Guinée: Le retour aux cultures traditionnelles pour faire face à la crise
L’ami Ibrahima Kylé Diallo a écrit un billet intitulé « Jusqu’où supportera-t-on le coût du « kou » de Kankan?« , traitant de l’augmentation du prix de l’igname comme effet de la croissance de la consommation. Je reprends rarement les billets publiés sur d’autres sites, mais celui-ci m’a plus car il est bien écrit et sort des sujets trop souvent traités dans les blogs, en particulier guinéens et ensuite parce qu’il est à la première personne du singulier.
L’igname, photo de Ji-Elle commons.wikimedia.org
Je trouve que le fait que les guinéens se tournent vers la consommation commencent à privilégier les cultures locales, est une bonne chose si elle aboutissait à revigorer nos cultures traditionnelles. C’est simplement dommage, qu’ils le fassent par nécessité.
Cependant, dans ce cas, on doit dire que tous les maux ne viennent pas pour nuire. Mais ne le faites pas savoir au citoyen « alpha », car cela pourrait porter malheur, comme il est réfractaire à tout ce qui ferait du bien à notre peuple.
En Guinée où tous les coups sont permis, on ne meurt pas encore de faim mais on souffre de malnutrition. Si le riz reste l’aliment de base pour l’ensemble de nos populations, cette céréale devient de plus en plus un luxe pour l’immense majorité des Guinéens de l’intérieur. Par nécessité, beaucoup se rabattent sur d’autres aliments basiques : manioc, patates, fonio, taro, igname, bananes, etc. Chaque région naturelle s’est plus ou moins spécialisée dans un produit bien déterminé au point qu’on se retrouve avec des clichés à la vie dure.
Ainsi, l’évocation de produits alimentaires renvoie à une région voire à une communauté. C’est dans l’inconscient collectif. Quand, par exemple, on parle de poisson et de piment, on pense aux Soussous et à la Guinée maritime ; de fonio et de taro, aux Peulhs et à la Moyenne Guinée ; de karité et d’igname, aux Malinkés et à la Haute Guinée ; de manioc et d’huile de palme, aux habitants de la Guinée Forestière. Bien entendu, il n’y a aucune exclusivité régionale : l’huile et le vin de palme sont produits aussi bien en Forêt qu’en Basse Guinée. En plus du karité, la Haute Guinée fournit du riz comme, dans une moindre mesure, le fait le Fouta-Djallon. Dans une caricature il y a toujours une part de vrai.
Donc, revenons à un produit spécifique : l’igname. Ce tubercule des savanes est très répandu en Haute Guinée où il a d’ailleurs supplanté les céréales dans l’alimentation quotidienne. De goût plutôt agréable, cet aliment demeure néanmoins très constipant (j’en ai fait la douloureuse expérience pendant mon séjour universitaire dans la métropole kankanaise). Le « kougbè »ou igname blanc, appelé « kappè » en Peul, s’y consomme du p’tit dej au dîner. D’où son importance stratégique et l’inquiétude ressentie par l’élévation de son coût dans la mesure où « ventre vide n’a point d’oreille ».
Le soudain coût en flèche du « kou »(augmentation de 300% !) ne serait pas dû à une baisse de production mais à une demande subite des Foutano-Basse-côtiers, à laquelle s’est ajoutée une consommation locale ne connaissant pas de répit. Heureux Foutaniens qui reçoivent toujours des coups mais qui peuvent encore (jusqu’à quand ?) acheter le « kou de Kankan »!
Bien qu’il s’agisse d’une situation conjoncturelle, un espoir pourrait peut-être venir d’un endroit insoupçonné. Imagine-t-on Kankan sans son« kou » ? Aujourd’hui la situation géopolitique est telle que si la Haute Guinée éternue, c’est toute la Guinée qui s’enrhume !
Et si une pénurie de l’igname sauvait la Guinée ? L’aide financière de l’extérieur ne l’a pas sortie de la misère; un tubercule de l’intérieur pourrait-il faire notre affaire? Certes, ce serait exagéré de faire allusion au pétrole et de parler de « choc tuberculeux » en constatant l’augmentation du coût de l’igname. Cependant, son prix n’est plus à la portée du citoyen « lambda ». N’est-ce pas le concitoyen « alpha » qui a, encore, dans les mains une autre patate très chaude ?
Je vous salue !
Ibrahima Kylé Diallo