Ouganda: Enjeux pétroliers et risques environnementaux
Lorsqu’on visite l’Ouganda, ce qui frappe le plus c’est sa riche biodiversité: paysage verdoyant, papillons, fleurs et animaux de toutes les espèces, sans oublier les nombreux lacs riches en espèces sous-marines. Il n’est pas rare dans certains quartiers de la capitale de voir des singes qui sautent dans les arbres ou marchent sur les toits.
L’Uganda Wildlife Authority (UWA) rappelle qu’elle gère dix parcs nationaux offrant le meilleur de l’Afrique de l’Est. L’Ouganda, la « Perle de l’Afrique », exhibe plus de 1000 espèces d’oiseaux – dont plusieurs ne se trouvent nulle part ailleurs sur la planète, 13 types de primates, y compris plus de la moitié des gorilles de montagne en voie de disparition dans le monde; et notre plus proche parent – le chimpanzé. Le seul Parc national Reine Elizabeth, qui couvre près de 2000 Km carrés, compte 57 types de plantes et d’arbres différente, 95 espèces de mammifères et plus de 600 espèces d’oiseaux.
La croissance du tourisme est réel. Devant les envois de fonds des émigrés et le café, ce secteur a constitué l’année dernière la principale source de revenus en devises pour le pays avec 1,4 milliard $ de contribution pour l’exercice 2013/2014, contre 1,1 milliard $ l’année précédente.
Cette richesse environnementale risque de subir de profonds bouleversements. En effet, des réserves importantes de pétrole ont été faites, en particulier dans le lac Albert. Celles-ci sont les troisièmes réserves les plus importantes de l’Afrique subsaharienne, derrière celles du Nigeria et d’Angola. Ces réserves pourront faire de l’Ouganda un des premiers pays exportateurs, après avoir satisfait ses besoins internes.
Tourisme et économie verte ou pétrole, pollutions et dollars?
Dans le billet suivant, Gaël Grilhot nous décrit les enjeux pétroliers et les risques environnementaux.
Or noir en Ouganda: des promesses mais aussi des risques
Avec 5% de croissance par an et une relative stabilité politique, l’Ouganda est l’un des pays est-africains les plus en forme du moment, même si la population reste majoritairement parmi les plus pauvres du continent. L’annonce de la découverte de réserves en quantité de pétrole a logiquement fait naître des espoirs importants. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, et de nombreux problèmes se posent encore, comme les conséquences sociales et environnementales d’un tel projet.
Augmentation du nombre des fonctionnaires, construction de routes, d’hôpitaux… A l’approche des élections générales de février 2016, fleurissent les promesses d’investissements en cas de victoire de l’un ou de l’autre camp. Les candidats à la présidentielle notamment se basent en partie sur les futures ressources issues de la manne pétrolière pour financer leurs programmes très généreux. Avec la découverte de près de 6,5 milliards de barils de réserves, dont 1,4 directement exploitable, l’Ouganda devrait en effet prochainement entrer dans le cercle des producteurs de pétrole africain.
L’or noir, qui sera exploité par trois compagnies – la Française Total, la Chinoise CNOOC et la Britannique Tullow -, devrait générer plusieurs centaines de millions de dollars de revenus pour le pays. « Le processus d’analyse par le ministère de l’Energie des plans de développement soumis par les compagnies pétrolières en est à sa phase finale, explique Ahlem Friga-Noy, porte-parole de Total E&P Ouganda. Il devrait aboutir à la délivrance prochaine des licences de production. »
Mais la localisation des futures zones d’extraction pose problème. Avec ses 76 sortes de mammifères, ses 450 espèces d’oiseaux, et une flore remarquable, la réserve naturelle des Murchison Falls est l’une des plus anciennes zones naturelles protégées du continent. Un rendez-vous incontournable pour les amateurs de grands singes, d’éléphants ou autres rhinocéros, et une source de revenus touristiques non négligeables pour le pays (8% du PIB).
