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Accès refusé : les coûts sociaux et économiques du blocage de Twitter au Nigeria

[Sauf mention contraire, tous les liens mènent vers des pages web en anglais, ndt.]

De nombreux Nigérians ressentent profondément la perte de Twitter quelques semaines après sa fermeture par le gouvernement. Outre la violation évidente de la liberté d’expression en ligne de ses utilisateurs, cette suspension nuit également aux Nigérians qui utilisent la plate-forme à des fins commerciales et sociales.

Le 4 juin 2021, le gouvernement nigérian a annoncé qu’il suspendait les activités cette plate-forme de microblogging dans le pays après que la société a supprimé un tweet du président Muhammadu Buhari. Dans le tweet, le président menaçait les militants pro-Biafra du sud-est du pays d’une répétition de la guerre civile du Biafra de 1967-1970, qui a tué entre 500 000 et 2 millions de civils.

“Nombreux parmi ceux qui se conduisent mal aujourd’hui sont trop jeunes pour être conscients des destructions et des pertes en vies humaines survenues pendant la guerre du Biafra. Ceux d’entre nous qui avons été sur les  champs de bataille pendant 30 mois, qui avons vécu la guerre, nous les traiterons dans la langue qu’ils comprennent”, a écrit Buhari dans le tweet désormais supprimé.

La plate-forme de microblogging a signalé et supprimé le tweet, le considérant comme une violation de son règlement en matière de “comportement abusif”.

Irrité par cette action de Twitter, le gouvernement a répondu par une interdiction illimitée en raison de “l’utilisation constante de la plate-forme pour des activités susceptibles de saper l’existence de la communauté nigériane”.

Lire également : Twitter suspendu au Nigeria après une controverse sur un tweet du président menaçant de violence [fr]

Le 5 juin 2021, la suspension a pris effet. Le gouvernement a demandé à tous les fournisseurs de services réseau du pays de suspendre l’accès à Twitter.

Une interdiction qui coûte trop cher

Plus de 120 millions de Nigérians ont accès à Internet, et environ 40 millions d’entre eux ont un compte Twitter – soit 20 % de la population – selon le cabinet d’études NOI Polls basé à Lagos.

Twitter a une grande influence sur la vie de nombre de ces utilisateurs, pour la plupart des jeunes. Il fait partie intégrante de leur vie sociale et soutient leurs entreprises, en tant que plate-forme publicitaire. Des annonces pour des articles ménagers, des appareils électroniques, des vêtements et autres articles y sont couramment publiées, se traduisant par des ventes. Twitter a aidé de nombreuses personnes à entrer en contact avec des acheteurs et des clients qui auraient normalement été hors de portée.

“Nous devons également nous rappeler que Twitter représente plus qu’une source de communication pour nombre de nos jeunes travailleurs au Nigeria. Il est devenu une source de subsistance pour beaucoup, indépendamment de leurs affiliations politiques ou de leurs tendances religieuses. Les jeunes nigérians et les organisations de communication numérique gagnent leur vie par la possibilité d’utiliser la plate-forme pour publier des communications pour leurs clients”, a tweeté Seyi Makinde, gouverneur de l’État d’Oyo dans le sud-ouest du Nigeria.

NetBlocks, un observatoire mondial d’Internet, a déclaré à la BBC que le Nigeria perdait environ 250 000 dollars américains pour chaque heure de suspension. Les petites et moyennes entreprises (PME) qui se sont construites autour de la plate-forme, y compris les influenceurs des médias sociaux, les indépendants et les startups, ont subi une baisse significative de leurs activités depuis la suspension du réseau social.

Outre les opportunités économiques, la plate-forme a également fourni divers avantages sociaux aux Nigérians. Twitter a été utilisé pour collecter des fonds pour les malades et les personnes vulnérables, localiser les personnes disparues et appeler des ambulances. Par exemple, en mai, Twitter a contribué à démêler une affaire d’enlèvement et de meurtre d’un demandeur d’emploi dans le sud du pays.

Le soutien de Twitter aux manifestations #EndSARS

Bien que le tweet supprimé ait été au cœur de toute cette affaire de suspension, cet épisode n’est que le coup de grâce d’une bataille à long terme entre l’administration de M. Buhari et Twitter.

Lors des manifestations #EndSARS d’octobre 2020, au cours desquelles des jeunes nigérians se sont mobilisés contre les violences policières, Twitter a été le principal point focal pour les organisateurs et les manifestants. La plate-forme a en effet été utilisées pour galvaniser le soutien au mouvement, qui plaide pour le démantèlement d’une unité de police nigériane d’élite connue sous le nom de Special Anti-Robbery Squad (Escouade Spéciale Antivol) (SRAS).

