Sally Bilaly Sow, blogueur guinéen: « La reddition des comptes doit être dans l’esprit de chaque citoyen »
L’histoire de la Guinée est parsemée de violences contre les journalistes, travailleurs des médias et de fermeture de radios privées par le pouvoir.
Cependant à ce jour, on n’ a enregistré aucun cas de blogueurs inquiétés pour ses écrits. La blogosphère guinéenne exploite cette marge de liberté pour s’impliquer le plus possible dans plusieurs domaines. Pour cela, ils se sont regroupés dans l’Association des blogueurs de Guinée (#ablogui).
Certaines de leurs mobilisations ont été couronnées de succès et signalées par plusieurs médias nationaux et internationaux tel que El País, Jeune Afrique, BBC, Radio France internationale, France 24, La Voix de l’Amérique, RUClip, etc.
Sally Bilali Sow qui vit à Labé, dans la région du Fouta-Djallon, à plus de 400Km de la capitale, Conakry, en est le responsable pour la Commission technique et développement. Il a bien voulu répondre à quelques questions de Global Voices.
Global Voices (GV): Pourriez-vous vous présenter, svp?
Sally Bilaly Sow (SBS): Je suis Sally Bilaly Sow célibataire, j’aurais mes 26 ans au mois d’août 2018. Je suis diplômé en Méthodes Informatiques Appliquées à la Gestion des Entreprises (MIAGE) à l’Université Ahmadou Dieng de Labé, développeur Web, coordinateur de l’association Villageois 2.0, community manager du groupe Hadafo médias (Espace FM, Espace TV, Sweet Fm, Kalac Radio et Espace Foutah ), membre du réseau Africtivistes, contributeur de la chaine Les Haut-Parleurs et co-fondateur de la startup YitereStudio Studio Oeil).
GV: Vous faites partie de l’Association des blogueurs de Guinée (#ablogui), dont vous êtes un des membres fondateurs. Quelles sont vos fonctions et les activités accomplies aussi bien par vous que par #ablogui?
SBS: Je suis le responsable de la commission technique et développement de cette association qui a vachement contribué à mon ouverture d’esprit sur plusieurs sujets d’intérêts communs. Notamment sur l’observation citoyenne des élections, la bonne gouvernance et le contrôle citoyen de l’action publique.
En 2015, lors des élections présidentielles, j’ai été l’assistant technique du projet #GuineeVote qui, à mes yeux, qui fut une des plus grandes initiatives de la société civile guinéenne en matière d’observation électorale, avec plus de 400 e-observateurs disséminés partout à travers le pays, ce fut une activité qui restera longtemps dans mes annales. Avec l’audace et l’engagement des membres de l’association, nous avons pu relever un grand défi.
Pour les élections communales du 04 février 2018, nous avons lancé le hashtag #VlogCommunal, pour observer, analyser et scruter les projets de société, en clair faire autrement l’actualité électorale. Pour nous, c’est une autre manière de donner la parole aux citoyens et de questionner ceux-là qui aspirent à gérer nos mairies.
Ablogui lance souvent des campagnes numériques pour alerter l’opinion et exiger de l’état des actions concrètes, par exemple #DroitAlidentite, #MontronsNosRoutes et pour se solidariser à une cause commune #1LivrePourZaly qui a pour objectif de collecter des livres et du mobilier pour la bibliothèque de N’zerekoré au sud du pays.
En #Guinée, le collectif @Ablogui croit dur comme fer que les réseaux sociaux peuvent aider à faire avancer la société… à travers les campagnes #MontronsNosRoutes et #1LivrePourZaly, ils vous expliquent comment ils influencent positivement le quotidien des Guinéens… pic.twitter.com/eZtMuCPOJ9
— Les Observateurs (@Observateurs) 24 janvier 2018
Une autre campagne des blogueurs guinéens qui a attiré beaucoup d’attention tant au niveau national qu’international. Et les autorités ont pris des mesures pour un début de solution.
Qu’est-ce que c’est que #LAHIDI ?
Lahidi est une plateforme qui suit et évalue les promesses du président de la République. Cette initiative citoyenne découle du projet #GuineeVote. Précédemment, la société civile s’arrêtait juste à l’observation électorale et probablement elle se disait tant pis pour les promesses électorales. Au sein de l’Ablogui, nous avions estimé qu’un président est élu sur la base de ses promesses et qu’il doive, donc, rendre des comptes aux citoyens. C’est la fondation Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) qui nous finance dans le cadre du mouvement pour le suivi des services publics (Mossep). Je pense que c’est judicieux de veiller aux promesses. Cela permettra aux politiques de comprendre que la politique à l’aveuglette a atteint son apogée. La reddition de compte doit être dans l’esprit de chaque citoyen.
