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Les couts humains de la gouvernance basée sur les « faux complots » du tyran Sékou Touré

sur les dix-sept membres qui composaient le bureau politique du Parti démocratique de Guinée au lendemain de l’indépendance, six seulement jouent encore un rôle à la fin du complot dit des Peuls en 1976

La gouvernance de Sékou Touré était largement basé sur les liens liés familiaux. Par exemple, la du bureau politique  et du gouvernement était inspirée par ces liens.

Le professeur Ibrahima Baba Kaké explique dans son livre Sékou Touré: le héros et le tyran les conséquences de cette gouvernance sur le personnel de haut niveau, ceux qui auraient pu contribuer à mettre en valeur les ressources du pays.

Le système de gouvernement par la méthode du complot permanent n’est évidemment pas sans effet sur la composition de la classe dirigeante. Le vide, petit à petit, se fait autour du dictateur aux abois. C’est ainsi que sur les dix-sept membres qui composaient le bureau politique du Parti démocratique de Guinée au lendemain de l’indépendance, six seulement jouent encore un rôle à la fin du complot dit des Peuls en 1976 :

Les autres ont été tous limogés et parfois emprisonnés, quand ils ne sont pas morts-de mort naturelle ou exécutés, comme Camara Bangali ou Mme Camara Loffo
A la même date, le gouvernement constitué au lendemain de l’indépendance a déjà vu dix de ses membres arrêtés et emprisonnés. Cinq d’entre eux au moins ont déjà péri, tandis que les autres ne donnent plus de leurs nouvelles. Suite au débarquement des opposants et de leurs alliés portugais, plus récemment, seize membres du gouvernement sur vingt-quatre ont été arrêtés.

Du côté des ambassades, la répression est encore plus dévastatrice. Sur les trois ambassadeurs qui se sont succédés à Paris avant Seydou Keita, en 1975, le seul à avoir échappé à la prison, Nabi Youba, est condamné à mort par contumace. Il en est de même pour les représentants de la Guinée à Moscou où, sur cinq personnalités accréditées, l’une a été fusillée en 1965, deux se trouvent au camp Boiro et deux autres sont en fuite, le dernier après avoir abandonné son poste et sa famille.

Amara Touré, le demi-frère, analphabète, se retrouve ingénieur agronome !

Sur les cinq ambassadeurs affectés à Washington, un seul a réussi à s’en sortir, El Hadj Mory Keita. La même hécatombe a frappé les chancelleries de Pékin, d’Alger, de Bonn et de Berlin-Est.

Le corps des officiers a lui aussi été pratiquement décimé. En 1971, le dictateur déclarait aux membres de la commission d’enquête des Nations unies venus à Conakry que tous les commandants de garnison et 90 % des membres de l’état-major de l’armée étaient des comploteurs.

Et du côté des gouverneurs (préfets) la situation est à peine meilleure: sur les trente en fonction en 1971 plus de la moitié ont été arrêtés. En 1976, des artistes, des footballeurs, des miliciens, des médecins, des ingénieurs, des commerçants croupissent en cellule depuis des années, à côté de militants de la première heure comme El Hadj Mamadou Fofana, Jean Faragué Tounkara ou Emile Condé ou d’anciens espoirs du parti tel l’ex-secrétaire général de la Panafricaine des jeunes Idrissa Traoré. Un écrivain officiel , Emile Cissé, auteur de Et la nuit s’illumine, pièce primée au festival panafricain d’Alger (1969), est mort d’inanition dans une cellule du camp Boiro en 1971. Quant à l’ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Kassory Bangoura, il a également succombé au régime de la diète noire. Les femmes n’ont pas été épargnées par ces purges de type stalinien. Elles ont été arrêtées par dizaines en 1970 et 1971. Parmi ces victimes du régime, de grandes passionarias de la révolution, dont la voix était familière à toutes les tribunes internationales: Soumah Tiguidanké, Fatou Touré, Diédoua Diabaté, etc. En 1976, elles étaient encore nombreuses au camp Boiro. Le maniement du complot, une technique de gouvernement particulièrement efficace ? Uniquement, bien sûr, dans la mesure où elle a permis au leader guinéen de rester au pouvoir jusqu’à sa mort.

Mais n’était-ce pas son objectif quasi unique si l’on en croit l’ancien professeur de lettres en Guinée, Yves Benot, qui écrit dans son livre Les Idéologies de l’indépendance africaineLe régime de Sékou Touré, c’est le « stalinisme moins le magnitogorsk » [ville industrielle entendant par là que la répression ne s’accompagne pas de développement économique. La seule préoccupation du chef de l’Etat guinéen semble être de prendre de vitesse ses ennemis. Peut-on vivre ainsi indéfiniment ? Comme le disent les sages africains, le bébé qui s’acharne par ses pleurs nocturnes à empêcher sa mère de dorrnir ne parvient pas lui-même à dormir pendant ce temps-là.

On a quelques raisons de croire que Sékou Touré en fait se montrait parfois sensible au grand vide créé autour de lui. L’ambassadeur français André Lewin, un des rares intimes européens du dictateur, nous révèle cet aspect particulier de sa personnalité quand il dit:

Il m’est souvent arrivé de l’interroger sur des hommes comme Camara Balla, Karim Bangoura, Noumandian Keita, Keita Fodéba, Diallo Telli. Il n’éludait pas la question. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il évoquait volontiers ses anciens collaborateurs et amis condamnés à mort ou exécutés (la même chose dans son esprit).

Au sujet de Camara Balla, il m’a dit à quel point il avait apprécié de le voir se mettre au service de la Guinée en 1958, alors qu’il aurait pu faire une brillante carrière ailleurs; il avait été un excellent ministre et il concluait laconiquement:

— « C’est dommage, il a trahi. »
Paradoxalement dans ces récits, il adoptait plus le ton d’un ami déçu que d’un procureur. Je lui ai dit un jour :
— « Vous avez laissé éliminer des hommes qui étaient plus fidèles à la révolution que ceux qui vous entourent maintenant.»
Il a approuvé sans réticences.

Nous n’irons pas jusqu’à dire avec l’ambassadeur André Lewin que deux aspects totalement contradictoires se conciliaient en la personne de Sékou Touré, d’un côté le tyran haï et haïssable et de l’autre côté un personnage bonhomme et paternel. Nous avons plutôt été frappé par son aptitude à bâtir et à nourrir sinon son bonheur —qui sait s’il fut heureux ?— du moins son pouvoir et celui de son entourage sur le malheur du plus grand nombre. Plus le peuple souffrait, mieux le dictateur et les siens se portaient. Car si Sékou Touré fait preuve d’une sollicitude plus que mesurée envers la population, il n’en est pas de même avec ses proches. Voilà pourquoi il n’est certes pas inutile de présenter succinctement le clan familial, autrement dit le cercle étroit des premiers bénéficiaires du régime.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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