La situation sécuritaire au Mali a atteint un seuil critique, avertit un expert de l’ONU
Depuis 2012, le Mali vit une tragédie qui a provoqué des centaines de morts et contraint des milliers au déplacement intérieur.
Devant l’impréparation des forces armées maliennes et les difficultés que rencontrent l’opération militaire française Barkhane, il y a des gens qui critiquent la France et dénoncent même une prétendue collusion de ce pays avec les djihadistes. Naturellement cette accusation reste à démontrer.
Dans les guerres contre les groupes terroristes, les armées classiques ont de sérieuses difficultés. Alors qu’il suffit d’un groupe restreint de terroristes pour semer la zizanie à l’endroit qu’ils ont choisi, la risposte des armées régulières est plus lente. Ce déséquilibre est tel qu’à chaque confrontation que les djihadistes imposent aux forces maliennes, ils repartent avec des véhicules, des armes et détruisent ce qu’ils ne peuvent pas emporter.
Aux qui contestent l’efficacité des forces françaises devraient penser à la situation des forces américaines et leurs alliés partout où elles ont du affronter des guérillas. Cela a commencé au Vietnam, où les Américains, après avoir atteint un niveau de plus de 540 000 soldats n’ont pas pu empêcher les Vietcongs à prendre le Sud.
En Afghanistan, où le nombre des soldats américains et alliés ont atteint en 2004 le chiffre record de 150 000, les talibans gagnent du terrain et contrôleraient plus de 70 % du territoire national. Les américains pour éviter leur aveu d’impuissance sont obligés de négocier avec eux.
Ceux qui stigmatisent l’inefficacité des forces étrangères au Sahel devraient penser à l’expérience américaine des guerres asymétriques. Les forces armées américaines ont essuyé des revers bien qu’étant mieux armées et plus nombreuses operant sur des territoires plus restreints.
Dans cet article publié sur le site un.org le 2 décembre 2019, un expert qui a visité le Mali fait le point sur la situation sécuritaire due au terrorisme ainsi qu’aux tensions communautaires et lance un appel pour trouver une solution à cette crise avant qu’elle n’embrase toute la région.
La situation sécuritaire au Mali a maintenant atteint un niveau critique, avec une présence limitée des institutions de l’État dans certaines régions, des violences sur fond des tensions communautaires et des attaques terroristes de plus en plus meurtrières contre les forces de sécurité, ainsi que des civils, a mis en garde un expert des droits de l’homme de l’ONU après une visite de 10 jours dans le pays.
« Je suis gravement préoccupé par la dégradation continue de la situation générale en matière de sécurité, qui a maintenant atteint un seuil critique « , a déclaré Alioune Tine, Expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Mali, dans un communiqué de presse.
« Il est temps de reconnaître l’inadéquation des réponses actuelles en matière de sécurité pour que le Mali puisse adopter des solutions de rechange plus appropriées dès que possible. L’échec prolongé et le manque de présence des institutions de l’État dans de nombreuses régions, ainsi que le climat politique, économique et social désastreux, suscitent de plus en plus de frustration et de ressentiment parmi la population », a-t-il ajouté.
Selon lui, les civils dans de nombreuses régions, et en particulier dans les zones centrales de Mopti, sont victimes de violations des droits humains fondamentaux, notamment le droit à la vie, alors que l’État s’affaiblit de plus en plus face aux attaques de plus en plus violentes et meurtrières des groupes terroristes qui déstabilisent le pays et sapent le moral des troupes. Si cette tendance se poursuit, elle deviendra la menace la plus sérieuse pour la paix régionale et internationale.
L’expert a également souligné l’aggravation de la violence, des vols, des viols et des enlèvements à Tombouctou et a déclaré qu’une recrudescence de la criminalité transnationale menaçait la cohésion sociale et restait impunie.
Crainte d’une explosion des tensions communautaires
Entre août 2017 et septembre 2019, il y a eu 101 incidents de sécurité entraînant 94 morts, ainsi que sept enlèvements et 21 vols de voiture. Les violences sexuelles sont également élevées, avec 956 cas signalés entre janvier et octobre 2019 – 43% de ces cas auraient été commis par des membres de groupes armés – selon les chiffres de l’ONU.
« Les organisations de victimes que j’ai rencontrées ont exprimé leurs craintes face à une explosion des tensions communautaires, conséquence des difficultés rencontrées pour accéder aux services sociaux de base et à l’aide humanitaire », a déclaré M. Tine. « Au centre du Mali, la fréquence inquiétante des attaques terroristes contre l’armée menace les fondements de la sécurité de l’État. Il est également déplorable que des attaques terroristes soient dirigées contre des écoles, avec des propriétés détruites et des enseignants menacés à Tombouctou, ainsi que la fermeture d’un tiers des écoles à Mopti et de 60% d’écoles à Gao ».
L’expert onusien a ajouté que la situation en matière de sécurité se détériorait progressivement dans les régions du centre et du sud de Ségou, Kayes et Koulikoro, mais qu’il avait été informé d’une nette amélioration à Kidal ces derniers mois.
« Toutes les personnes rencontrées ont déploré la lenteur avec laquelle l’accord de paix était mis en œuvre », a-t-il souligné. « Il est maintenant urgent de créer les conditions de son succès, notamment en s’assurant que tous les mécanismes sont en place et fonctionnent correctement, en promouvant la transparence et la bonne foi, en veillant à ce que l’État fonctionne dans tout le pays et en trouvant des moyens concrets de lutter contre le terrorisme ».
Selon Alioune Tine, « les dirigeants politiques, religieux et traditionnels doivent également faire preuve d’un sens aigu de responsabilité et travailler ensemble pour maintenir la cohésion nationale et mieux faire face aux défis sécuritaires qui menacent l’unité du pays ».
Il a salué les efforts du gouvernement malien pour lutter contre la corruption et introduire des réformes visant à créer un système de justice plus efficace et plus équitable.
Au cours de sa visite, l’expert a rencontré le ministre des Affaires étrangères, le président de la Cour constitutionnelle, des membres du corps diplomatique, des agences des Nations Unies et des représentants d’organisations de la société civile. Il s’est également rendu dans les régions de Tombouctou et de Kidal, où il a rencontré des représentants de groupes armés et d’associations de jeunes et de femmes.
NOTE
Les Experts indépendants font partie de ce qui est désigné sous le nom des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, l’organe le plus important d’experts indépendants du Système des droits de l’homme de l’ONU, est le terme général appliqué aux mécanismes d’enquête et de suivi indépendants du Conseil qui s’adressent aux situations spécifiques des pays ou aux questions thématiques partout dans le monde. Les experts des procédures spéciales travaillent à titre bénévole ; ils ne font pas partie du personnel de l’ONU et ils ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants des gouvernements et des organisations et ils exercent leurs fonctions à titre indépendant.