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« Le 22 novembre 1970, j’avais 6 ans », dixit Babahady Maréga

A l’époque, et conformément aux habitudes de la Révolution, à l’arrestation de papa nous avions eu tous les biens de la famille saisis : nous avions été expulsés de la maison de fonction dans laquelle mes parents habitaient, puis de notre maison de Ratoma, qui avait été confisquée.

Les évènements du 22 novembre 1970 ont fourni une occasion ultérieure au régime sanguinaire de Sékou Touré pour l’arrestation, la torture et l’élimination physique de milliers de cadres, entrepreneurs et citoyens lambda guinéens innocents. Ces arrestations ont été ressenties de manière différente par chacun d’entre nous. Les différences pouvaient provenir, outre du caractère individuel, de l’endroit où nous nous trouvions, du sexe et de l’âge que nous avions.

Certains de nous, qui ont vécu ces heures tragiques pour les familles et pour le pays, ont accepté de livrer leur témoignage. Dans ce premier billet, je vous présente les souvenirs de Babahady Maréga, aujourd’hui financier et banquier international. Son frère, Dr Fodé Bocar Maréga, avait été élu député pour la circonscription de Dinguiraye. C’est le fils du Dr. Bocar Maréga, dont la famille subit de plein fouet le courroux du dictateur Sékou Touré. 

Son témoignage sera publié en 3 parties. Dans celle d’aujourd’hui, il nous relate les difficultés auxquelles la famille dut faire face pour se loger.  

Le 22 novembre 1970, j’avais 6 ans. Mon père et trois de mes oncles  avaient déjà été arrêtés plus d’un an auparavant, et étaient internés au Camp Boiro.

Lire également: L’arrestation de Dr. Bocar Maréga et 10 membres de sa famille

Parer à l’immédiat

A l’époque, et conformément aux habitudes de la Révolution, à l’arrestation de papa nous avions eu tous les biens de la famille saisis : nous avions été expulsés de la maison de fonction dans laquelle mes parents habitaient, puis de notre maison de Ratoma, qui avait été confisquée. Après maintes tracasseries et beaucoup d’acharnement, ma mère qui est Docteur en Pharmacie, avait pu trouver un logement de fonction à la Cité des Médecins à Donka ; adresse que mon père ne connaissait donc pas lorsqu’il fut arrêté. Cette maison de la Cité des Médecins a sa propre histoire. En effet, une fois expulsée de ses maisons, ma mère trouva une petite maison à Bellevue qu’elle louait 50.000 FG, alors qu’elle devait faire vivre sa famille avec un salaire de 120.000 FG. Elle décida donc de réclamer son du. Elle commença par réclamer au Général Dianè, alors Président du Comité Révolutionnaire, la restitution d’une de ses maisons afin d’y loger sa famille. Ce fut en vain, et ce dernier proférera plutôt des menaces car il estimait qu’elle devait déjà s’estimer heureuse de ne pas être en prison. Elle se rendit ensuite chez Jean-Paul Alata, alors en charge des biens saisis. Ce dernier, qu’elle connaissait bien, lui conseilla de chercher à se faire loger plutôt que de réclamer la restitution d’un de ses biens : le principe de la restitution était inimaginable aux yeux des tenants du pouvoir. Elle suivra d’ailleurs son conseil en se rendant auprès du Dr Diallo Taran, Ministre de la Santé d’alors. Ce dernier avait si peur de toutes les démarches entreprises par ma mère qu’il l’informa assez clairement qu’il ne pouvait rien faire pour elle.

Il ne lui restait donc plus que s’adresser à la la présidence. C’est ainsi qu’elle se rendit à la présidence de la République. Une fois là-bas, les gardes, qui la connaissaient bien, la laissèrent entrer. En effet, jusqu’aux arrestations, elle était restée l’amie d’Andrée Touré, la femme du Président Sékou Touré, qu’elle fréquentait régulièrement. Une fois dans le palais, il y avait beaucoup de monde, attendant probablement une audience avec le guide, l’occasion de régler ses problèmes ou faire de la délation. Elle du forcer la porte du Secrétaire général de la présidence, qui refusait de la laisser monter parce qu’il estimait que sa demande de logement n’était pas du ressort du président. Elle lui arracha alors le combiné des mains pour joindre directement le président. Interloqué et prenant peur par tant d’audace dans l’enceinte du palais présidentiel par quelqu’un dont le mari est arrêté, ce dernier la laissa appeler Sékou Touré à partir de son combiné téléphonique.