Lire également : Dossier spécial de Global Voices — #EndSARS: A youth movement to end police brutality in Nigeria

Le PDG de Twitter, Jack Dorsey, a également soutenu les manifestations, invitant les utilisateurs du réseau social à faire des dons pour le mouvement. Twitter a en outre créé un émoji spécial pour la manifestation.

Twitter a par ailleurs donné aux jeunes nigérians une voix sur les questions sociales et politiques brûlantes qui affectent le pays. Des militants séparatistes comme Nnamdi Kanu et Sunday Igboho, ainsi que des militants comme Omoyele Sowore utilisent également la plate-forme pour organiser des manifestations et pour attirer l’attention sur leur mouvement. Cela a secoué le gouvernement, qui a à son tour envisagé de réglementer les médias sociaux depuis le début de son mandat en 2015.

Lire également : Nigeria’s social media bill will obliterate online freedom of expression

“Twitter a constamment mis sa plate-forme à la disposition de ceux qui menacent l’existence du Nigeria ; c’est la raison de la suspension de ses opérations au Nigeria”, a déclaré le ministre de l’Information Lai Mohammed une semaine après la suspension.

Contrecoup et menaces de poursuites pour contournement de l’interdiction

Pendant ce temps, la question a suscité des réactions de la part des acteurs locaux et internationaux, beaucoup condamnant l’action du gouvernement. Les missions diplomatiques de l’Union européenne, du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Irlande et du Canada ont affirmé dans une déclaration commune que “le droit fondamental des personnes à la liberté d’expression et à l’accès à l’information était un pilier de la démocratie au Nigeria comme dans le monde entier”. Les diplomates ont exprimé leur mécontentement face à la suspension de Twitter, affirmant que “ces droits s’appliquent aussi bien en ligne que hors ligne”.

L’administration Biden a également condamné “la suspension en cours de Twitter par le gouvernement nigérian et les menaces ultérieures d’arrêter et de poursuivre les Nigérians qui utiliseraient Twitter”, dans un communiqué du 10 juin 2021.

Pendant ce temps, alors que la suspension dure déjà depuis plusieurs semaines sans résolution, de plus en plus de Nigérians trouvent des voies alternatives pour accéder au service de microblogging après que les principaux fournisseurs de télécommunications en ont bloqué l’accès. Beaucoup utilisent des réseaux privés virtuels (VPN) pour contourner le blocage.

En réaction à leur défi, le gouvernement nigérian, par l’intermédiaire du ministre de la Justice Abubakar Malami, a menacé de poursuivre les personnes utilisant un VPN pour accéder à Twitter.

La menace de M. Malami a suscité un contrecoup, beaucoup d’utilisateurs affirmant n’être au courant d’aucune loi interdisant l’utilisation de Twitter. Parmi ceux qui se sont adressés à M. Malami figure un ancien ministre de l’Éducation, Oby Ezekwesili.

Combien de compatriotes nigérians actuellement sur @Twitter ne voient pas d’inconvénient à être poursuivis par @NigeriaGov pour avoir exercé leur droit à la parole et à l’association garanti par la Constitution ?

Veuillez vous joindre à moi et lever joyeusement vos mains afin que @MalamiSan puisse nous trouver rapidement et nous poursuivre en justice.

Selon certaines informations, le gouvernement est en pourparlers avec la Chine pour construire un pare-feu Internet, qui empêcherait les Nigérians d’accéder à Twitter via un VPN. Le grand pare-feu chinois restreint l’accès à Google, Facebook, Twitter, WhatsApp, Instagram et à d’autres plateformes similaires en Chine. 

Dans sa tentative de trouver un remplaçant à Twitter, le gouvernement envisage de promouvoir une autre plate-forme de microblogging nommée Koo et a depuis créé un compte sur la plate-forme de médias sociaux appartenant à des Indiens. Certains responsables gouvernementaux se sont également inscrits sur Koo.

Twitter et le gouvernement nigérian pourraient bientôt entamer des pourparlers pour résoudre le problème. Si les négociations aboutissent à une sortie du conflit, de nombreux Nigérians affectés par la suspension pourront pousser un soupir de soulagement.

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Photo de Olusegun Akinfenwa
Ecrit par Olusegun Akinfenwa et traduit de l’anglais en français par moi pour le réseau mondial globalvoices.org qui l’a publié le 24 juillet 2021.
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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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