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La fin du commandant Ibrahima Sylla  ex-chef d’état-major de l’armée de l’Air guinéenne et probables sacrifices humains du tyran Sékou Touré

Dans ce billet extrait du livre de Alpha Abdoulaye Diallo ‘Portos La vérité du ministre. Dix ans dans les geôles de Sékou Touré disponible sur le site du Mémorial campboiro.org, en plus des souffrances subies par les victimes, on fera attention surtout à quel point leurs geôliers avaient perdu toute humanité et aussi à l’allusion faite sur la fin d’Amilcar Cabral. 

Dimanche 13 mars 1977

Après ce quintuple assassinat [il s’agit de ceux de Telli, Dr Barry Alpha Oumar, Alioune Dramé, Lamine Kouyaté et Alhassane Diallo] nous sommes fortement éprouvés dans notre sensibilité. Et sans nous l’avouer les uns aux autres, nous nous sentons découragés. Nous savons que pareille « mésaventure » pourrait nous arriver à tout moment, malgré le temps passé dans cet enfer. C’est une probabilité qui ne nous quitte pas. Et, moins de deux semaines après, nous assistons encore à une tragédie de même nature. La principale victime en sera le commandant Sylla Ibrahima. Commandant militaire chef d’état-major de l’armée de l’Air, il sera arrêté en mai-juin 1973. Et quatre ans après, le 13 mars 1977, il sera mis à la diète noire ! Ce drame était, pour nous, la preuve que le temps passé au bloc ne met pas à l’abri d’un pareil assassinat.

On fera courir le bruit dans le bloc que le commandant Sylla a été mis à la diète sur dénonciation de Kandia qui s’occupait, alors, de l’infirmerie. La réalité est tout autre.
Le commandant Sylla, depuis son arrivée au bloc, supportait mal la prison. Il était toujours révolté par tout ce qu’il voyait et n’admettait pas la façon dont les hommes de garde le traitaient, nous traitaient tous. Plus d’une fois, il avait eu maille à partir avec eux, et plus d’une fois Fadama était venu lui rappeler, nous rappeler à tous : « Ici il n’y a pas ministres, pas gouverneurs, pas officiers. Il n’y a que prisonniers. Vous êtes là pour fermer ! On vous fermera ! Ben, merde alors ! Fermez-les. »

A un moment où un autre, tous les anciens avec lesquels il avait des relations d’amitié, avaient eu à le conseiller. Mais son tempérament ne lui permettait pas d’avaler, sans broncher, les provocations et les « couleuvres » du bloc. Il menaçait et il lui arrivait même de dire : « Quand je sortirai d’ici, je sais ce qu’il me reste à faire…  » Grave menace à l’endroit d’un régime qui a si peur des officiers !

Certes, quelques petites querelles personnelles plutôt mesquines (mais à Boiro, en plus de tout le reste, on est condamné à vivre avec la mesquinerie) opposaient le commandant Sylla et Kandia. Leur ami commun, Thierno Mamadou Saliou Diallo, ancien chef de canton de Yimbéring, gêné par cette situation et se trouvant en position de porte-à-faux entre les deux, m’avait prié de les réconcilier, m’affirmant que l’un et l’autre acceptaient mon arbitrage.

C’est ainsi que le dimanche 13 mars 1977, après l’ouverture des portes, Sylla et Kandia se sont arrangés pour me rejoindre dans ma cellule. Je n’eus aucun mal à les réconcilier : tous deux se firent le serment de redevenir les meilleurs amis qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être.

A peine nous sommes-nous séparés, que fuse, de tous côtés, le cri devenu familier : « Barrage… barrage! » Les prisonniers qui étaient au jardin accourent, les hommes de garde se précipitent de tous côtés, s’abattent sur les portes qu’ils ferment violemment, avec brutalité.

