En Ethiopie, les universités poussent comme des champignons, les problèmes aussi se multiplient
A Addis-Abeba, une des choses qui frappent, c’est la rareté des enseignes d’universités privées dans le paysage urbain, contrairement aux hôtels, par exemple. Pourtant dans il y aurait 9 universités privées contre 44 publiques. A titre d’exemple, il y aurait 40 universités privées pour 19 publiques à travers le pays. Le nombre d’étudiants universitaires admis en 2017 seulement, en Ethiopie, malgré les tensions ethniques qui poussent beaucoup de jeunes à abandonner leurs études, serait de 137 137, tout sexes confondus, alors que pour la même année, le total des étudiants en Guinée serait de 38 647 enrôlés a tous les niveaux, après le contrôle du ministère de l’éducation nationale qui a éliminé les inscrits fictifs.
Rappelons que l’Ethiopie a 106 millions et la Guinée 13,5 millions alors que leurs capitales comptent respectivement 3,4 millions pour Addis et 1,7 million pour Conakry. Ce sont ces qui fait qu’on voit difficilement une enseigne annonçant une université privée à Addis-Abeba, alors qu’à Conakry, on a l’impression de les voir partout.
Pendant les 3 semaines que j’y ai passées à cheval entre 2017 et 2018, je n’en ai vue qu’une seule, celle de la Rift Valley University, la plus grande d’Ethiopie, avec 27 branches à travers le pays et une au Somaliland.
Dans l’article qui suit, d’Emeline Wuilbercq, publié sur lemonde.fr le 19 janvier 2018, nous dévoile les efforts de l’Ethiopie dans le domaine de l’enseignement supérieur, malgré quelques difficultés.
La classe africaine (1). Le pays, qui consacre 27 % de son budget à l’éducation, a construit 44 universités publiques en quelques années. Au risque de sacrifier la qualité de l’enseignement.
Awoke Belay garde le sens de l’humour. Début janvier, deux jours avant l’arrivée des premiers étudiants de l’université de Debark, dans le nord de l’Ethiopie, un transformateur électrique a explosé, l’un des dortoirs n’est pas encore meublé et les rayons de la bibliothèque sont clairsemés. « Bienvenue dans notre université rurale ! », s’exclame son vice-président dans un éclat de rire.
Bientôt, environ 1 500 étudiants venus de toute l’Ethiopie se promèneront sur le campus, une vaste étendue poussiéreuse parsemée de milliers d’acacias qui s’étire sur plus de 200 hectares. Ils suivront des cours d’agriculture, de tourisme, d’économie, de sciences sociales et de sciences naturelles, à quelques kilomètres du parc national du Simien, un site inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco et connu notamment pour ses colonies de babouins gelada.
Dans cinq ans, il devrait y avoir 10 000 étudiants dans cette ville de plus de 100 000 habitants. Pour l’heure, les ouvriers achèvent les travaux. Ils ont construit 22 bâtiments en moins de quinze mois pour la première phase du projet, qui coûte 580 millions de birrs (environ 17 millions d’euros). « C’est un bon rapport qualité-prix, jure l’ingénieur Erizik Wodaje, 40 ans, chef de projet. Bien sûr, les salles de classe ne sont pas luxueuses. »
Manque de transparence
Avec la formation professionnelle, l’enseignement supérieur est la priorité du ministère éthiopien de l’éducation. Le site de Debark s’inscrit dans un gigantesque projet du gouvernement, qui construit des universités à tour de bras. Dans les années 1990, il y en avait deux ; aujourd’hui, si l’on compte celles encore en construction, on dénombre 44 universités publiques à travers le pays.
L’Ethiopie consacre 27 % de son budget à l’éducation, selon des données de l’Unesco : c’est plus que partout ailleurs en Afrique. « Une grande partie de cet argent est consacrée à l’enseignement supérieur », explique Paul O’Keeffe, chercheur à l’université de Genève. Problème : cet argent ne sert qu’une petite fraction de la population – les quelque 780 000 étudiants du premier cycle universitaire (chiffres 2015-2016) – et « ne se concentre pas sur la scolarisation primaire et secondaire universelle », regrette-t-il.
