Mamadou Barry dit petit Barry, ancien directeur du Bureau de presse de Sékou Touré parle
Mamadou Barry dit petit Barry, ancien directeur du Bureau de presse de la présidence de la République, aborde dans cette deuxième partie de l’entretien qu’il nous a accordé, les conditions de détention des prisonniers sous le régime défunt, l’agression du 22 novembre et le rôle de Ismaël Touré dans la gestion des affaires de l’Etat…
Propos recueillis par Mamadou Dian Baldé L’Indépendant, partenaire de www.guineeactu.com
L’Indépendant : Combien de centres de détention existaient-ils en Guinée ?
Mamadou Barry dit Petit Barry : Les personnes arrêtées étaient envoyées soit au camp Boiro, soit au camp Alpha Yaya, soit au Camp Kémé Bouréma de Kindia, soit à Kankan. C’étaient la les centres principaux de détention. Il y avait également plusieurs centres de détention secondaires.
Y avait-il réellement des complices intérieurs qui ont aidé les Portugais et les mercenaires lors de l’agression du 22 Novembre 1970 ?
En ce qui nous concerne, nous les cadres de l’Information, nous avons été accusés (entre autres choses) d’être les complices des mercenaires qui ont agressé la Guinée le 22 Novembre 1970. Il était parfaitement clair que ces accusations étaient fausses. En effet, quand les mercenaires ont débarque sur la plage de la Minière, ils se sont dirigés directement vers la Villa de Fodé Mangaba ou avaient été regroupés un certain nombre de prisonniers du PAIGC, dont le fils d’un grand industriel portugais ; ils se sont ensuite rendus au domicile d’Amilcar Cabral, situé non loin de leur premier objectif .Ils ont mitraillé copieusement la villa dans l’espoir de tuer Cabral. .Fort heureusement, ce dernier était en voyage en Roumanie. Ensuite, les mercenaires portugais se sont rendus à la Case de Bellevue qu’ils ont incendiée.
Un second groupe de mercenaires a occupé le camp Boiro et libéré les détenus politiques (une des ailes du camp Boiro était réservée aux prisonniers du PAIGC).
Un troisième groupe a occupé le camp Samory ;
Un quatrième groupe a pris la Société nationale d’électricité (SNE) à Tombo.
Le groupe chargé d’occuper l’Aéroport a refusé de tirer (c’était un ressortissant de la Guinée- Bissau qui servait dans l’Armée Portugaise, mais qui a refusé d’attaquer un pays africain indépendant)
Les deux seuls centres névralgiques qui n’ont pas été occupés furent la Radiodiffusion Nationale et la Présidence de la République. C’est-à-dire que les mercenaires ne savaient même pas où se trouvaient les nouveaux studios de Boulbinet qui ont été construits grâce à l’assistance de la République Fédérale d’Allemagne et inaugurés en 1967. Les mercenaires avaient de vieilles cartes datant de l’époque coloniale qui indiquaient que la Radiodiffusion (appelée Radio Banane à l’époque) était située sur la rue du commerce non loin de l’hôtel Niger.
Si nous, nous étions complices des agresseurs, la première des choses aurait été de leur indiquer où se trouvait la Radio. Ils n’ont pas pu occuper la Radio et lire leur proclamation, et ce fut une des raisons de leur échec.
Et ce matin du 22 Novembre, j’ai été le premier à la Radio où j’ai trouvé un des techniciens de service Bamba … C’est moi qui ai lancé un appel à la population pour dire que le président se portait bien. Le matin du 22 Novembre, j’ai eu la chance de n’avoir pas été tué, parce que je suis allé à la Radio sans protection particulière. J’ai juste pris ma voiture et je me suis dirigé à la Radio après avoir été à la présidence. J’ai vu Sékou Touré rapidement, il m’a dit d’annoncer qu’il était vivant…
Deuxièmement, il est clair que l’agression a échoué parce que précisément les agresseurs ne disposaient pas de complices intérieurs organisés .Un complot préparé par tous les membres des Etats majors de l’armée, de la gendarmerie, de la police, dix sept (17) ministres sur vingt quatre (24) ainsi que les hauts cadres civils et militaires, peut-il échouer ? Soyons sérieux ! C’est vraiment incroyable !
