Au Soudan, les femmes et les minorités victimes de harcèlement en ligne ne bénéficient d’aucune protection juridique
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Au cours des dernières années, Internet tient au Soudan un rôle de plus en plus important dans la politique et la société. Lors de la révolution soudanaise de 2019, les manifestant.e.s et les militant.e.s se sont tourné.e.s vers les médias sociaux pour s’organiser, communiquer et documenter les violations de leurs droits.
Leurs efforts ont finalement renversé Omar el-Béchir, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 30 ans.
Malgré ces progrès, le harcèlement en ligne reste un problème majeur au Soudan, où le taux de pénétration d’Internet est estimé à 31 pour cent. Le harcèlement – notamment le doxing, la cyber-intimidation, le harcèlement moral et les discours haineux – touche particulièrement les femmes et les minorités.
Diverses campagnes ont tenté de lutter contre ces violations, mais le harcèlement en ligne nécessite plus d’attention ainsi qu’une réforme – notamment la mise place d’une législation solide.
En juillet, une page Facebook a partagé [ar] des photos de Weam Shagi [ar], une militante connue des droits des femmes soudanaises, qui la montraient en train de subir des tortures, lors de la dispersion d’un sit-in, par les forces de sécurité dans la capitale, Khartoum. Mme Shagi avait précédemment partagé []ar] ces photos sur sa propre page Facebook. Certaines personnes ont écrit des commentaires humiliants vis-à-vis de son corps pour l’attaquer.
Ce n’est qu’un des nombreux exemples de harcèlement en ligne au Soudan.
Se moquer des gens en fraison de leur région d’origine est également courant. En août, une page Facebook connue avec 170 145 followers appelée “Capture d’écran soudanaise” a partagé un message qui se moquait des filles d’Omdurman [ar], soutenant que les filles devraient être utilisées comme moyen pour arrêter les inondations meurtrières du Nil qui affligent actuellement Khartoum et Bahri. Les commentaires insinuent que ces filles sont moins importantes et moins belles, à cause de leur région d’origine. Lorsque la publication a été signalée, Facebook a répondu que la publication ne violait pas ses normes communautaires.
Le harcèlement en ligne n’est pas pratiqué exclusivement par des civil.e.s. L’armée s’est également livrée auparavant à des comportements malveillants en ligne. En juin, selon un rapport de l’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch, « le personnel de l’armée a menacé une jeune manifestante qui apparaissait sur un clip largement diffusé sur les réseaux sociaux scandantdes slogans contre l’armée. Elle et sa famille ont reçu plusieurs appels d’hommes qui se sont identifiés comme des officiers militaires, menaçant de porter plainte contre elle pour “injures contre l’armée” ».
Dans certains cas, le harcèlement en ligne a été utilisé comme un outil pour intimider les militant.e.s politiques par l’ancien régime.
Selon le rapport de 2018 sur la liberté sur le Internet au Soudan [pdf], « plus de 15 militantes ont été victimes de doxing sur la fausse page Facebook “Les femmes soudanaises contre le hijab“ [ar], où leurs photos privées ont été publiées sans leur consentement avec des commentaires mensongers sur le fait qu’elles s’opposaient au port du voile et la religion ». La page a ensuite été supprimée par Facebook après que beaucoup l’aient signalée comme une violation des normes communautaires de la plateforme.
Les femmes soudanaises réagissent
Ces dernières années, les femmes soudanaises ont utilisé de nombreuses tactiques pour se protéger contre le harcèlement continu en ligne. Par exemple, un groupe de femmes a créé un groupe Facebook appelé “Inboxat” [ar], une modification du mot anglais “inbox” (en français : messagerie), pour dénoncer leurs harceleurs en partageant les messages que ceux-ci leur avaient envoyés.
Malgré le succès relatif du groupe, elles ont été critiquées pour avoir partagé les captures d’écran de contenu abusif de leurs harceleurs, car cela violerait peut-être la vie privée de ces derniers.
Des hashtags ont également été utilisés pour dénoncer le harcèlement en ligne. Par exemple, le hashtag “dénonce un harceleur” est toujours activement utilisé par les femmes soudanaises pour partager leurs histoires personnelles. Le hashtag s’est transformé en un outil de discussion en ligne sur la nature du harcèlement ainsi que les avantages et les inconvénients de le dénoncer, bien que certain.e.s affirment que cela pourrait également porter atteinte à la vie privée et conduire à une diffamation.
