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Le 2 octobre 1958, j'avais 17 ans. Quels changements dans ma vie?

L’utilisateur de Facebook Shine Plume a publié sur sa page un commentaire que j’ai trouvé émouvant et qui m’a porté à lui répondre avec le billet que j’ai le plaisir de partager avec vous amis lecteurs.

J’avais dix-sept ans! La joie ressentie pendant ces jours fiévreux nous faisait planer (nous les jeunes) sur un petit nuage. Certes, il y a eu des conflits au sein des familles, mais nous, jeunes nous pensions que le monde entier nous observait avec admiration.

Dans mon cas, ce choix a beaucoup influencer tout mon avenir. J’étais élève au séminaire de Dixinn, aujourd’hui Sainte Marie. Avant cette date grandiose du 28 septembre, je voulais étudier jurisprudence pour devenir avocat défenseur. Pour cela, j’avais opté pour l’orientation classique et étudié le latin et le grec. Sans fausse modestie, j’étais très fort dans ces matières. Lorsqu’on faisait des compétitions au niveau de tous les élèves des deux écoles des prêtres (garçons et filles), j’étais souvent premier ou parmi les premiers, au point que je pleurais si j’étais battu.
 
Dès que la Guinée a obtenu son indépendance, j’ai dit aux pretres que mon pays avait besoin d’ingénieurs, donc j’allais abandonné les études classiques pour faire des études techniques. Soit eux soit mon père étaient contre. Ils me disaient que le pays avait aussi besoin d’avocats et autres. Mon père étant à la tete d’une des plus grosses fortunes du pays à l’indépendance (il a envoyé son père à la Mecque et acheté sa première voiture en 1949, lorsque certains administrateurs coloniaux se faisaient encore porter dans des hamacs). Il m’a dit qu’il avait d’autres plans pour moi, comme je suis son ainé. J’ai insisté jusqu’à ce qu’il accepte.
 
Au Lycée technique, qui occupait une partie des locaux (l’autre étant le Lycée classique) de ce qui est aujourd’hui l’université Gamal Abdel Nasser, je me suis inscrit dans la Section Génie civil. C’était la période d’or de notre indépendance mais déjà de gros nuages planaient sur notre peuple.
 
Des intellectuels de la diaspora africaine sont venus de partout pour nous aider. Ils étaient tous très engagés, enthousiastes et soucieux de la réussite de l’expérience guinéenne. Malheureusement beaucoup d’entre eux, notamment les haïtiens, plus habitués à la dictature, se sont vite rendus compte de la mauvaise tournure que prenait le pays et ils ont quitté. Le Camp Boiro n’est que le plus connu des camps de la mort parsemés dans tout le pays. Certains des plus illustres pères de l’indépendance gisent toujours dans des fosses inconnus.
 
Dans ma classe, nous avions principalement des professeurs venus des pays communistes. Certains ne parlaient pas le français. Nous avions une prof. du nom de Maya dont les copains disaient qu’elle était amoureuse de moi. Ils avaient meme inventé une chanson, disant entre autre que son mari faisait du karaté. Nous étions 14 élèves dont deux maliens, Maiga Abdoulaye et Keita Youssouf, sans aucune fille. En plus d’eux, voici les noms des autres:
 
Bah Amadou, Baldé Alimou, Diallo Alsény, Keita Baba Gallé, Togba Aboubacar, Tamadou Maurice, Tandounou Charles, NKrumah Aboubacar, Keita Mamady, les noms des 3 autres m’échappent en ce moment. Nous étions en 1960!
 
Devant les besoins urgents du pays, surtout dans le domaine de la topographie et de la cartographie, le gouvernement yougoslave a donné des bourses pour tous les élèves de notre classe pour aller à Belgrade pour étudier Géodésie. Nous avons été accueillis dans l’Hotel Avala, du nom de la colline sur laquelle il se trouvait dans la proche banlieue de la capitale. Avec des cours intensifs de plus de 9 heures par jour avec des écouteurs branchés aux oreilles, après un mois de cours, on nous a mis dans une classe où une partie des professeurs avaient quelques connaissances de français.
 
En deux ans, nous avons obtenu le diplome de géomètre. Notre compétence avait atteint un tel niveau que comme devoir collectif de fin d’études, nous avons fait le relevé topographique d’un village entier en Serbie.
 
Nous étions les premiers noirs que les yougoslaves voyaient soit dans ce village que dans le reste du pays. Il y a eu des scènes cocasses. Des gens nous frottaient la peau pour voir si la couleur ne serait pas restée sur leurs doigts, des filles qui nous provoquaient bien que certains d’entre nous semblaient n’etre que des mineurs. Pour vous donner une idée de combien on semblait jeune, plus tard lorsque mon premier fils est né, l’infirmière qui a emmené le bébé dans la chambre de ma femme, ne voulait pas croire que j’étais le papa. Elle me donnait 17 ans.
 
Avec des étudiants congolais qui logeaient dans le meme hotel que nous, nous avons transformé l’endroit en un lieu de rendez-vous de la jeunesse de Belgrade et de ses environs. On avait formé un orchestre avec les congolais et nous avons plein de disques de Cha cha cha, de Charanga, de Mérengué, etc. Certains d’entre nous étaient des virtuoses de la danse afro-cubaine ou de a rumba congolaise.
 
C’est après que les problèmes ont commencé. Très peu d’entre sont restés en Guinée pour différentes raisons. Lors de mon dernier séjour en Guinée, je n’en ai rencontré que deux, dont Alsény Diallo, un des deux géomètres qui avaient son cabinet privé. Malheureusement, au moins la moitié d’entre nous n’est plus de ce monde.
 
Bonne fête à tout le monde

 

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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