La Mauritanie persiste et signe dans son racisme anti-Noir systémique
En Mauritanie, pays de populations mixtes, le gouvernement reste sourd aux revendications du mouvement Black Lives Matter (BLM) et continue une politique de racisme anti-Noir systémique.
L’image choc du “George Floyd mauritanien”
Alors que le monde entier s’indigne de la mort de l’Afroaméricain George Floyd, une photo datée du 23 juin illustrant deux policiers appliquant “un plaquage ventral” pour immobiliser un homme noir en posant un genou sur sa nuque dans la région d’El-Minaa, dans la banlieue sud-ouest de Nouakchott, capitale de la Mauritanie, a été reprise par de nombreux médias, dont la chaîne de télévision France24. L’image choquante a également été publiée dans de nombreux tweets:
“This image reminds us of what happened to George Floyd, but it also reminds us that we have a lot of work to do in Mauritania”https://t.co/eMGcSxLPYq
— Middle East Eye (@MiddleEastEye) June 23, 2020
Cette image nous rappelle ce qui est arrivé à George Floyd, mais elle nous rappelle aussi que nous avons beaucoup de travail à faire en Mauritanie”
Quelles que soient les raisons pour lesquelles cet individu a été appréhendé par des policiers, cette image a choqué car elle a lieu en Afrique et évoque la méthode utilisée par le policier américain Derek Chauvin, le à Minneapolis, dans le cadre de la mort de George Floyd.
La société mauritanienne: une pyramide raciale qui semble résister à tout changement
De nombreux observateurs expliquent en partie le comportement de la police en raison d’un racisme systémique toujours présent dans le pays. En effet, en Mauritanie, c’est de la couleur de la peau que dépend souvent la place d’un individu dans une société qui a aboli l’esclavage à une date aussi tardive que 1980.
En haut de l’échelle se trouvent les Beidanes, d’origine arabo-berbère qui constituent 53 pourcent de la population, et sont aussie appelés Maures blancs. Puis viennent les Noirs libres; une population mixte composée d’individus de plusieurs ethnies qui représentent environ 13 pourcent de la population. Et en bas de l’échelle se trouvent les Haratins, ou Maures noirs qui constituent 34 pourcent, et sont les descendants d’esclaves des Beidanes.
Malgré cette diversité culturelle et ethnique l’essentiel du pouvoir économique, politique et militaire est concentré dans les mains des Beidanes. Par exemple, dans l’armée la “quasi-totalité des trente-quatre généraux mauritaniens sont des Maures blancs”.
Cette exclusion, si visible dans les hautes sphères de l’armée, concerne tous les Noirs, c’est-à-dire au total 47 pourcent de la population, et se retrouve dans tous les domaines. A ce propos voici ce qu’écrit Ciré Ba, un mauritanien, militant des droits de l’homme vivant à Paris sur le site malien malijet.co:
L’exclusion au sein de l’armée n’est jamais que le reflet du racisme systémique qui est l’essence même de l’Etat mauritanien. On peut l’observer à tous les autres échelons de la vie nationale, qu’il s’agisse de la fonction publique et notamment la haute administration, de l’enseignement, de la santé, de l’information, de la vie économique. La politique d’assimilation par la langue arabe n’en est qu’une manifestation en format réduit.
Malheureusement, au lieu de remédier à cette exclusion des Noirs du partage du pouvoir, les autorités multiplient les initiatives iniques. C’est dans ce cadre qu’il faut situer le recrutement de 47 élèves officiers à l’exclusion de toute personne noire, comme le souligne un commentaire de Dénonce le racisme publié sur sa page Facebook en septembre 2019:
L’annonce du recrutement de 47 élèves officiers l’armée nationale sans aucun Haalpulaar, Soninké, ou Wolof [trois des principales ethnies noires du pays] est un énorme scandale. Et, au regard du principe de l’égalité, entre les citoyens, ce recrutement est une continuité de la politique du sabotage à l’encontre de la quiétude sociale. À travers de tels agissements, de ces décisions iniques et des politiques injustes, on pousse à certains à sentir qu’ils n’ont pas de place dans ce pays
Izzo Wane, ancien chercheur mauritanien de la Silicon Valley raconte le 6 juin son expérience du racisme sur un blog:
La discrimination raciale est toujours présente dans mon pays d’origine. Je l’ai remarqué pendant mon dernier séjour au pays il y’a quelques mois alors que beaucoup de gens proches me disaient que c’était « normal » et que j’avais « juste trop duré à l’étranger ». Je suis certain que presque chaque Mauritanien noir a vécu dans sa vie un incident, souvent traumatisant, lié à sa couleur de peau… Il y’a quelques jours à peine, Abass Diallo, un Mauritanien noir a été assassiné par l’armée.
Les réactions se sont multipliées sur Twitter:
Mauritanie : l’arrestation du “George Floyd mauritanien” indigne la communauté noire https://t.co/NiI9tZ6NpS pic.twitter.com/w4AhjrlPoz
— FRANCE 24 Français (@France24_fr) June 24, 2020
De nombreuses réactions font aussi appel à une solidarité panafricaine. Ainsi, certains internautes, comme Manteya Freitas (@ManteyaF) invitant les dirigeants africains à prendre position:
Il faut que les autres dirigeants s’expriment à ce sujet… ils sont Charlie mais ils ferment les yeux à cette injustice/intolérance qui se passe dans leur continent. C’est pas l’Afrique de Lumumba, Nyobe, Cabral et Sankara. Réveillons nous et sanctionnons la Mauritanie
— Manteya Freitas (@ManteyaF) June 26, 2020
Le site ivoirien iciabidjan (@iciabidjancom) rappelle qu’en Mauritanie, l’esclavage demeure une pratique courante:
Suite à la mort de George Floyd aux…États Unis, l’UA et la CEDEAO ont réagi et exprimé leur indignation. C’est bien. Ces 2 institutions savent elles que sur le continent même, en Mauritanie entre autres, l’esclavage est une pratique courante? Balayons devant notre porte… pic.twitter.com/ihPZOS5x3Y
— iciabidjan (@iciabidjancom) June 11, 2020
Les autorités mauritaniennes devraient se rendre compte le fait de se situer entre l’Afrique du nord et l’Afrique subsaharienne représente un atout certain qu’elles pourraient transformer en réelles opportunités. Mais pour cela, elles devraient cesser leurs politiques d’exclusion et de discrimination de près de la moitié de leur population.
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J’ai écrit ce billet pour globalvoices.org qui l’a publié le 15 juillet 2020.