Or, c’est dans une partie de ce petit paradis terrestre, l’Albertine Graben, situé sur la rive nord du lac Albert, au sud du pays, que se trouvent les réserves les plus importantes. Et les ONG s’inquiètent des conséquences de la construction à venir d’infrastructures lourdes (puits et pipelines, bien sûr, mais aussi baraquements pour les ouvriers, routes menant aux champs d’exploitation, etc.).
Dans un rapport intitulé Le meilleur des arrangements ?, l’ONG Global Witness, spécialisée dans la critique et le suivi des contrats de matières premières, détaille les conditions du marché passé entre les compagnies et le gouvernement ougandais. Si ce dernier semble avoir plutôt bien négocié le contrat en termes de ressources, l’organisation demeure sceptique sur certaines lacunes. George Boden, chargé de campagne pour l’organisation, estime ainsi dans une interview donnée à « Oil in Uganda » que « la faiblesse des mesures prévues dans les contrats et dans la législation peut poser un risque pour la population et l’environnement. »
Agodo Shabella Patience, jeune juriste ougandaise et directrice exécutive de Green Teeso, une association de sensibilisation des jeunes à la protection de l’environnement, partage cette inquiétude. Selon elle, les risques de catastrophe industrielle – à l’image de celle qui a durablement pollué le delta du Niger – ne sont pas à exclure. « Si le gouvernement s’est engagé sur un rapport d’évaluation environnemental stratégique, rien ne garantit qu’il soit appliqué par les compagnies. Sur le papier, tout paraît être prévu pour prévenir ces risques, mais le problème est qu’il n’existe pas de mécanisme indépendant de contrôle », s’alarme-t-elle.
Du côté des compagnies pétrolières, on assure cependant que ces préoccupations sont naturellement prises en compte. L’Agence nationale de gestion de l’environnement (Nema), chargée d’autoriser les activités pétrolières après validation des mesures proposées par les compagnies pétrolières, fait ainsi office de régulateur et d’organisme de contrôle. Total s’est par ailleurs engagé, affirme Ahlem Friga-Noy, à « appliquer en Ouganda les standards IFC relatifs à la biodiversité et à l’environnement, les plus stricts standards internationaux en la matière. »
Les campagnes de prospection ont ainsi été effectuées, poursuit la responsable de Total, avec des « nouvelles technologies de haute performance utilisées pour la première fois en Afrique pour réduire l’impact des activités sur l’environnement ». La compagnie affirme en outre travailler avec des « spécialistes en matière environnementale […] qui apportent leur expertise dans la mise en place de mesures appropriées et efficaces. »
Déplacement de populations
La société civile s’inquiète également des conséquences sociales de l’exploitation pétrolière, avec le déplacement de populations vivant sur les futures zones d’extraction. « La production de pétrole pourra être bonne pour l’économie ougandaise, mais les populations locales vont souffrir », s’alarme ainsi Agodo Shabella Patience, qui regrette là encore l’absence de possibilité effective de recours.
Théoriquement, un système de compensation et de relocalisation a pourtant été mis en place par le gouvernement, en concertation avec les compagnies pétrolières. Un plan préliminaire doit ainsi être soumis à la consultation des populations locales et des autorités en 2016 pour recueillir leurs avis et demandes de révision qui, assure la porte-parole de Total, « seront prises en compte dans le plan final. » Néanmoins, de nombreux témoignages montrent que ces procédures ont déjà abouti dans certaines zones concernées à des litiges ou à des conflits fonciers. A Buliisa, des centaines de familles sont, par exemple menacées, d’expulsion par des hommes d’affaires qui affirment détenir des actes de propriété sur leurs terres.
Si la classe politique ougandaise se déchire sur l’utilisation de la manne pétrolière, elle est cependant unanime sur la nécessité d’exploiter cet or noir. L’Ouganda ne devrait donc pas s’arrêter à ces difficultés d’ordre environnemental ou social, même s’il tient à conserver les revenus issus du tourisme. Mais alors que le gouvernement table toujours sur un début de production pour 2018, de sérieux problèmes techniques et stratégiques ne sont toujours pas réglés, et les spécialistes prévoient plutôt que le plateau de production (phase optimum de production) sera atteint au mieux en 2020. De quoi alimenter de nouveau les programmes de campagnes des candidats… pour 2021.