de la nôtre. Des frontières ouvertes signifient qu’ils peuvent se rencontrer, ce qui est extrêmement important pour prendre conscience de leur propre identité.

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Ce billet que j’ai traduit de l’anglais a été écrit par Filip Noubel pour globalvoices.org et publié le 26 juin 2020. L’auteur est rédacteur en chef de Global Voices.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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