Quelques minutes passent. Un véhicule arrive devant le portail. Le moteur cesse de tourner. On ouvre la porte de la cellule 4 : le chef de poste, accompagné de deux hommes en armes, en extrait le commandant Sylla. Une dizaine de minutes encore. Le véhicule redémarre. De notre cellule, nous n’avons pu rien observer : nous sommes dans un angle mort par rapport à ce qui se passait. Mais un guetteur d’une autre cellule a pu suivre l’essentiel de l’opération. Il affirmera que le commandant Sylla est sorti du bloc. Pour nous, c’est une libération. Elle nous remplit de joie. Nous ne raisonnons plus logiquement : sentimentalement, nous avons besoin de cette libération, après ce que nous venons de vivre, il y a à peine deux semaines.

Bientôt, cependant, nous parviennent d’autres informations. Sylla n’est pas sorti du bloc. Il est devenu hélas ! le locataire de la 49. Nous craignons alors le pire. Nous savons que la 49 est la morgue du bloc: on n’y enferme, en général, que les condamnés à mort ou les prisonniers dont l’état de santé est si déficient qu’on sait qu’ils vont rendre l’âme d’une minute à l’autre. Ils ne doivent pas mourir au milieu de leurs compagnons, mais isolés, surveillés par un prisonnier à la dévotion des autorités.

Plus grave encore : dans ce même bâtiment 5, témoin de tant de crimes et qui venait d’abriter les derniers moments de Telli et de ses compagnons, quatre autres prisonniers sont enfermés avec le commandant Sylla, dans les cellules qu’occupait le groupe Telli. Les malheureux sont tous des Boiro, originaires de la région de Koundara : ce sont trois jeunes navetanes 18, de moins de vingt-cinq ans, travailleurs saisonniers de l’arachide habitués à traverser la frontière avec le Sénégal, à la recherche d’un travail qu’ils ne trouvent pas chez eux, et un vieil ancien combattant sergent de l’armée française qui, tous les trimestres, va toucher sa pension à Dakar. Ils ont été arrêtés, tous les quatre, à la frontière, lors de leur retour.

Au bout de quelques jours, nos craintes se confirment : il s’agit bien d’une diète noire. Nous en sommes tous affectés. Je crois que je ne pourrai jamais m’habituer à la diète noire. Dire que derrière ces portes il y a des hommes qui meurent de faim, de soif ! Pourquoi ne pas les fusiller, s’il faut les éliminer ? Pourquoi recourir à une méthode aussi inhumaine ?

Le vieux sergent commence certainement à comprendre qu’il est dans une situation sans issue.

Fadama se fâche, menace, crie… :

— « Tu n’as pas honte ! Tu crois que tu es seul ici… Si tu n’arrêtes pas je vais te soigner… Je vais te donner le médicament qui te fera rester tranquille…  »

L’ancien combattant tape encore. Il proteste : il n’en peut plus. Il tape encore. Fadama appelle Yandi, un militaire, ou plutôt un tueur froid dont la cruauté ne le dispute qu’à la bêtise, et un autre de ses hommes :

— « Venez avec la corde! »

Il tape à la porte, il tape…

Ils s’avancent vers la 62. Le vieux tape encore et parle en même temps. Fadama introduit nerveusement la clé dans la serrure, l’ouvre, actionne les verrous et ordonne à ses hommes de façon sèche et impérative

— « Attachez-le! »

C’est chose faite : les mains fortement attachées dans le dos, les pieds également ligotés, le « vieux » est jeté au milieu de la cellule. Il gémit, il implore :

— « Fadama, pour l’amour de Dieu, détache-moi. Laisse-moi mourir en paix…  »

Déjà Fadama a refermé la porte de la cellule… les verrous… le cadenas… c’est fait… Il ricane de satisfaction, laissant apparaître une bouche aux rares dents noircies et rougies par le tabac à chiquer et la cola. Il triomphe :

— « Maintenant, tu as ton médicament et puisque tu es un homme, tape encore ! »

Il s’éloigne avec ses hommes, au milieu de commentaires cyniques. Les plaintes, les gémissements du « vieux » montent de la cellule et nous vont droit au cœur et je suis sûr qu’à ce moment-là, chacun de nous, à sa façon, se sera tourné vers le Créateur et aura murmuré une prière, non seulement pour ces malheureux qui se mouraient ainsi, lamentablement, mais encore pour lui-même.

