Beaucoup de ministres, d’ambassadeurs et de gouverneurs de régions fusillés
Voici la troisième partie de l’interview à Alpha Abdoulaye Diallo dit ‘Portos’ concédée à Hassatou Baldé de guineenews.org faite le 1er mai 2005 et reprise par le Mémorial campboiro.org.
Guinéenews — Parfois les exécutions se faisaient par groupes : par des pendaisons parfois publiques ou des fusillades. La nuit du 17 au 18 octobre 1971 beaucoup de Ministres, des ambassadeurs et de Gouverneurs de régions furent fusillés. Certaines de ces exécutions de masse ne visaient pas seulement à l’élimination physique des « ennemis de la Révolution », elles participaient à des pratiques occultes obscurantistes pour conjurer le sort ou jeter le sort à ceux que le régime avait en aversion comme Houphouet Boigny de la Côte d’Ivoire.
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Avec l’expérience acquise au Camp Boiro, nous avons fini par savoir que toutes les exécutions — qu’elle que soit la méthode utilisée — correspondaient à des pratiques occultes, à des sacrifices humains. Nous avions remarqué que ces sacrifices avaient lieu à l’occasion de chaque grand évènement concernant Sékou Touré, le Parti ou l’Etat, ce qui équivalait la mˆme chose, Sékou Touré étant à la fois le Parti et l’Etat.
En ce qui concerne les exécutions de la nuit du 17 au 18 octobre 1971, elles avaient pour but de liquider Houphouët Boigny. Ses voyants, ses féticheurs avaient convaincu Sékou Touré que s’il sacrifiait autant de cadres que Houphouët avait d’années d’âge, ce dernier allait perdre le pouvoir et ˆtre définitivement liquidé.
Ce n’est qu’à ma sortie de prison que j’ai appris que Houphouët serait né un 18 octobre.
Guinéenews — Votre livre est aussi un livre d’espoir. Car malgré les conditions de vie carcérales et cette volonté de déshumaniser l’ˆtre, on constate cette faculté de l’homme à toujours pouvoir s’organiser en société et faire face aux épreuves. C’est ainsi qu’au Camp Boiro où plane l’ombre de la mort, les détenus de toutes les couches sociales, professionnelles y ont instauré un art de vie faite de solidarité, de compassion face à la mort, à la faim au désespoir mais aussi à l’espoir sans égard à l’appartenance ethnique ou religieuse. Malgré les difficultés, les prisonniers sentant un de leur entrain de faire le « voyage » vers la mort tentaient par tous les moyens d’apporter un réconfort à la victime. Cette mˆme solidarité entre les Guinéens existait aussi en dehors des camps. La population soumise aux dures conditions économiques et désabusée par les promesses non tenues de cette Révolution, était finalement unie, ne suivant la propagande du régime que de façade.
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Oui, en ce qui me concerne, je suis optimiste, très optimiste quant à l’avenir de notre Pays, la Guinée.
Nous avons, en effet, tout ce qu’il faut pour sa construction et mˆme par delà pour en faire un élément d’avant-garde, un élément moteur pour la construction en Afrique occidentale d’un ensemble étatique cohérent, stable et fort, préalable à la réalisation de l’unité continentale africaine.
Nous avons pour cela et les ressources naturelles et les ressources humaines ! Il nous faut simplement nous organiser pour opérer la réconciliation nationale entre les Guinéens que divisent aujourd’hui des contradictions ethniques, mais aussi politiques, des contradictions entre Guinéens de l’Intérieur et Guinéens de l’Extérieur. Et je me répète : pour cela je suis et reste optimiste !
Guinéenews — La détention au Camp Boiro s’accompagnait de la saisie des biens au profit de l’entourage de Sékou Touré. Dans votre cas, vos biens ont été confisqués et la maison dont vous avez entamé la construction a été complètement rasée après votre libération. Est-ce que vous avez récupéré vos biens après la chûte du régime ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Effectivement tous les biens des détenus politiques avaient été saisis. Au changement de régime les militaires ont décidé de les leur restituer.
Mais là, il faut distinguer les biens mobiliers (meubles, comptes en banque, véhicules, bijoux, espèces…) définitivement perdus et les biens immobiliers qui ont été restitués par ordonnance de M. le Président de la République Lansana Conté.
En ce qui concerne ma maison de la Minière dont j’avais fini tout le gros œuvre, elle a été purement et simplement rasée après ma libération et le terrain attribué à Sa Majesté HASSAN II qui devait y construire son Palais pour l’OUA 1984 qui n’a pas eu lieu suite au décès de Sékou Touré.
J’ai pu récupérer ce terrain grâce à la royale compréhension de SM HASSAN II : je lui en reste toujours reconnaissant !