Personne n’a donc expliqué à Sékou Touré qu’il n’y avait pas de complices intérieurs ?
Je vais vous révéler une chose. Une dizaine de jours après le 22 novembre Sékou Touré demanda à Alhassane Diop qui était ministre des PTT et chargé de l’état major de Conakry II, de faire une enquête pour déterminer s’il y avait des complices intérieurs à l’agression. Alhassane Diop mena son enquête. Ses conclusions étaient claires et nettes : il n’y avait pas de complices intérieurs.et c’est précisément la raison de l’échec des agresseurs. Les portugais, précisa Alhassane Diop, sont venus avec comme objectif de libérer les prisonniers du PAIGC. Ils savaient où ceux-ci se trouvaient aux (quartiers de la minière et au camp Boiro). Ils les ont libérés, en commençant par le fils d’un industriel portugais, un homme très riche qui aurait financé en partie l’opération.
Certains français auraient joué un rôle, mais juste en donnant des photographies aériennes de Conakry. Mais comme ce sont des cartes qui dataient de l’époque coloniale, elles n’étaient pas à jour. Par exemple, il n’y avait pas la Radio ; donc Alhassane Diop a dit cela à Sékou et aussi qu’ils sont venus avec des exilés guinéens qu’ils ont laissés sur les plages. C’était pour faire diversion et pour semer la pagaille. Parce qu’on ne sait même pas qui est derrière ces exilés guinéens. Ce sont des pauvres gens qu’on a ramassé par- ci par- là, à qui on a donné 10.000 ou 20.000 FCFA et qui n’ont presque pas subi d’entraînement.
Donc après avoir reçu son rapport, Sékou Touré dit à Alhassane Diop, je vois que tu es fatigué, tu a beaucoup travaillé pour le pays, tu as défendu la capitale Conakry, tu vas aller en Bulgarie pour te reposer, je te donne une bourse sanitaire.
Une fois Alhassane Diop parti, Sékou Touré confie la commission d’enquête à Ismaël Touré, son frère. Alors Ismaël au bout de 24 heures, dit à Sékou Touré, les complices se trouvent à tous les niveaux de l’administration du parti et de l’Etat. Et Alhassane Diop lui-même, est l’un des complices. C’est pourquoi il ne veut pas te dire la vérité.
Dès qu’Alhassane Diop est revenu de la Bulgarie en juin 1971, il a été arrêté.
C’est depuis la prise en charge par Ismaël Touré de cette commission d’enquête, et plus tard du comité révolutionnaire, que les arrestations de masse, ou plus exactement les rafles et les kidnappings ont atteint une dimension extravagante et un caractère tragique.
Ismaël Touré a confié à certains de ses amis que son objectif était la détention de 150.000 personnes ! Au cours des meetings, il disait avec fierté : nous avons arrêté tous nos ennemis, nous n’avons pas dit que nous allons les tuer tous, mais nous allons abréger leurs vies. Et il ajoutait en langue malinké, nous, nos ancêtres portaient des peaux d’hommes.» Voici donc un homme (Ismaël est-il, véritablement un homme ? Plutôt un monstre ! Un monstre qui a choisi son camp. Le camp de Soumaoro le sanguinaire, par opposition à Soundjata le libérateur !
Pouvez-vous donner plus de détails sur le rôle d’Ismaël Touré dans le montage des complots ?