Le harcèlement en ligne peut avoir des conséquences psychologiques majeures telles que l’anxiété, la dépression et le stress post-traumatique, mais il reste un sujet sous-étudié. Selon une étude publiée par Amnesty International en 2018, des femmes interrogées dans huit pays ont déclaré ne pas se sentir physiquement en sécurité et souffrir d’anxiété et de crises de panique en raison du harcèlement en ligne.
Lire également: Vers un avenir cyberféministe : les Africaines sur Internet au centre d’une étude récente [fr]
Le rôle des journaux et magazines en ligne
Les journaux en ligne se livrent également au cyber-harcèlement. En décembre 2016, Sudafax [ar], un journal soudanais en ligne, a publié une série d’articles sur les immigrant.e.s éthiopien.ne.s vivant dans un quartier de Khartoum, dans lesquels il citait des plaintes de résidents pleins de propos racistes et abusifs.
Les articles comportaient des titres haineux tels que La colonie d’Éthiopiens et Addis Soudanais, attisant les sentiments anti-immigrés envers les Éthiopiens.
De nombreux lecteur.trice.s dans la section des commentaires ont critiqué le journal pour avoir publié un tel discours haineux en ligne, mais jusqu’à présent, le journal n’a pris aucune mesure pour répondre à ces inquiétudes et Sudafax n’a pas de politique officielle relative au contenu qu’il publie.
Une analyse de 25 sites internet d’information, forums en ligne et magazines soudanais [fichier excel] révèle que rares étaient ceux qui publiaient des politiques de contenus concernant le harcèlement et les discours haineux. Sudaneseonline, une plateforme en ligne bien connue, partage sa politique de contenus promettant de supprimer les messages indésirables ou le langage abusif mais ne résout pas le harcèlement. De nombreuses autres plateformes ne partagent pas du tout leur politique liée à la modération des contenus, même si certaines partagent des règles relatives à la protection de la vie privée des utilisateur.trice.s.
Des lois floues
Le Soudan fait actuellement très peu pour protéger les femmes, les autres groupes et les communautés à risque contre le harcèlement, menaçant de diminuer leur capacité à exercer leurs droits fondamentaux en ligne, ainsi que leur bien-être et leur santé mentale.
En décembre 2016, le gouvernement soudanais a publié un cadre stratégique national pour protéger les enfants et les jeunes en ligne. La stratégie comprenait un plan de travail 2018-2020 et abordait explicitement le harcèlement ciblant les enfants, les lacunes juridiques et la nécessité d’une sensibilisation.
Le système juridique soudanais lui-même n’utilise pas directement le terme « harcèlement », mais d’autres termes vagues qui entrent dans cette catégorie apparaissent dans divers documents juridiques.
Par exemple, la loi de 2007 sur la cybercriminalité interdit les comportements tels que « l’intimidation », « l’incitation » et le « chantage ». La loi interdit également l’envoi de matériel qui viole le « caractère sacré de la vie privée ».
En revanche, la loi de 2018 sur les délits informatiques interdit l’utilisation de « tout moyen de communication ou d’information pour inciter à la haine contre les étrangers, provoquant discrimination et hostilité ». Cependant, le texte final de cette loi n’a pas été partagé avec le public et a été adopté par le régime déchu.
En juin 2018, le parlement soudanais a adopté un amendement [ar] à la loi de 2009 [ar] sur la presse et le journalisme qui a ajouté le journalisme en ligne à son contenu. L’article 26 de la loi interdit aux journalistes de diffuser des contenus racistes en ligne.
Pour lutter contre le harcèlement en ligne et y mettre fin, les législateurs doivent réformer la législation actuelle afin d’inclure des définitions claires de tous les types de harcèlement, tels que le doxing, le cyberharcèlement, les discours discriminatoires et les menaces de violence.
Des réformes juridiques devraient également être promulguées conformément aux normes internationales des droits humains et ne devraient pas être utilisées par le gouvernement comme une excuse pour porter atteinte au droit fondamental à la liberté d’expression.
Ce processus devrait également impliquer les groupes vulnérables tels que les femmes et les minorités qui sont souvent oubliés, mais qui sont les plus touchés. Les cas précédents devraient servir d’exemples pour comprendre la complexité et la nature évolutive de ce problème.
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Mohamed Suliman a écrit ce billet pour globalvoices.org qui l’a publié le 12 octobre 2020. M. Suliman s’intéresse à l’intersection de l’information avec le droit.