Les faux complots dénoncés par le tyran Sékou Touré après 1977
Révisé le 19 juin 2021
En 1977, c’est la révolte des femmes sur lesquelles Sékou Touré s’est appuyé tant de fois pour conquérir le pouvoir et s’y maintenir. Les conditions de vie étaient et les exactions de la police économique étaient insupportables. Cette simple révolte servira de prétexte au tyran pour encore inventer un complot, arrêter, faire soumettre aux pires sévices et enfin tuer des centaines d’innocents guinéens. Ce billet a été extrait de la Deuxième partie Chapitre VII intitulé Le Complot Permanent du livre de Maurice Jeanjean Sékou Touré: un totalitarisme africain |
L’année 1977 marque un tournant dans le régime de Sékou Touré avec la révolte des femmes qui l’avaient soutenu jusqu’à ce jour en dépit des mille difficultés qu’elles connaissaient dans leur vie quotidienne. Tout faisait défaut. Et le peu disponible en nourriture, habillement, était distribué par les comités du Parti. Les marchés étaient étroitement contrôlés par une police économique toute-puissante.
La « révolte des femmes » prit naissance en juin 1977 à N’Zérékoré, ville de la Guinée forestière proche de la frontière ivoirienne. Ce mouvement se poursuivit à Conakry à la suite d’une altercation banale le samedi 26 août sur le marché principal, entre un milicien et une vendeuse, qui dégénéra en une bagarre générale sur le marché entre les vendeuses et les membres de la police économique.
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De nombreuses femmes, alertées, vinrent grossir le mouvement et marchèrent sur le Palais présidentiel. Sékou Touré, pris de peur, lâcha du lest, criant haut et fort « A bas la police économique. Tuez tout agent qui osera s’attaquer à vous ». Les femmes, apparemment satisfaites, poursuivirent leur action en pillant les commissariats et postes de police.
En vue de reprendre la situation en main, Sékou Touré convoqua le 27 août une conférence au palais du Peuple où se rassemblèrent des milliers de femmes. Mais contrairement au cérémonial habituel elles refusèrent d’entonner les slogans du Parti et de souhaiter « longue vie » au président Sékou Touré. Elles improvisèrent des chants disant en substance 60 : « Sékou Touré, ce n’est pas ce dont nous étions convenus. Sékou Touré, il n’y a rien en ville que des mensonges. Dans nos marmites ne bout que de l’eau …».
Mais le président ne saisit pas ces paroles et n’en perçoit pas la portée. Il commence à asséner : « C’est la 5ème colonne qui … ».
Mais la magie du verbe ne joue plus. Les femmes envahissent la scène, obligeant Sékou Touré à fuir sous les huées. Certains avancent même qu’il fut lapidé. Pendant deux à trois jours le pouvoir est dans la rue, mais le chef d’état-major, le général Toya Condé, un inconditionnel de Sékou Touré, refusera de s’en emparer bien qu’il y ait été incité par des officiers de grade inférieur. En revanche, sur instruction du Président, des coups de feu seront tirés sur la foule, faisant selon certains témoins une cinquantaine de victimes.
Des échauffourées semblables ont lieu dans différentes villes de l’intérieur: Forécariah, Coyah, Dubreka, Kindia, Fria. Selon un scénario maintenant bien connu, Sékou Touré déclare 61 : « Ces actes relèvent d’une infraction criminelle des agents de la 5ème colonne camouflés derrière le paravent des femmes et des jeunes ». Et il appelle les femmes de Guinée à « radicaliser d’avantage leur position dans la révolution ».
Des commissions d’enquête sont crées dans l’urgence. Une vague d’arrestations touche les gendarmes, les miliciens et les militaires guinéens accusés d’avoir fomenté ces troubles ou d’en être les complices, mais également des femmes et des jeunes, victimes des opposants guinéens. On répand l’idée qu’un nouveau complot vient d’échouer, que l’on qualifie de « queue de la 5ème colonne ». Le Camp Boiro se remplit à nouveau de femmes, de jeunes dont certains âgés de moins de 10 ans, de gens du peuple mais aussi de responsables politiques et économiques. La cabine technique fut remise en service, la panoplie des tortures s’enrichissant de la lacération et de l’extinction de feu avec les mains et les pieds.
Enfin les travaux de la commission s’interrompront sans qu’aucune raison n’en soit donnée. L’explication la plus vraisemblable est que Sékou Touré, voyant la situation lui échapper, ait décidé de mettre un terme aux dérives de son demi-frère Ismaël Touré, qui projetait de s’en prendre à la propre femme du Président. Ceci ne met pas un terme aux complots et attentats contre le régime.