Je vais vous raconter une histoire. Une fois nous avons été voir notre ministre de Domaine, chargé de la supervision de l’Information, c’était le général Lansana Diané. On a donc été voir, accompagné de notre ministre Alpha Ahmadou Diallo .Au nom du groupe, j’ai pris la parole. Je lui ai dit camarade ministre, on a arrêté beaucoup de nos camarades. Nous avons écouté ce qu’on a raconté sur eux, mais nous n’y croyons pas. J’ai donné l’exemple de la voiture de mon ami Mamadou Alpha Baldé dit Marlon. Ils ont dit que ce sont les Allemands qui lui ont donné cette voiture (le salaire de la trahison!) J’ai dit c’était faux. Cette voiture il l’a achetée à Paris. Il n’avait du reste pas assez d’argent, c’est mon grand père qui était à Paris (Dr Sékou Hann) qui a bien voulu l’aider en donnant la somme manquante avant d’embarquer la voiture pour Conakry.
Alors le général Diané a répondu, je vous comprends. Mais il y’a un extrémiste au sein du BPN (suivez mon regard) qui dit qu’il faut arrêter tout le monde. Il dit que moi-même je devrais être arrêté. Parce qu’il se demande encore pourquoi les mercenaires m’ont libéré après m’avoir enfermé dans une cellule du camp Boiro le 22 Novembre !
Quand il y a eu l’attaque du 22 novembre, le général Diané est venu au camp Boiro vers 3 heures du matin pour voir ce qui se passait. Il a trouvé que les mercenaires avaient libéré les détenus. Certains de ces détenus l’ont montré du doigt en disant que c’est lui qui était le président du comité révolutionnaire qui les avait condamnés en 1969. Donc les mercenaires ont pris le Général Diané et l’ont enfermé dans une des cellules du camp Boiro. Vers la matinée, sentant le vent tourner plus ou moins, le jeune Ibrahima Barry, l’un des exilés mercenaires qui est rentré et qui a fait occuper le camp Boiro, a libéré Lansana Diané. Quand le Général Diané est sorti, il est allé voir le président pour lui dire qu’il a été arrêté, mais qu’il a eu la chance d’être libéré.
Sékou Touré lui demanda de ne pas raconter cette histoire, mais de dire aux gens qu’il a réussi à s’évader en sautant les murs de la prison !
Mais le général Diané nous a expliqué qu’Ismaël le considérait comme un suspect qui devait normalement être arrêté.
Et le Général Diané d’ajouter : moi-même j’ai un ami qui a été arrêté, je sais qu’il est innocent, c’est Elie Hayek (un commerçant libanais) de Labé, je le connais. Il ne se mêle pas de politique. Mais tout ce que je peux faire, c’est d’acheter un mouton pour faire un sacrifice pour lui C’est tout ce que je peux faire pour lui. Puisqu’on a dit, si tu interviens pour un membre de la 5ème colonne, tu deviens toi-même membre.de cette même 5ème colonne. Notre ministre nous dit qu’il ne peut rien faire pour nous. Tout ce qu’il nous recommande, c’est de faire des sacrifices pour nos amis qui ont été arrêtés.
Chacun attendait son tour tout en se disant en son fort intérieur que rien ne lui arrivera car il est innocent.
Nous étions jeunes, nous étions très naïfs. Nous ne pouvions pas imaginer qu’il pouvait exister des « criminels sans crimes, et des opposants objectifs du fait de leur appartenance à une certaine catégorie sociale » .
C’est plus tard que nous apprîmes qu’une circulaire avait été envoyée à tous les départements ministériels et à toutes les fédérations leur enjoignant de confectionner des listes des éléments douteux. Par exemple, dans le quartier où tu vis, si le comité ne te voit pas souvent aux réunions, tu es considéré comme un élément douteux qui peut être dénoncé. C’est pourquoi à un moment donné, on pouvait dénoncer tout citoyen. Ce qui fit dire à Sékou Touré que désormais, « Tout le peuple est gendarme ». Ce n’est pas lui qui arrête les gens et quand on venait lui annoncer que tel ou tel compagnon de lutte avait été arrêté, il répondait ‘’ce n’est pas moi’’. On t’a dénoncé. Mais qui t’a dénoncé ? C’est le peuple, ce n’est pas moi qui arrête. Il y a eu naturellement des règlements de compte. Des gens qui dénonçaient telle ou telle personne pour des raisons très souvent inavouables qui n’avaient rien à voir avec la politique.