Une conversation irréaliste s’en suivit

Ma mère : « Bonjour président, c’est Maïmouna, Maïmouna Maréga. Je souhaite te rencontrer pour obtenir un logement pour ma famille ».

Président Sékou Touré : « Tu peux monter ».

Une fois chez lui, ma mère lui expliqua ses déboires depuis l’arrestation de papa et l’expulsion de sa famille du logement de fonction. Elle lui fit remarquer qu’étant Docteur en Pharmacie, elle avait droit à un logement de fonction, et qu’elle avait identifié un logement disponible à la Cité des Médecins.  Comme Sékou Touré était très habile à faire croire aux détenus et à leurs familles respectives, prises individuellement, qu’il n’était pas informé des abus de sa Révolution, il aida ma mère. C’est ainsi qu’il ordonna au Ministre Taran Diallo de régler le problème. C’est ainsi que ma mère reçut un logement à la Cité des Médecins ; comme pour beaucoup de cadres guinéens, ce dernier finira aussi ses jours en prison. En effet, il fut arrêté en 1971, interné au Camp Boiro ensuite au Camp Kémé Bouréma de Kindia.

Notre maison de la Cité des Médecins était une petite maison au sein de la Cité, sans clôture ; toutes les maisons partageaient plus ou moins le même jardin ; elles étaient séparées par de petites haies et arbustes. Dès qu’on entrait dans la maison, il y avait une rangée de chambres en face allant vers la gauche, et puis toujours en face de l’entrée, mais sur la droite, il y avait le salon. La salle à manger venait tout de suite après au fonds de la pièce à gauche. A gauche de l’entrée principale, il y avait le long couloir, sur la droite duquel il y avait cette rangée de chambres, et au fonds duquel il y avait deux chambres, celles de mes parents à droite et celle que ma sœur Binta partageait avec ma tante Mata Thiam à gauche. Le mur gauche du couloir longeait le jardin. Il était fait de claustras ; si bien que l’on voyait de l’intérieur ce qui se passait à l’extérieur, et vice versa.

Babahady Maréga, Fondateur et directeur général de la société BBH FINANCE

Avant de publier cet émouvant témoignage, j’ai appelé Maman Maimouna Maréga qui habite à Abidjan,  vendredi 29 Novembre 2013. Elle a été la première guinéenne à décrocher le baccalauréat , la première à obtenir son diplôme universitaire et aussi la première à obtenir une chaire dans une faculté scientifique. La Guinée doit à son initiative et à son opiniâtreté la création de la Faculté de Pharmacie ainsi que celle de la bibliothèque de la Faculté de Pharmacie et l’enseignement de toutes les matières pharmaceutiques avant l’arrivée de jeunes pharmaciens.

C’est une opinion répandue que son mari fut arrêté à cause de la rancune de Sékou Touré envers son beau-père, Bocar Maréga, qui aurait été à l’origine de l’exclusion du futur dictateur de l’école. Elle s’insurge contre ce qu’elle considère comme une grave déformation de la réalité. De la bouche même de son beau-père, elle sait qu’au contraire celui-ci a tout fait pour que Sékou Touré reste à l’école, allant même jusqu’à l’aider à trouver un jugement supplétif, le futur tyran n’ayant même pas un acte de naissance

. Après son élection à la présidence, Sékou Touré lui rendait visite, accompagnée de son épouse assez souvent jusqu’à la mort de son ancien enseignant. Et à la mort de celui-ci, bien qu’il ait eu un engagement officiel, il tint à assister aux funérailles.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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