Des prisonniers politiques non jugés pour la plupart, ont été retirés de différentes prisons et transférés vers des lieux d’exécution secrets, selon Amnesty International
Une mission envoyée en Guinée par Amnesty International en décembre 1981 nous révèle les lieux et les conditions de détention des prisonniers politiques. Mais dans la Guinée de Sékou Touré, le terme même de prisonniers politiques est à revoir car n’étaient pas arrêtés que ceux qui avaient des ambitions politiques ou qui auraient pu oser prendre position contre le régime. Celui qui était surpris dans la rue avec des habits neufs pouvait être arrêté, qui avait une femme qui plaisait à un ponte du régime pouvait se retrouver parmi des personnes accusées d’ourdir un complot, comme le citoyen lambda qui ne pouvait présenter une pièce d’identité à un des nombreux points de contrôle ou un médecin qui prescrivait un médicament quelle malade ne trouvait pas à la pharmacie.
Mais que l’on ne s’y trompe pas! Dans un pays soumis aux diktats d’un tyran qui a fait du mensonge et du camouflage une méthode de gouvernement, le régime avait bien organisé pour que AI ne voit que ce qu’il jugeait bon de lui faire voir. |
Exécutions secrètes
La nuit du 25 janvier 1971, un grand nombre de prisonniers politiques non jugés pour la plupart, ont été retirés de différentes prisons dans toute la Guinée et transférés vers des lieux d’exécution secrets. C’est ainsi que plusieurs centaines de prisonniers ont été retirés de leurs cellules du Camp Boiro: on ne devait plus jamais les revoir ni en entendre parler. On rapporte qu’un grand nombre de prisonniers au camp Kémé Boureima, à Kindia et dans les camps Alpha Yaya et Samory de Conakry, ont également été emmenés pour être exécutés la même nuit. Plusieurs autres vagues d’exécutions ont eu lieu en 1971, surtout en juillet et aout.
Pendant la mission d’AI en Guinée, ses représentants ont remis aux autorités une liste de 78 prisonniers « disparus », dont on sait qu’ils n’ont été ni condamnés à mort ni libérés, et a demandé des informations à leur sujet. Les autorités ont accepté de les fournir dans les mois qui suivraient la mission, tout en déclarant cependant, qu’elles ne fourniraient à la délégation aucune information sur les morts en prison.
Détention au secret et sans jugement
La « diète noire »
A la suite des vagues d’arrestations de 1970, 1971 et 1976, la « diète noire » aurait été appliquée à des prisonniers qui se révélaient insuffisamment « coopératifs » au cours des séances de torture accompagnant les interrogatoires, et refusaient d' »avouer » leur participation à une conspiration internationale dirigée contre le gouvernement. La plupart des prisonniers soumis a la « diète noire » seraient morts en quinze jours, dans des souffrances atroces.
Selon des témoins, on entendait souvent, dans tout le bloc pénitentiaire du Camp Boiro, les hurlements et les gémissements des prisonniers affamés. Les prisonniers nouvellement arrivés au Camp Boiro étaient systématiquement soumis à de brèves périodes de privations de nourriture et d’eau, habituellement d’une durée de trois à cinq jours. A la suite de ce traitement de nombreux prisonniers étaient si affaiblis physiquement et mentalement qu’ils étaient disposés à « avouer » au cours du premier interrogatoire.
Les prisonniers qui résistaient et ne fournissaient pas d' »aveux satisfaisants » étaient souvent torturés et soumis à de nouvelles périodes de privation d’eau et de nourriture. Selon les informations qu’a reçues Al, les prisonniers que les autorités destinaient a la « diète noire » (et donc mourir de faim) avaient, inscrites à la craie sur la porte de leur cellule, les lettres « DN ». Ceux qui ne devaient être que temporairement privés de nourriture avaient la lettre D sur leur porte.
Autres types de torture
Le nombre de prisonniers qui sont morts sous d’autres formes de torture ou en conséquence directe de ces tortures n’est pas connu, mais on le chiffre officieusement a une centaine au moins. Les techniques de torture utilisées auraient été, rapporte-t-on, des décharges électriques a la tête, aux membres et aux parties génitales, de sévères passages à tabac, à coups de poing, de baton et de fouet, ainsi que des brûlures de cigarettes.
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Des victimes ont également eu la tête immergée jusqu’à perdre connaissance ou ont été suspendues par les chevilles. Beaucoup ont subi des lésions graves et ont eu les membres partiellement paralyses après être restés pendant des heures étroitement ligotés avec des fils métalliques.
De nombreux rapports indiquent de façon convaincante que les 78 prisonniers énumérés sur la liste des prisonniers soumise aux autorités ont tous été tués par l’une ou l’autre des méthodes décrites ci-dessus.
Un grand nombre d’autres prisonniers sont morts en conséquence directe des très dures conditions d’emprisonnement, en particulier celles des camps Boiro et Kémé Bouréma. Dans ces deux camps, les prisonniers étaient tenus dans des conditions de surpopulation et d’insalubrité déplorables et à peine nourris. L’assistance médicale était pratiquement inexistante, et l’on considdre que de nombreux prisonniers sont morts de malnutrition et de maladie. En 1974, par exemple, plus de 250 ont été officieusement rapportés sur une période de six mois pour une seule section du camp Boiro.
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Un nombre inconnu d’opposants réels ou présumés seraient depuis longtemps maintenus au secret sans jugement — les estimations varient entre 70 et plusieurs centaines. Au cours de sa mission de décembre 1981, Al a exprimé aux autorités la préoccupation que lui inspirait ces emprisonnements sans jugement et leur a demande la libération ou la mise en jugement, dans les plus brefs délais, des 22 prisonniers politiques nommément désignés. L’organisation estime qu’aucun d’entre eux n’a été jugé et qu’il s’agit de prisonniers d’opinion.
La délégation a soumis aux autorités la liste des noms de ces 22 détenus. Les autorités ont affirmé a la délégation que les 22 prisonniers restés en detention avaient tous été jugés et condamnés, et elles ont accepté de fournir des précisions supplémentaires sur les chefs d’accusation retenus contre chacun d’eux, ainsi que les sentences, dans les mois qui suivraient le départ de la mission. Elles ont aussi affirmé à la délégation qu’il n’existait aucun prisonnier d’opinion» en Guinée, les prisonniers politiques de ce pays ayant participé ou s’étant rendus complices de tentatives visant a renverser le gouvernement par la violence. A l’heure où nous mettons sous presse, l’organisation n’avait cependant reçu aucune information concernant les 22 détenus. La plupart d’entre eux avaient été arrêtés entre 1977 et 1981