Sur le papier, l’Ethiopie possède l’un des taux de scolarisation les plus élevés du continent, mais ces données sont à prendre avec précaution en raison du manque de transparence et du contrôle du gouvernement, qui fournit ses propres statistiques aux institutions internationales.
« Il faut construire ! »
Pour l’instant, sur le campus de Debark, les chemins de terre à peine retournée ne sont pas encore recouverts de pavés. Certains échafaudages en bois d’eucalyptus n’ont pas été démontés. Cela ne devrait pas déranger les étudiants, assure M. Erizik en faisant la visite ; après tout, « ils viennent de la campagne ». D’après l’ingénieur, la construction absorbe la plus grande partie du budget consacré à l’éducation. « Quarante-quatre universités pour 100 millions d’habitants, ce n’est pas assez. Il faut construire ! » Quitte à négliger la qualité de l’enseignement ? « La quantité prime », admet-il.
Pour Paul O’Keeffe, le terme « université » est inapproprié. « Ce sont des carcasses de bâtiments mal dotées en ressources, avec un personnel insuffisant, souvent construites de manière désordonnée », résume-t-il. Des plafonds se seraient affaissés en plein milieu des cours, lui a-t-on rapporté. Les nouvelles universités manquent aussi de « matériel éducatif, de matériel de laboratoire, d’ouvrages scolaires, de professeurs qualifiés », ajoute Jejaw Demamu Mebrat, président de l’université de Debark, où la plupart des livres de la bibliothèque sont le fait de dons de celle de Bahar Dar, à 200 km de là. « C’est un défi d’avoir un enseignement de qualité en Ethiopie », rappelle-t-il.
Le niveau des professeurs est souvent pointé du doigt. Alexander Mulu se souvient du jour où son université lui a demandé d’être maître de conférences. Il avait 22 ans et venait de terminer sa licence d’informatique. « Je n’avais pas assez d’expérience pour enseigner », reconnaît-il. Il a ensuite obtenu une bourse pour faire son doctorat en Inde. A une condition: rentrer dans son pays une fois son diplôme en poche. « On me donne des dollars, je rembourse ma dette en services à ma communauté », résume Alexander. Un moyen d’augmenter le nombre de doctorants – ils étaient moins de 3 200 en 2013-2014, selon des chiffres officiels.
Contrôler la jeunesse
A Debark, au-delà de la crainte d’un enseignement médiocre, une autre inquiétude existe. « Que les universités deviennent le principal champ de bataille du conflit ethnique en Ethiopie », d’après le chercheur Abebaw Y. Adamu. Ces derniers mois, plusieurs universités ont été secouées par des tensions. Des altercations entre étudiants ont fait des victimes, dont le nombre est difficilement vérifiable. Sur certains campus, une présence militaire a été déployée. Les cours ont été interrompus, tandis que de nombreux étudiants quittaient les établissements, craignant pour leur sécurité. Les cours ont repris depuis – sauf dans trois établissements, selon le ministre de la défense –, mais le ressentiment persiste. « On a peur que ça se reproduise à Debark », lâche Melaku*, guide touristique d’une trentaine d’années.
Certains craignent par ailleurs que la multiplication des établissements à travers le pays soit un moyen supplémentaire pour la coalition au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle d’exercer un contrôle sur la jeunesse. Elle lui impose déjà des quotas au sein des universités publiques : 70 % des étudiants doivent suivre un cursus en sciences dures, contre 30 % en sciences sociales et humaines. Si cette orientation sous contrôle peut permettre d’accélérer le développement du pays en formant davantage d’ingénieurs, certains redoutent que le but de l’Etat, très centralisateur, soit de limiter la réflexion critique de la jeune génération.
Pour Paul O’Keeffe, l’enseignement supérieur a été complètement « politisé » en Ethiopie. « C’est un moyen d’attirer davantage de personnes au sein du parti », analyse-t-il, et de surveiller les « fauteurs de troubles » potentiels. Car, malgré la levée, en août 2017, d’un état d’urgence qui a duré dix mois, la colère de la population à l’encontre du régime est intacte. Inégalités, inflation, manque de libertés, chômage… « Les gens ne sont pas contents », acquiesce Melaku. « Ils auraient dû construire des usines au lieu d’une université »,gronde Amanuel*, originaire de Debark. Car les offres d’emploi risquent de ne pas croître aussi rapidement que le nombre d’étudiants diplômés.
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