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Diallo Telli décroche 18 sur 20 pour son mémoire de fin d’études

Pendant leur scolarité à l’ENFOM, les étudiants doivent effectuer un stage pratique dans une juridiction : pour Telli, ce sera au parquet du tribunal de première instance du département de la Seine à Paris, où, par un arrêté du 11 mars 1952 signé du procureur général Béteille, il est nommé « attaché stagiaire non rétribué ».

A la fin de ce stage pratique, dont la notation compte évidemment dans le classement final de l’ENFOM, le substitut du service central, le 20 juillet 1953, formule les commentaires suivants : 

« M. Diallo Telli Boubacar, né en 1925 à Poredaka 6, Guinée française, a effectué en qualité d’attaché un stage au parquet de la Seine au service du petit parquet, du 6 mars 1952 au 1er avril 1953. Pendant toute cette période, M. Diallo n’a cessé de nous donner pleine et entière satisfaction. Aussi travailleur qu’intelligent, d’une distinction et d’une courtoisie parfaites, possédant une vaste culture générale et des connaissances juridiques très étendues, M. Diallo possède toutes les qualités requises pour faire un excellent magistrat. »

Les élèves de l’ENFOM doivent, pendant leurs études, rédiger un mémoire sur un sujet de leur choix dans le domaine relevant de leur section, c’est-à-dire le droit en ce qui concerne Telli, qui est en section magistrature. Il consacre à ce travail une bonne partie de l’été 1952 et met le 5 septembre le point final à son mémoire de quarante-neuf pages, consacré au « divorce chez les Peuls au Fouta Djallon ». 

M. Drouhet, directeur des études, attribue à ce texte l’exceptionnelle note de 18 sur 20. Dans son commentaire, daté du 5 juin 1953, il souligne les qualités éminentes du travail de Telli. 

« L’auteur sait de quoi il traite, parce qu’il est originaire de cette région de Mamou, dont il m’a souvent vanté les charmes, mais aussi parce qu’ayant fait de bonnes études juridiques, il a pu valablement s’intéresser à une question sur les chemins de laquelle l’a guidé la connaissance de notre droit civil.

L’auteur, qui suit un plan classique, nous introduit dans son sujet par le moyen d’une analyse minutieuse dans ce milieu paisible où se marier est une tradition, scandaliser un péché et divorcer parfois une nécessité. Il est remarquable que cette étude juridique crée l’ambiance ; les règles du divorce deviennent évidentes et ce n’est pas un des moindres mérites de l’ouvrage que de nous conduire par des routes que nous croyions avoir déjà suivies…

Pourtant, si le mémoire s’arrêtait là, il lui manquerait cette résonnance que l’élève a su lui donner par l’examen rapide de quelques profonds prolongements sociologiques. La conclusion, qui comporte un acte de foi dans la sagesse des règles islamiques en la matière, fait aussi un large accueil à la règlementation issue de la colonisation française et fonde son application bienfaisante sur des bases éprouvées (…).

Je souhaite que – aujourd’hui limité par les besoins du travail scolaire -, l’auteur de ce mémoire nous apporte un jour sa contribution plus complète à l’étude du divorce en Guinée.»

Le voeu ici exprimé rejoint certainement le souhait de Telli lui-même, qui n’envisage pas à l’époque d’autre carrière que juridique et judiciaire, et marque sa préférence primordiale pour le droit civil. Telli termine en effet son introduction par les phrases suivantes : 

« Une étude comparée, avec d’une part le divorce chez les autres principaux groupes ethniques de la Guinée et de l’autre le divorce organisé par le droit islamique et le code civil français, présenterait un réel intérêt. Mais elle dépasserait singulièrement le cadre de ce modeste mémoire Aussi me contenterai-je de l’évoquer brièvement, me proposant de reprendre, dans une enquête plus vaste, l’étude de la question plus générale des causes de dissolution du mariage, englobant, outre le divorce, le pré-décès d’un des conjoints et aussi les nullités du mariage.»

Sans vouloir en aucune manière entrer dans le sujet du mémoire, il paraît néanmoins fort intéressant de relever quelques appréciations que livre Telli dans ce texte et qui éclairent certains aspects de sa personnalité et de ses conceptions morales. Dès son avant-propos, il entend se situer clairement : 

« Peul et originaire du Fouta Djallon où il a passé toute sa jeunesse, I’auteur (…) s’est attaché à ce que son travail soit essentiellement tiré de son expérience personnelle, des faits multiples auxquels les circonstances l’ont mêlé dans la vie çommunautaire du village, des constatations qu’il lui a été donné de faire autour de lui.»

Car, selon lui, 

« les auteurs n’ont pas réussi à pénétrer l’âme peule et à comprendre sa délicate et toute particulière mentalité. Il est d’ailleurs juste de reconnaître, à leur décharge, que ce n’est point chose aisée. »

S’affirmant ainsi Peul, revendiquant même cette qualité avec une force qui ne se retrouvera dans aucun autre de ses écrits ou de ses affirmations ultérieures, Telli remarque que si

« les Peuls sont de tous les Africains de l’Ouest les plus profondément islamisés (…), en fait, leurs coutumes antiques demeurent vivaces à l’état latent et jouent un rôle infiniment plus important que les intéressés ne le soupçonnent ou ne consentent à l’avouer ». 

