Comment Sékou Touré a détruit l’économie guinéenne dès 1957
Ce billet a été extrait du livre Sékou Touré: un totalitarisme africain de Maurice Jeanjean. L’auteur a été témoins direct des dérives autoritaires de notre tyran, d’abord dans es fonctions administratives publiques ensuite comme faisant partie du secteur privé. |
Quand Sékou Touré prend en charge les destinées de la Guinée en 1957 avec la loi-cadre, et pleinement en 1958 avec l’indépendance, la Guinée connaît une économie de traite basée sur l’échange de produits agricoles et de minerais contre des produits manufacturés, comme tous les pays africains sous contrôle britannique, français ou portugais. Cependant la Guinée dispose de deux atouts majeurs pour son développement. Tout d’abord elle atteint l’autosuffisance alimentaire grâce à sa production de plantes vivrières : mil, sorgho, fonio, manioc et notamment de riz , nourriture de base de la population. Ensuite elle est riche de potentialités minières considérables.
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On dit que la Guinée constituait « un scandale géologique où Dieu a oublié le sac contenant les richesses de la planète ». Le gouverneur Roland Pré, dès les années 1950, qualifiait la Guinée de nouveau Katanga. En outre elle était considérée comme le château d’eau de l’Afrique de l’ouest, les fleuves Sénégal, Niger, Konkouré, Milo, Gambie, prenant leur source sur son territoire. Enfin sa population semblait prête à se mobiliser pour le développement du pays, notamment la classe « d’intellectuels » formés à Dakar et en France, revenant au pays avec une compétence reconnue.
Quant à Sékou Touré, il abordait l’économie guinéenne avec sa formation de syndicaliste teintée de marxisme, c’est-à-dire avec un esprit basé plus sur la contestation que sur la création. Les décisions prises par Sékou Touré durant les premières années de son gouvernement, soit de 1958 à 1961, furent influencées par l’abandon de la Guinée par la France, qui retira ses fonctionnaires et qui répondit avec réticence aux avances de Sékou Touré pour renouer les liens.
Il y eut tout une période en 1959 de « valse-hésitation ». En janvier 1959 les deux pays signaient des accords de coopération dans les domaines économique, technique, monétaire et culturel. Ces accords devaient être suivis de conventions d’application qui ne virent jamais le jour. Sékou Touré se trouve isolé. Nous sommes en pleine guerre froide. Il lui faut choisir un camp : le capitalisme ou le communisme. Mais il refuse ce choix et se tourne vers les Etats-Unis qu’il appelle à l’aide.
Dans un télégramme du 8 avril 1959 adressé directement au président des Etats-Unis, le général Eisenhower, il se plaint de l’attitude du gouvernement français, dont l’intention est « d’entraîner la Guinée dans la misère, l’appauvrissement et des difficultés extrêmes par une politique de blocus économique et d’isolement politique ».
Le Département d’Etat fait passer la réponse américaine par le chargé d’affaires des Etats-Unis à Conakry. A la suite d’un voyage officiel aux Etats-Unis du 26 octobre au 8 novembre 1959 au cours duquel Sékou Touré est reçu par le président Eisenhower et le vice président Nixon, il se rend compte de l’ambiguïté de la politique de Etats-Unis, qui pratique sur son territoire une discrimination anti-noire et qui se refuse de choisir entre son attachement à ses alliés européens et son désir d’aider l’Afrique. D’ailleurs, elle considère celle-ci comme un enjeu dans sa rivalité avec le Bloc soviétique. Néanmoins les Etats-Unis maintiendront leur aide principalement alimentaire à la Guinée jusqu’à la fin du règne de Sékou Touré, ce qui assurera la survie du régime.
Pour éviter un naufrage économique, Sékou Touré se voit contraint de faire appel à l’URSS et à ses satellites. Ceux-ci répondent avec empressement aux demandes de la Guinée et pèsent sur les premiers choix économiques de Sékou Touré. Nous voyons là se dessiner ce qui sera la politique de Sékou Touré, qu’il définit comme le « neutralisme positif ».
A. Période 1958-1961 : L’expérience guinéenne
La Guinée connaît alors quelques années privilégiées où l’aide apportée par les pays de l’Est en tracteurs, camions, armes et produits manufacturés, l’assistance technique de nombreux cadres africains et l’enthousiasme des Guinéens mobilisés par l’investissement humain, ouvrent le chemin d’une grande espérance.
Conseillé par les experts des pays de l’Est, le gouvernement se lance dans une politique de nationalisations tous azimuts. C’est tout d’abord le commerce qui est visé avec la création du Comptoir Guinéen du Commerce Extérieur ( CGCE) le 21 janvier 1959, qui a le monopole des importations de tous les produits de consommation courante. Le 11 mai 1960 est créé le Comptoir Guinéen du Commerce Intérieur (CGCI) chargé de la commercialisation de tous ces produits sur l’ensemble du territoire.
Cette substitution d’un commerce d’Etat aux maisons commerciales traditionnelles qui pratiquaient la traite pouvait avoir des effets bénéfiques. Mais il fallait trouver des gens compétents et ayant un esprit de dévouement et de désintéressement. La précipitation de ces décisions ne permit pas de sélectionner et encore moins de former le personnel chargé d’organiser ce commerce d’Etat.