Le 28 septembre 1977, date anniversaire de l’Indépendance, une cinquantaine d’opposants guinéens parviennent à pénétrer dans l’ambassade de Guinée à Paris et rouent de coups le consul qui devra être hospitalisé. Le président Sékou Touré demande dès le lendemain à la France l’extradition de cette cinquantaine de ressortissants. Il n’y fut pas donné suite.
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Le président Sékou Touré, qui vient de renouer avec la France, qui se prépare à recevoir en Guinée le président Giscard d’Estaing fin 1978 et espère réaliser enfin la visite officielle en France qu’il attend depuis 1958, infléchit sa politique vers plus de libéralisme, notamment dans le domaine économique. Cependant les difficultés demeurent. Après l’ébranlement du régime par la marche des femmes, les opposants relèvent la tête et les mécontentements se manifestent.
En août 1979, Bah Mahmoud, professeur en France et éditeur d’un journal d’opposition, est arrêté dans la région de Boké avec 9 autres Peuhls et transféré au Camp Boiro 62. Se prévalant de l’amnistie décrétée par Sékou Touré en 1977 pour tous les opposants au régime vivant à l’étranger, il s’était cru autorisé à visiter sa famille en Guinée. Bah Mahmoud eut la vie sauve grâce à l’intervention de Maître Jouffa, avocat à Paris et membre de la Ligue des Droits de l’Homme. En outre, il était le témoin de la bonne conduite de la Guinée. En revanche, les autres prisonniers périrent de la diète noire.
En mars 1980, les élèves de Kindia houspillent le ministre de l’Education Nationale. Une trentaine d’élèves sont arrêtés et un millier déplacés dans d’autres villes l’intérieur.
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Le 14 mai 1980, une grenade éclate au Palais du Peuple lors d’une représentation artistique, en présence de Sékou Touré et du Corps diplomatique. Il y eut un mort et une cinquantaine de blessés. C’est l’occasion offerte de conduire au Camp Boiro 46 offîciers, sous-officiers et simples miliciens dont le régime voulait se débarrasser.
Certains d’entre eux ne se trouvaient même pas au Palais du Peuple. Le lanceur de grenade ne fut jamais arrêté. Le 21 février 1981, des charges de plastique explosent à l’aéroport de Conakry quelques minutes après l’envol de l’avion emprunté par Sékou Touré. L’attentat est revendiqué par le Front Patriotique de Guinée, dont on entend parler pour la première fois, et qui serait animé par des opposants de l’intérieur.
Il s’ensuit près de 100 arrestations Parmi la garde présidentielle en service à l’aéroport et le personnel technique de l’Aviation civile.
Le 8 mai 1982, Sékou Touré échappe à un nouvel attentat dans l’enceinte du Palais présidentiel. Un jeune homme tue deux gardes et crie : « Je viens venger Kabassan » . Il s’agit de Kabassan Keïta, ex-ministre des Travaux Publics qui avait été arrêté en avril 1982 sous l’inculpation de malversations.
Mais Sékou Touré ne se contentait pas d’exercer la répression sur le territoire de Guinée. A plusieurs reprises il a tenté de faire kidnaper des opposants sur le territoire français.
L’opération la plus spectaculaire concerne l’historien guinéen en exil, feu Ibrahima Baba Kaké, auteur d’une des meilleures biographies de Sékou Touré intitulée « Sékou Touré, le héros et le tyran ». Nous nous référons au préambule de ce livre. En septembre 1966 son jeune frère Alioune est poignardé par erreur rue Daubenton à Paris par Momo Jo 63, l’homme de main de Sékou Touré, qui avait été dépêché spécialement à Paris pour assassiner Ibrahima.
Alioune ne dut d’avoir la vie sauve qu’à une intervention rapide de Police-Secours et de l’équipe chirurgicale de l’hôpital Cochin.
Après le débarquement des Portugais en novembre 1970, I. Baba Kaké fut condamné à mort par contumace. En septembre 1982, lors de son premier voyage officiel en France, Sékou Touré tenta de le faire enlever en plein Paris, place de la Madeleine, par un commando constitué de diplomates de l’Ambassade de Guinée en France, à savoir le consul Inapogui Daoro, le premier secrétaire Bah Amadou Tidjane et le comptable Diallo Chérif.
L’opération échoua grâce à l’intervention de deux policiers français déguisés, chargés de veiller à la sécurité de cet opposant guinéen. Cet acharnement à perdre un homme, l’organisation sur le sol français de commando de la mort, montrent bien que rien n’arrête Sékou Touré.