Diallo Telli note à plusieurs reprises dans son mémoire que

« le Peul est d’une discrétion exagérée. Aussi dans les familles dignes — ce qui n’est pas rare —, on évite dans toute la mesure du possible de porter ses différends en public (…). La grande discrétion caractéristique des Peuls et qui les pousse à tout supporter pour éviter le scandale — et le divorce en est toujours un, même réglé en famille — n’est pas, elle non plus, sans influence heureuse sur la stabilité des mariages ». 

Diallo Telli remarque aussi :

« l’opinion commune à tous les Peuls, opinion à laquelle l’islam n’est point étranger, selon laquelle la chance et le destin même de l’enfant dépendent pour une très large part, durant toute sa vie, et de la conduite de sa mère à l’égard de son père, de la joie qu’elle procure à son époux et des souffrances qu’elle supporte de sa part, et de son esprit de résignation et de soumission à la volonté de son mari ». 

Comment ne pas se souvenir, à lire ces notations, des difficultés qu’ont connues ses parents et des appréciations critiques que son père avait endurées alors que, tout jeune, Telli faisait ses études à Mamou ? Comment également ne pas penser aux épreuves que sa femme affrontera durant les années difficiles qu’ils devront vivre ? 
Comment ne pas évoquer non plus son expérience vécue lorsqu’il écrit que :

« l’épouse est toujours tenue de prodiguer des soins particuliers au jardin qui entoure sa case, d’avoir pour les bêtes du troupeau l’attention toute spéciale qu’elles méritent, d’entretenir jalousement l’intérieur de sa case et de présenter en temps opportun des mets bien apprêtés et servis dans des ustensiles irréprochables ; savoir cuire le fonio 7 et le couscous au lait caillé, traire les vaches, filer le coton, tresser des léfas 8 en vannerie, orner l’intérieur des cases à l’aide d’argile et de bouses de vache, était et demeure encore exigé de toute jeune fille peule. Le mari sur ce chapitre se montre exigeant. Il y va d’ailleurs de son honneur, car on épie les moindres défaillances et les commentaires malveillants se répandent très vite dans tout le pays ». 

Au passage, Telli se montre très sévère pour la justice indigène comme pour les juridictions coutumières françaises.
En ce qui concerne la première, il critique ces 

« pseudo-juges, choisis par le chef dans son entourage immédiat, et à qui il dicte bien fréquemment la sentence à rendre, sentence qui dépend souvent bien moins de l’examen objectif du litige que de la qualité et de la générosité des plaideurs (…). C’est là une des tares qui handicapent le plus fâcheusement l’organisation et la distribution de la justice indigène.

La nécessaire réforme exigera en premier lieu la solution du problème du recrutement du personnel judiciaire. Il faudra exiger d’abord de la compétence c’est le moins difficile. Il faudra encore toute une moralité qui fait actuellement défaut. Il faudra enfin créer une atmosphère professionnelle, susciter cet esprit d’indépendance indispensable chez le juge. Il est vivement souhaitable que celui-ci cesse d’être un courtisan pêtre un arbitre impartial, seul susceptible de mettre les plaideurs en confiance ».

Mais Telli n’est pas tendre non plus pour les juridictions coutumièrescoloniales. 

« Les plaideurs, écrit-il, ont également la faculté de porter leur litige devant les tribunaux coutumiers du premier et du deuxième degré, composés d’assesseurs indigènes et présidés respectivement par l’administrateur chef de subdivision et le comrnandant de cercle. Devant ces juridictions, la procédure est fort simple, toute orale. La loi applicable est la coutume des parties, tempérée par les dispositions de l’ordre public colonial.

La tare de ces juridictions est tout entière dans son personnel. (…) En pratique, seuls quelques anciens tirailleurs déséquilibrés et le personnel domestique des Européens s’adressent à ces juridictions que la masse des Peuls évite avec soin, tant à cause de la corruption des assesseurs, de la crainte des ordres des administrateurs, que de leur répugnance à porter en public ces questions, à leurs yeux essentiellement intimes ».

Ces quelques lignes dont le style rappelle celui d’un pamphlet politique plutôt que celui d’un mémoire universitaire, montre que notre jeune élève de l’ENFOM, avant même d’accéder à la magistrature professionnelle, a déjà des idées précises sur les défauts du système colonial et sur les réformes à y apporter. Et c’est certainement dans cette voie là qu’il songe sincèrement à s’engager dès la fin de ses études. 

Le contexte politique de l’époque en décidera autrement. Les qualités intellectuelles et humaines de Diallo Telli le feront rapidement sortir de la carrière vers laquelle il s’oriente et le conduiront vers un destin autrement remarquable, mais aussi autrement périlleux.

Troisième partie de la série de quatre consacrés aux jeunes années d’El Hadj Boubacar Telli Diallo tirés du Chapitre 1. Les Années d’Apprentissage du livre Diallo Telli. Le destin tragique d’un grand Africain que lui a consacré André Lewin l’ambassadeur de France en Guinée (1975-1979) et ami du tyran Ahmed Sékou Touré. Le livre entier est accessible gratuitement sur le site campboiro.org.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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