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Mais l’erreur la plus grave fut la création, le 1er mars 1960, du franc guinéen. Le secret en fut bien gardé et la surprise complète. Cette mesure irréaliste fut très mal préparée et les conséquences qu’elle pouvait avoir sur l’économie ne furent pas mesurées. Comment penser que pouvait être viable une monnaie indépendante de toutes zones monétaires et s’appuyant sur une économie de subsistance ? Les conséquences immédiates furent la fuite des capitaux, selon le principe bien connu en économie, « la mauvaise monnaie chasse la bonne », et l’abandon par les Européens de leurs plantations. Par la suite se créa un marché parallèle, les produits importés par l’Etat étant vendus dans les pays voisins qui bénéficiaient d’une monnaie plus solide car gagée sur les zones Franc ou Sterling.
La deuxième décision inspirée par le bloc soviétique porte sur la planification de l’économie. Un premier plan triennal, d’un montant de 38 milliards de FG (soit 760 millions de nouveaux francs métro) dont 6 milliards sont apportés par la Guinée, 3 milliards par l’investissement humain et 29 milliards par des fonds extérieurs, couvrant la période 1960-1963, est élaboré en détail par l’équipe du professeur Charles Bettelheim 2. Il s’agit d’un plan de transition bien équilibré, axé sur le développement de l’agriculture et des industries de transformation.
Le but est l’extension de la propriété collective et sociale des moyens de production. Le plan est présenté à Kankan du 2 au 5 avril 1960 par le ministre de la Coopération N’Famara Keita aux militants du PDG qui lui font un triomphe et l’adoptent à l’unanimité. A la surprise générale, Sékou Touré prend la parole le dernier jour de la conférence et déclare: « Vous savez, vous avez applaudi parce que vous n’avez pas encore compris, encore assimilé. J’ai beau dire que le PDG doit réfléchir, creuser les mots, vous ne me suivez pas du tout. Pourquoi avoir tant applaudi le plan ? Quel est le meilleur planificateur du monde ? Le meilleur planificateur du monde, c’est le paysan, il sait ce qu’il fait »3.
Le professeur Bettelheim s’est fâché et est rentré le jour même à Conakry où, de passage au service de la Statistique, il confie : « Sékou ne comprend rien à l’économie ». Il quitte la Guinée par ses propres moyens pour Freetown. Il n’est plus jamais revenu en Guinée. Ce plan ne fut appliqué que très partiellement alors qu’il représentait un excellent outil pour faire démarrer l’économie guinéenne.
L’étatisation de l’économie est réalisée par une série de décrets pris entre août 1960 et juin 1962. Tout d’abord est décidée en août 1960 la fermeture des établissements bancaires français : BNI, Société Générale, Crédit Lyonnais, BCA, et leur remplacement par la Banque Guinéenne du Commerce extérieur et le Crédit National. En janvier 1961, les sociétés de distribution d’Eau et d’Electricité sont nationalisées, et en juin 1961 est créée l’ENAT, entreprise nationale d’acconage, de transit et de consignation qui se substitue aux sociétés privées existantes, et l’ONAH, qui a le monopole d’importation des hydrocarbures.
En octobre 1961, tirant les leçons des pertes catastrophiques accusées par les Comptoirs Guinéens du Commerce Extérieur et du Commerce Intérieur, le gouvernement décide leur suppression. Ces comptoirs sont remplacés par une série d’entreprises spécialisées : en juin 1961, Sonatex (textile), Diverma (marchandises diverses), Batiport (matériaux et matériels pour le bâtiment), et en juin 1962 des entreprises en charge d’importer tous les produits nécessaires à la vie courante. De même, en juin 1962 est créée une entreprise ayant le monopole d’exportation de tous les produits à l’exception des produits agricoles qui sont assurés par GUINEXPORT, et des produits miniers comme l’alumine produite par la Compagnie Fria qui, protégée par une convention d’établissement, garde le contrôle de ses exportations.
Dans le domaine minier, deux décisions importantes sont prises. Tout d’abord, en décembre 1960, la Conférence de Kissidougou transfère à l’Etat les mines de diamants, ce qui entraîne en juillet 1961 la nationalisation de la société privée Soguimex et son remplacement par l’EGED, Entreprise Guinéenne d’Exploitation des Diamants. Fin 1963 la bourse du diamant qui détient le monopole de la commercialisation est transférée de Conakry à Kankan. Dès lors ce minerai, qui selon les experts soviétiques rapporterait 3 milliards de FG par an, relève du domaine réservé du Président de la République. Dès 1964 les exportations de diamants n’apparaissent plus dans les statistiques d’exportation de la Guinée alors que la production n’a jamais été arrêtée. Il s’agit bien là de ressources détournées par le pouvoir au détriment du peuple de Guinée.
En novembre 1961 le gouvernement guinéen nationalise toutes les installations de la Société des Bauxites du Midi, fifiale d’Alcan, déjà implantées dans la région de Boké, cette société refusant de réaliser la construction d’une usine d’alumine de 220.000 tonnes, cormne elle s’y était engagée dans sa convention d’établissement.