Bientôt les plaintes ne seront plus audibles, ne monteront plus. Le « vieux » rendra l’âme avec ses liens qu’on ne lui retirera que pour l’enrouler dans la vieille couverture qui lui servira de linceul.

Les trois jeunes Boiro

Nul n’entendra jamais aucune plainte des trois jeunes Boiro. Petits paysans de leur état, habitués à faire face à toutes sortes de difficultés de la vie qu’ils n’arrivent pas toujours à comprendre, ils sont là, résignés, attendant que s’accomplisse leur destin. Ils ne comprennent pas le pourquoi de leur arrestation, eux pour qui la faculté d’aller et venir est un « don » naturel du Tout-Puissant. Ils ne comprennent pas qu’on leur interdise le droit d’aller au-delà de cette ligne imaginaire appelée frontière, alors qu’ils y ont des parents et la possibilité d’y trouver du travail. Ils n’ont même aucune idée de ce qu’est une frontière. Ils comprennent encore moins qu’on les enferme et qu’on les prive de tout, même de nourriture, même d’eau.

Ils ne comprennent pas mais ils sont résignés à subir et… subissent ! On leur a toujours expliqué que l’homme, toujours, contre vents et marées, suit et suivra inéluctablement la courbe de son destin. Ils sont musulmans : ils ont la foi. Ils prient. Et c’est dans cette attitude que leur jeune destin les surprendra et les emportera à jamais.

Le 31 mars 1977

Au lendemain de la mise à la diète noire du commandant Sylla Ibrahima, Fadama était venu ramasser ses affaires. Et, devant les yeux interrogateurs et angoissés des compagnons de Sylla, il avait déclaré, voulant les rassurer : — Vous croyez qu’on va faire du mal à votre camarade ! On ne lui fera rien du tout, on l’a seulement changé de cellule.

Il portait, déjà, les chaussures de Telli, la montre d’Alpha Oumar, et, certainement, le reste des fouilles de ces victimes — piètre butin de guerre — avait déjà rejoint son domicile.

De la 49, où était enfermé le commandant, aucun bruit, aucune plainte. Juste, à l’heure de la prière, sa voix, puissante au début, de plus en plus faible au fil des jours, et qui implore le Très Clément et le Très Miséricordieux !

Une seule et unique fois cet homme, qui ne supportait déjà pas la prison, se révoltera contre l’injustice dont il est victime, et, du fond de son âme tourmentée, jaillira ce cri que nous entendrons tous de nos cellules : « Ouvrez ! Vous êtes des lâches ! Vous n’osez pas me regarder en face ! Je suis soldat et n’ai pas peur de la mort ! »
Et ce sera le silence !

Et pendant qu’il se meurt, devant sa porte, les hommes de garde jouent aux dames, éclatent de rires sonores, se raclent bruyamment la gorge, crachent, crient, chantent, vocifèrent, profèrent des injures grossières sans aucun souci, sans aucun respect du drame qui se joue là, sous leurs yeux. Ils agissaient de la sorte au moment où Telli, Alpha Oumar, Dramé vivaient leurs derniers instants. Ils ont agi ainsi plus d’une fois, avant ceux-ci ! Et ils agiront encore ainsi à l’avenir ! Ils sont déshumanisés, tout comme ce régime, ces hommes au pouvoir qu’ils ont mission de servir. Un homme qui meurt ? Qu’importe ! Après tout, c’est le « carnaval de Conakry » qui continue… Et, aujourd’hui 31 mars 1977, la victime s’appelle Ibrahima Sylla, commandant de l’Armée populaire guinéenne, ex-chef d’état-major de l’armée de l’Air !

