Renvois de migrants vers les camps infernaux de Libye : l’Italie doit s’expliquer
Bien qu’elles aient repris depuis quelques jours, avec tous les drames qui les accompagnent, les arrivées de migrants sur les cotes italiennes avaient fortement baissé. Les chiffres indiquent une forte réduction amorcée en juillet, se réduisant au minimum en août. Du 1er juillet au 25 août 2017, par rapport à la même période de 2016, elles ont chuté de 68%. De 44 846 l’an dernier à 14 391 cette année.. On a enregistré le record absolu de réduction en août, avec une chute de 86%.
Ces réductions que de larges franges de l’opinion publique et de la politique apprécient sont le résultat d’un accord passé entre les gouvernements italien et libyen d’une valeur de 270 millions d’euros, d’ici à 2026, pour le renforcement de la capacité libyenne de gestion de ses frontières maritimes et terrestres, avec l’engagement de la marine militaire, des avions et des drones. En d’autres termes, les embarcations transportant des migrants sont bloquées par tous les moyens et refoulées.
La signature d’un tel accord est contraire aux engagements internationaux que l’Italie a signés sur la protection des migrants, considérant les graves violations des droits humains à leur égard que le HCR et les ONG ont signalées à plusieurs reprises. Les institutions européennes elles-mêmes sont dubitatives et somment l’Italie de s’expliquer.
Dans ce billet Sofia Antonelli de la Coalition italienne des libertés civiles et des droits de l’homme (CILD) donne quelques détails.
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a demandé à l’Italie de donner des explications sur son accord conclu avec la Libye concernant les retours de migrants.
« Un véritable risque de torture »
Dans sa lettre adressée au ministre de l’Intérieur italien, Niels Muiznieks demande comment l’Italie compte garantir la protection des migrants interceptés dans les eaux territoriales libyennes et renvoyés dans les camps de détention infernaux du pays africain. Le Commissaire aux droits de l’homme souhaite savoir « quelles garanties l’Italie met en place en vue de s’assurer » que les migrants interceptés ne soient exposés à la torture ou à des traitements inhumains.
Le Commissaire a souligné notamment qu’ « à la lumière des récents rapports des Nations Unies et d’autres organisations gouvernementales portant sur la situation actuelle des migrants en matière de droits de l’homme en Libye, qui, à mon avis, n’est en rien meilleure qu’en 2012, renvoyer des individus et les remettre aux mains des autorités libyennes et d’autres groupes en Libye les expose à un véritable risque de torture et de traitements inhumains et dégradants ou sanctions ».
En outre, le commissaire des droits de l’homme a demandé à l’Italie si, « à la lumière du Code de conduite récemment adopté et destiné à s’appliquer aux ONG impliquées dans les opérations de sauvetage en mer […], les mesures visant à assurer que les missions de recherche et le sauvetage en Méditerranée peuvent continuer d’être menées efficacement et en toute sécurité ».
Le Commissaire aux droits de l’homme a également rappelé à l’Italie l’État a été reconnu coupable d’avoir violé l’Article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en 2012, quand ce dernier a renvoyé des migrants interceptés vers la Libye, et a souligné en quoi « le fait que de telles actions soient menées dans les eaux territoriales libyennes ne dispense pas l’Italie de respecter ses obligations en vertu de la Convention. »
L’Italie sur la corde raide?
Peu de temps après, le ministre de l’Intérieur Minniti a envoyé sa lettre de réponse au Commissaire Muiznieks. La réponse montre clairement que le ministre de l’Intérieur se trouve sur la corde raide dans la gestion de cette situation, estime Matteo Villa, directeur du programme migratoire ISPI. En effet, Minniti a affirmé qu’aucun navire italien, de la Marine ou d’une autre institution, n’avait jamais pris part à des activités de refoulement vers la Libye. Sa réponse souligne que la coopération de l’Italie avec les autorités libyennes se font dans le cadre d’une mission de renforcement des capacités, et ne constituent pas une mission de refoulement.
Le message que le ministre de l’Intérieur a tenté de délivrer est le suivant : étant donné que l’Italie ne remet pas les migrants interceptés à la Libye, elle ne peut être tenue responsable de tout retour forcé illégal.
M. Minniti a également indiqué que « l’Italie ne sous-estime pas le respect des droits de l’homme en Libye, et, au contraire, les considère cruciaux, en faisant ainsi un point essentiel dans la stratégie globale développée par le gouvernement.
Malgré ce discours, sa lettre contient des références imprécises à des garanties mises en place par son gouvernement visant à s’assurer que personne ne soit exposée au risque de torture ou tous types de mauvais traitement. Sa lettre ne contient pas non plus de réponse à la question du Commissaire concernant le Code de conduite destiné aux ONG et sur l’ « efficacité et sûreté » de leurs opérations.
Coalition italienne des libertés civiles et des droits de l’homme
Fondée en 2014, la Coalition italienne des libertés civiles et des droits de l’homme (CILD) soutient et habilite les groupes de la société civile qui travaillent à résoudre certains des problèmes des droits humains les plus pressants auxquels fait face le pays aujourd’hui, et cela par une combinaison du renforcement des capacités de l’analyse politique, le plaidoyer, la stratégie des médias et de l’éducation publique. Son travail est coordonné par un secrétariat qui comprend actuellement plus de 30 organisations nationales de la société civile travaillant principalement sur la migration et la protection internationale, LGBTI, les droits des prisonniers, la réforme de la politique des stupéfiants, la liberté d’expression, l’accès à l’information, la transparence et la responsabilisation au niveau local et national.
Elle fait partie du réseau Civil Liberties Union for Europe (Liberties) qui oeuvre pour la promotion des libertés civiles de toutes les personnes au sein de l’Union européenne (UE). Le siège se trouve à Berlin et nous sommes également implantés à Bruxelles.