Guinéenews — Une semaine après le décès de Sékou Touré, le Camp Boiro a été ouvert et tous les prisonniers libérés, qu’est-ce que vous avez ressenti ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Une joie immense et beaucoup d’espoirs pour l’avenir démocratique et de liberté de notre pays. Mon voeu le plus ardent, ma prière la plus fervente alors c’est que ce qui s’est passé sous l’ancien régime ne se reproduise plus jamais.
Guinéenews — Certains pensent que pour favoriser l’unité nationale, il faudrait oublier cette période douloureuse et ne retenir que le positif, quel est votre avis ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Non ! Non ! Et non ! Il ne faut surtout rien oublier car si on oublie le passé on se condamne inévitablement à le revivre. Je suis d’accord avec le philosophe qui a déclaré que la meilleure façon de revivre le passé c’est de l’oublier !
Guinéenews — Que pensez-vous de la réhabilitation de l’ancien régime par l’actuel ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Je ne suis pas d’accord sur une quelconque réhabilitation de l’ancien régime. Une telle réhabilitation signifierait que cet ancien régime a eu raison de faire ce qu’il a fait. Dans ce cas alors pourquoi l’avoir changé ?
A mon avis il faut clarifier la situation en s’éloignant cependant de toute haine, de tout esprit de vengeance, car la haine et la vengeance ne construisent pas et nous avons un impérieux devoir de construire —enfin— notre si beau pays, nous Guinéens…
Guinéenews: Existe-t-il un mémorial pour toutes les victimes du camp Boiro ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Il n’en existe pas. Et, personnellement, je le regrette. Il en faudrait un sur lequel on mettrait «Plus jamais ça » ou bien « Ô toi l’ami qui passes, souviens-toi ». Cela contribuerait à la réconciliation nationale !
Guinéenews — Après votre libération vous n’avez pas renoncé à la politique. Vous avez créé un parti politique, le PGP. Dans votre livre vous exposez votre vision institutionnelle de la Guinée. Vous préconisez le bipartisme. Pensez-vous qu’au regard de la situation actuelle où il existe des dizaines des partis politiques, y compris le vôtre, il est encore possible de tous les réduire à deux ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Je suis un solide et fervent partisan du bipartisme dans notre pays, car le multipartisme intégral — et l’expérience le confirme – engendre inévitablement des partis de caractère ethnique.
De toutes façons, des politiciens de très bas vol, incapables de présenter des programmes politiques cohérents se rabattront toujours sur leur ethnie pour y trouver des « militants » et des électeurs en avançant des arguments de caractère purement ethnique.
Le problème qui se pose pour le bipartisme c’est savoir comment choisir les deux partis qui seront retenus.
A mon avis, il s’agira, au départ, de proclamer le multipartisme intégral, avec la restriction qu’à l’issue des premières échéances électorales-les législatives par exemple — seules seront retenues, légalisées les deux formations politiques qui arriveraient en tête.
La méthode a l’avantage d’avoir un caractère démocratique puisque c’est le peuple qui se sera prononcé. D’autre part, elle obligera les différentes formations politiques à se regrouper dès le départ sur la base d’affinités politiques. Enfin, elle évitera ce que certains craignent à savoir que le Pouvoir ne crée son propre parti et ne finance un second parti qui serait à sa dévotion !
Guinéenews — Comment voyez-vous l’avenir de la Guinée ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Je suis optimiste, très optimiste quant à l’avenir de la Guinée. J’en dirai que c’est un pays d’avenir en raison de ses immenses ressources naturelles, de sa position géographique avec ouverture sur la mer, avec frontières communes avec six pays, en raison surtout de la diversité de l’ingéniosité et de l’ouverture d’esprit de sa population dans toute sa composition.
Je suis sûr que la Guinée jouera un rôle de premier plan dans la construction de la sous région ouest-africaine, d’un ensemble étatique cohérent solide, solidaire et viable que personnellement j’appelle de tous mes vœux et qui sera une étape à la construction de l’unité continentale africaine.
Guinéenews — Merci Monsieur Diallo. Pour terminer cette interview, nous livrons à nos lecteurs cette citation de notre invité extrait de son livre :
« Les précautions constitutionnelles, si importantes soient-elles, ne doivent jamais faire oublier au peuple de Guinée qu’il est et demeure le seul garant de sa liberté, de la réalité de la démocratie guinéenne, du respect de ses droits fondamentaux, du renforcement de son unité nationale. Dans ce domaine, il ne peut compter ni sur les Etats, africains ou non, capitalistes ou socialistes, toujours trop fortement retranchés derrière la raison d’Etat souvent simple déraison d’Hommes d’Etat et la non immixtion dans les affaires intérieures, ces monstres juridiques qui leur permettent de violer délibérément la morale, la loi naturelle, et la loi positive tout en affirmant très haut qu’ils ne font que la respecter… »