« Le testament de Diallo Telli: Le législateur africain », selon Amadou Diallo. Partie2
Ce billet a été extrait du livre de Amadou Diallo La mort de Teli Diallo qui a été publié en 1985.
Feu El Hadj Boubacar Telli Diallo 1925-1977 aurait donné à Amadou Diallo la mission de faire connaître ce qu’ont été ses dernières réflexions sur la situation de la Guinée, sur la dictature qu’y exerce Sékou Touré, sur son action à lui, Diallo Telli, sur ses derniers instants. Selon l’auteur ce texte est attribuable à El Hadj Diallo Telli plus qu’à la lettre, pour le contenu, qu’il a recueilli lors de leur internement au Camp Boiro, sans jugement, par la volonté de Sékou Touré.
Amadou Diallo a écrit le livre Le message de Teli Diallo en « utilisant les notes prises fébrilement à Boiro quasiment sous la dictée » de d’El Hadj Diallo Telli.
Rappelant le rôle politique, économique et social dévolu au député dans l’élaboration et l’adoption des lois qui régissent la société et engagent l’Etat vis-à-vis de l’extérieur, je veux dire que le temps est venu de faire jouer pleinement à nos assemblées leur rôle de contrôle sur le travail de l’exécutif. Ce contrôle démocratique présente des avantages :
– il permet aux députés régulièrement élus d’éclairer les masses par des informations de première main sur les possibilités du gouvernement et les priorités qu’il a choisies dans l’exécution du programme qu’il doit mener à bien ;
– il permet aussi d’éviter la confiscation de la souveraineté nationale par une équipe dirigeante inconsciente. Et ici il faut revenir sur les dépenses militaires et de prestige qui devraient être proportionnées aux maigres revenus dont disposent nos Etats. A ce sujet, je me souviens qu’Alassane Diop a perdu en 1969 son portefeuille de ministre des Postes et Télécommunications pour avoir suggéré au Président Ahmed Sékou Touré de limiter notre armée à un millier d’hommes. Aujourd’hui, en dehors du Nigeria, ce géant de l’Afrique, nos Migs et notre armée sont les plus nombreux et coûteux de l’Afrique de l’Ouest.
Nous sommes à une époque où l’homme ne se nourrit pas que de pain. L’exercice de la démocratie peut non seulement garantir les libertés individuelles mais aussi libérer un potentiel de culture étouffé par l’autocensure. Mais, pour ce faire, nos intellectuels doivent se refuser d’être mis sur des listes nationales élaborées et présentées par des gouvernements qui ne respectent ni leurs peuples, ni la créature humaine. La pratique de ces listes nationales transforme nos assemblées en de simples chambres d’enregistrement.
En Afrique, il est difficile de dissocier l’économique du politique. Après l’accession à l’indépendance, la plupart des jeunes Etats ont calqué purement et simplement leur programme de développement sur celui de l’ancienne puissance colonisatrice ou sur d’autres modèles venus de l’Est. L’échec est quasi général.
Seule la consommation s’est maintenue et même s’est accrue – la consommation de certaines couches, s’entend – grâce à de petites industries extractives lorsqu’elles existent et grâce surtout à « l’aide » des pays nantis. Cette consommation reposant essentiellement sur les importations grève lourdement le budget de l’Etat et sa réserve déjà maigre en devises. Le déficit répété de la balance commerciale fait de la plupart de nos Etats des satellites de l’Est ou de l’Ouest. A partir de là, agriculture, pêche, industries naissantes, commerce, tourisme, banques, assurances, etc., sont contrôlés, voire dirigés, par des mains étrangères. On assiste d’une part à la perte par les dirigeants politiques de la maîtrise du développement économique et d’autre part à l’émergence de bourgeoisies nationales. En fin de compte, le pouvoir politique n’obéit plus aux intérêts de la nation. Délaissant les objectifs économiques profitables à l’ensemble de la nation, il ne se contente plus que de définir un nouveau code fiscal ou de trouver d’autres expédients lui permettant de « trouver » les grands moyens financiers qui devront faire tourner la lourde machine administrative. Les revenus d’une économie nationale quasi inexistante et de « l’aide » extérieure sont utilisés par une poignée de nationaux pour leur confort individuel, lorsqu’ils ne sont pas engloutis dans des dépenses de prestige qui n’ont d’autre but que de pallier une légitimité inexistante.
Pour parer à l’exode rural et au chômage, certains gouvernements d’Afrique n’hésitent pas à faire appel à l’armée nationale ou à une milice dotées des moyens les plus mode rnes, ou encore aux contingents étrangers concentrés sur la base militaire prêtée ou louée à l’ancienne puissance coloniale. Ainsi est tenue en respect cette masse de chômeurs et de paysans dont le revenu est souvent cent fois inférieur au coût réel de la vie. Ainsi nos armées sont dévoyées, détournées de leur mission nationale au profit de la défense d’un régime et de la protection personnelle de son chef et de ses associés.
Face à cette problématique politique, économique et sociale, le pouvoir est au bout du fusil.
La véritable souveraineté des Etats africains, leur liberté, la démocratie sont à ce prix. La technologie avancée adaptée à nos besoins est aussi à ce prix. C’est en permettant aux hommes de notre continent de se former que nous parviendrons à transformer sur place nos richesses. Le chômage sera jugulé par la création d’emplois nouveaux. Un état d’esprit, indispensable pour créer une dynamique du développement économique, naîtra du contact d’hommes et de femmes formés dans des écoles sous-régionales, régionales ou même étrangères, et de cette notion d’avoir quelque chose en commun.