Pensez-vous que les blogueurs guinéens peuvent contribuer à une meilleure gouvernance ?
Les blogueurs guinéens, à mes yeux, contribuent à la promotion de la bonne gouvernance. Aujourd’hui, les blogueurs guinéens sont des acteurs incontournables dans l’édification d’une Guinée nouvelle et démocratique.
Les membres sont des personnes qui se distinguent au travers des actions qu’ils mènent sur le terrain. Ils ne se limitent pas qu’à la dénonciation, ils font aussi des propositions concrètes allant dans le sens de l’amélioration des choses.
Quelles sont vos autres activités?
Avec l’association Villageois 2.0, mes amis et moi, nous visitons les différentes écoles pour former gratuitement les élèves sur les avantages et risque des technologies de l’information et de la communication, au blogging et au Vlogging. Nous voulons démontrer aux guinéens que le numérique est une arme contre le sous-emploi. Il y a plusieurs opportunités sur Internet qu’il faut connaître pour les exploiter au mieux et cela passe absolument par la formation.
La liberté d’expression aussi est un combat qui nous tient à cœur ou que nous chérissons. C’est pourquoi sur notre site www.lesvillageois.org ce sont des élèves et étudiants qui s’expriment. Vu ‘l’engouement que cela suscite, nous avons compris qu’il fallait renforcer leurs capacités c’est pourquoi nous organisons chaque week-end des sessions de formation. C’est le lieu pour moi d’ailleurs de féliciter tous ceux-là qui s’impliquent pour la poursuite des objectifs
Vous venez de faire un tour en Europe, en relation avec vos activités de blogueur et de militant pour les droits humains. Quel était le but exact de ce voyage?
L’objectif de ce séjour était de participer à la cérémonie de clôture du projet #Connections citoyennes de l’agence française de coopération de médias (CFI medias). Le projet Les Villageois 2.0 devenu Association Villageois 2.0 était parmi les quinze lauréats. Je représentais le côté guinéen à cette randonnée africaine des projets numériques et citoyens. Malgré le fait que notre projet n’ait pu remporter de prix, cette rencontre a néanmoins permis d’élargir mes réseaux relationnels et solidifier certains qui, je l’espère seront bénéfiques à l’association.
Lors de ce séjour également, j’ai été invité par les jeunes guinéens vivant à Montpellier où j’avais animé une conférence à l’occasion du 59e anniversaire de l’accession de la Guinée à la souveraineté nationale. J’ai pu y rencontrer d’autres activistes et leaders d’opinion.
Il y a quelque temps, vous avez publié un commentaire dans lequel vous révéliez que la connexion à Internet était si lente à Labé que même ouvrir votre messagerie prenait quelques minutes. La situation s’est-elle améliorée?
Certes, il y a eu des améliorations qui s’opèrent avec le déploiement de la 3G dans certaines localités mais le mal persiste toujours. Un simple exemple, pour uploader une vidéo de plus de 700 MO, il me faut parfois 24 heures, imaginez. C’est très pénible! Je sais que les opérateurs de téléphonie font plus de profit dans la capitale, mais l’intérieur du pays ne devrait pas être lésé. Il y a du potentiel à la base et l’autorité des régulations de postes et télécommunications (ARPT) doit veiller minutieusement sur les activités de ces multinationales. C’est extrêmement important.
Du 25 au 26 novembre 2017, ablogui a organisé un blog camp à Nzérékoré en Guinée forestière avec la participation de 25 jeunes venus de toute la région, sous le thème « Bloguer pour une citoyenneté active ». Malheureusement, la connexion Internet de tous les opérateurs était presque inutilisable, je vous assure. Certaines de nos activités n’ont pas pu se tenir comme nous aurions souhaité. Les citoyens doivent jouer un rôle d’avant-garde sur la surveillance de la qualité des services des FAI.
Quels problèmes aussi avec certains fournisseurs d’Internet et de téléphonie? Quels sont-ils? Ont-ils été résolus?
(Rires), il y en a toujours mais nous faisons avec. Les problèmes se trouvent parfois au niveau des forfaits auxquels nous souscrivons. Les utilisateurs se plaignent souvent. La taille du forfait peut ne pas être exacte. Nous essayons de jouer aux lanceurs d’alerte quand la situation s’empire.
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Cette interview, que j’ai faite, a été publiée en premier lieu sur fr.globalvoices.org le 3 février 2018