Barry Diawadou: « J’ai donné ma parole à Sékou Touré et au gouvernement de la Guinée, je n’entends pas renier mon engagement »
Ce billet est extrait du livre de Mahmoud Bah Construire la Guinée après Sékou Touré, publié à Paris en 1990. Il traite de la création de la monnaie nationale le franc guinéen, mais aussi de ses conséquences, mais aussi de comment le tyran Sékou Touré a utilisé mal à propos le refus de Barry Diawadou de se faire acheter par les Français. |
La plupart des techniciens français ayant quitté le pays dès octobre 1958, les activités de production ont subi une baisse générale, en particulier dans l’agriculture, le commerce et les services. Dès 1960, les denrées alimentaires commencent à se faire rares, en particulier les denrées importées (farine, lait, etc.)
Le 1er mai 1960, la Guinée émet sa propre monnaie. Le franc guinéen remplace le franc CFA et la Guinée quitte la Zone Franc.
Cette mesure est considérée comme positive par tous ceux qui espèrent que les Guinéens vont prendre en mains leur économie, mettre en valeur leurs ressources humaines et naturelles et gérer efficacement leur pays.
La monnaie guinéenne n’ayant plus cours dans les pays voisins, des difficultés se présentent pour les Guinéens qui, traditionnellement, travaillent au Sénégal et utilisent leurs revenus en Guinée.
A la frontière Guinée-Sénégal, des incidents éclatent entre des gendarmes-douaniers et des voyageurs guinéens. Les voyageurs réclament leur argent et accusent les douaniers d’escroquerie. Le Président est informé de ces incidents qui se multiplient. Il ordonne de fermer la frontière et d’arrêter tous ceux qui s’y présentent. Il réunit les responsables du Parti, de l’Armée et de la Sécurité. Il leur annonce que la Guinée est victime d’un complot. Mais quel complot ?
Sékou Touré fait exposer des armes à la permanence du Parti, à Conakry-Gare. Il fait arrêter de nombreuses personnes, non seulement à la frontière, mais aussi à Conakry, Kindia, Labé, etc. Il déclare à la radio que la Guinée est victime d’un complot « contre-révolutionnaire pro-français »; que les complices guinéens sont arrêtés; qu’il connaît les noms des Français impliqués; que les armes saisies peuvent être vues à la permanence.
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On va à la permanence et on regarde. Il y a là des armes sur une estrade. Pour ceux qui ont fait leur Service Militaire, qui ont manipulé différentes armes, un fait est évident: les armes exposées sont des armes tchèques, celles-là mêmes que la Tchécoslovaquie vient de livrer à la Guinée, après le refus des pays occidentaux à qui le Gouvernement guinéen s’est d’abord adressé. Comment ces armes peuvent-elles servir à un « complot pro-français » et se retrouver entre des mains autres que celles des militaires guinéens à la frontière du Sénégal, sans qu’il y ait eu une seule action militaire, un seul coup de fusil tiré?
En homme exclusivement politique, jaloux de son pouvoir et prêt à parer à toute éventualité pour conserver son fauteuil, Sékou Touré a en fait réagi à un aveu qu’en toute bonne foi Barry Diawadou lui a fait quelques mois plus tôt. Lorsque les parachutistes français ont reçu l’ordre de quitter leur base de Dalaba, Barry Diawadou, ancien député au Palais-Bourbon, a été contacté.
Les Français lui ont demandé s’il voulait prendre le pouvoir.
— Non! a répondu Diawadou. J’ai donné ma parole à Sékou Touré et au Gouvernement de la République de Guinée. Je n’entends pas renier mon engagement.
Les soldats français et avec eux quelques militaires guinéens qui ont choisi de rester Français, quittent la Guinée sans incident.
Diawadou Barry, ministre de l’Education Nationale, informe Sékou Touré de ce contact et souligne au Président son engagement, lui Diawadou devant Dieu et devant ses compatriotes, de ne jamais créer une situation de lutte fratricide entre les Guinéens. Le Président enregistre et le remercie. Un remerciement bien « politique ».
Dès lors, la préoccupation de Sékou Touré sera de prévenir toute action française en Guinée. Il faut pour cela sortir sans tarder de la Zone Franc, échapper à l’emprise économique française. Ensuite trouver un mobile accusant la France de vouloir renverser son régime. C’est ce qu’il fait rapidement en mars et avril 1960.
En même temps qu’il accuse les Français, Sékou Touré va faire arrêter beaucoup de Guinéens toutes catégories sociales confondues. Ainsi, on peut citer :
- l’ingénieur des télécommunications Yaya Diallo, dont la femme Madame Yvonne Diallo est professeur de mathématiques au Lycée de Conakry. Yaya Diallo sera incarcéré et torturé au Camp de Camayenne (devenu plus tard Camp Boiro). Libéré, il quitte la Guinée et mourra peu après en France des suites de la torture.
- l’avocat Ibrahima Diallo, un homme qui ne cache pas les insuffisances de Sékou Touré en tant qu’homme politique. Il sera exécuté.
- l’imam de Coronthie (quartier de Conakry) sera torturé et exécuté.
- le libraire de Kindia, Daï Baldé, sera incarcéré et torturé pendant quelques mois. Libéré, il va s’exiler.
Et bien d’autres dont on ne parlera jamais. Que leur reproche le Président?
De dire ce qu’ils pensent, d’avoir une certaine notoriété par leur travail et leurs relations sociales, de vivre en hommes libres et responsables…
Quelles sont les réactions dans le Pays?
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Les agents du Parti sillonnent le pays et racontent à la foule rassemblée les « forfaitures des contre-révolutionnaires ». Nul n’ose poser la moindre question sur les faits ou sur les condamnés. Les mêmes agents demandent à la population de mettre en quarantaine les familles des condamnés.
Ainsi, le coup du Président lui a parfaitement réussi. Son « complot » lui permet d’asseoir son pouvoir en semant la peur et la suspicion dans les esprits.
« Le complot » va être érigé en système de Gouvernement. Désormais, tous les deux ans en moyenne, Sékou Touré fabriquera un « complot » et fera des mises en scène spectaculaires. Son génie inventif ne tarira jamais sur ce point.
Les Guinéens vont compter les morts par centaines chaque année. Les Camps militaires (Camp Boiro, Camp Alfa Yaya, Camps de Kindia, Labé, Kankan, N’Zérékoré … ) les gendarmeries, les commissariats de police, les frontières (notamment Guinée-Sénégal et Guinée-Côte d’Ivoire) vont devenir des centres d’extermination de citoyens guinéens. Sur ordre de Sékou Touré.