Qu’a-t-il payé ce jour ? Est-ce le fait d’être au courant de trop de choses ? Il laissera clairement entendre qu’il était au courant de l’assassinat de Cabral, et qu’il était sur les lieux du crime, moins de cinq minutes après que celui-ci eut été perpétré.
Il sera arrêté moins de six mois après.

Lamine Kouyaté, avant sa mort, avait eu le temps de faire la même confidence. Ou n’a-t-il payé que sa trop grande confiance en lui-même ? Il n’hésitera pas, un jour, à rappeler à l’ordre le si puissant commandant du Camp Boiro — alors capitaine —, et à l’obliger à se mettre au garde-à-vous devant lui qui était commandant. C’est une « petite » blessure d’amour-propre qui se pardonne difficilement sous les épaisseurs de susceptibilité et de rancune des responsables du P.D.G.

A peine l’ambulance disparue avec, à son bord, « le voyageur », que des rumeurs circulent, malveillantes et méchantes. C’est un autre prisonnier qui serait responsable de l’assassinat de Sylla. Comme de coutume, ce n’est pas le régime ! Ce serait Kandia. Ces rumeurs me parviennent. Elles parviennent aussi aux oreilles de Sylla Mohamed — plus connu sous les initiales de S.M. —, un frère du commandant Sylla mais dont les liens de parenté avec ce dernier étaient très peu connus.

Un jour, nous avons l’occasion d’échanger quelques mots :

— « Tu vois combien certains de nos compagnons sont méchants et dangereux. Pour de petites querelles, me dit-il, qui les opposent à Kandia, ils passent par certains de nos compagnons pour faire circuler le bruit que c’est lui qui aurait dénoncé et fait tuer mon frère…

— Je l’ai entendu dire

— Mais si cela était vrai, qui a dénoncé les quatre pauvres types qui ont été assassinés avec lui, et qui n’ont pas été interrogés ?

Il marque un petit temps d’arrêt. Il a du mal à parler. La douleur l’étreint. La paralysie des muscles faciaux dont il vient d’être victime, le gêne. Je sens et respecte sa douleur. Pourtant, il est resté parfaitement lucide. Ce jour-là, je l’admire et mon amitié pour lui en sort renforcée, car seul un grand cœur peut surmonter les pièges d’une douleur aussi forte et rester lucide …

— « Non! Dès le départ mon frère n’avait aucune chance … aucune. Que veux-tu, c’était son destin. C’est notre destin. »

En fait, nous sommes troublés par un certain nombre de coïncidences. Le 12 février avec le groupe Telli il y avait cinq personnes à la diète noire : Telli, Alpha Oumar, Dramé, Lamine Kouyaté et Alhassane Diallo. Un mois plus tard, le 13 mars, il y en aura encore cinq : le commandant Sylla et les quatre Boiro. Pourquoi les Boiro ? En fait tous les Boiro qui étaient au bloc à l’époque seront mis à la diète, à l’exception d’un seul qui ne sera libéré qu’en 1982 après huit ans de détention. Pourquoi, enfin, les nouveaux « diétards » 19 ?

Tout cela relevait-il de la pure coïncidence ? C’est possible, mais pour qui connaît Sékou Touré et son régime, cela ne pouvait en aucun cas être le fruit du simple hasard. En réalité, toutes ces diètes noires étaient des sacrifices humains recommandés par les voyants et féticheurs du régime. Et, si logiquement, on peut estimer que les ministres Telli, Alpha Oumar et Dramé Alioune, les officiers commandant Sylla Ibrahima, capitaine Lamine Kouyaté, lieutenant Alhassane Diallo et même l’ancien combattant Boiro, pouvaient être à un titre ou à un autre, une menace ou un danger pour le régime, on ne voit vraiment pas comment les trois jeunes Boiro auraient pu constituer, à quelque titre que ce soit, un danger pour lui !

Notes
18. Travailleurs frontaliers, qui vont au Sénégal s’embaucher pour la récolte de l’arachide.
19. Barbarisme forgé à Boiro pour désigner ceux qui sont mis à la diète.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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