Extrémistes et complotistes : la visite controversée de la star du tennis Novak Djokovic en Bosnie
« Ce n'est pas la première fois que Djokovic suscite la controverse en soutenant des personnalités nationalistes serbes profondément problématiques. »
La semaine dernière, l’as du tennis serbe Novak Djokovic (également écrit « Đoković ») était impliqué dans une nouvelle controverse portant sur ses liens avec des extrémistes serbes. Le média bosniaque Faktor.ba a rapporté [bs] que lors d’une visite dans le pays, M. Djokovic a été vu à la fois en compagnie du leader serbe de Bosnie Milorad Dodik et de Milan Jolović, l’ancien commandant des Loups de la Drina, l’une des plus infâmes unités ayant appartenu à l’armée de la république serbe de Bosnie [fr].
The world’s No. 1 men’s tennis player Novak Djokovic spent the last few days hanging out w/ a former underling of convicted genocidaire Ratko Mladic, & contemporary genocide denier & secessionist Milorad Dodik. Let’s see how many sponsorships “Nole” loses as a result. pic.twitter.com/lnVhMMwV3U
— Jasmin Mujanović (@JasminMuj) September 19, 2021
Le joueur de tennis Novak Djokovic, classé au premier rang mondial, a passé ces derniers jours à traîner avec un ancien sous-fifre du génocidaire condamné Ratko Mladic, et avec le négationniste du génocide contemporain et sécessionniste Milorad Dodik. Voyons combien de sponsors « Nole » va perdre en conséquence.
Comme le note l’article, les Loups de la Drina ont pris part à l’attaque finale sur Srebrenica en juillet 1995 et étaient responsables de la capture des civils bosniaques en fuite et de leur transport sur les différents sites d’exécution après la chute de la ville.
Les images ci-dessus, prises lors de l’assaut de Srebrenica, montrent Jolović menant l’une des dernières attaques contre l’enclave. Des images sur Twitter, ci-dessous, présentent Jolović et ses hommes en compagnie de la célèbre Garde des volontaires grecs, composée de membres du parti néo-nazi Aube dorée [fr] et d’autres extrémistes helléniques. Ce groupe était stationné dans l’est de la Bosnie et a combattu aux côtés de l’armée de la république serbe de Bosnie, notamment lors de l’attaque de Srebrenica.
Milan Jolovic (aka Legenda) and Drina Wolves caught in video shoulder to shoulder with Greek GoldenDawners of the ‘Greek Volunteer Guard’ during the days of #Srebrenicamassacrehttps://t.co/DxN9K7Vxke
— XYZ Contagion (@XyzContagion) September 23, 2021
Milan Jolovic (alias Legenda) et les Loups de la Drina filmés aux côtés des Grecs d’Aube Doré appartenant à la « Garde des volontaires grecs » à l’époque du massacre de #Srebrenica
Au cours de son séjour en Bosnie, M. Djokovic a également rencontré le leader serbe bosniaque Milorad Dodik [fr], sans doute l’un des nationalistes, sécessionnistes, et négationnistes serbes les plus fervents de la région. En plus d’entraver le travail des institutions du pays et de promouvoir des criminels de guerre [fr], le gouvernement de M. Dodik a versé des millions à des ONG louches qui nient les faits établis à propos du génocide perpétré à Srebrenica.
En juillet, lorsque le haut représentant sortant de l’UE en Bosnie-Herzégovine (BiH), Valentin Inzko, a introduit un amendement [bs] au code pénal du pays, faisant des crimes de guerre et de la négation du génocide un délit punissable, M. Dodik a appelé à la dissolution du pays. Depuis lors, il a souvent répété [bs] l’affirmation selon laquelle il n’y avait pas eu de génocide à Srebrenica. M. Dodik a jusqu’à présent bénéficié de l’impunité et n’a pas été interrogé par les procureurs, même si neuf ONG et individus ont porté plainte [bs] contre lui.
Ce n’est pas la première fois que M. Djokovic (surnommé « Nole ») suscite la controverse en soutenant des personnalités nationalistes serbes profondément problématiques. L’année dernière, il a été photographié [bs] avec un énergumène surnommé « Draža », en l’honneur [fr] du célèbre chef tchetnik [fr] et collaborateur nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, Dragoljub « Draža » Mihailović [fr]. Outre la campagne génocidaire bien documentée contre les Bosniaques en Bosnie orientale et au Sandjak et les crimes de guerre contre les partisans antifascistes capturés, les Tchetniks ont également perpétré de nombreuses atrocités envers les Croates, les Juifs et d’autres Serbes.
Opet se javljaju naivni sa konstatacijom, nije ti ovo trebalo Nole. Ne bih da vam rušim snješka, ali se čini da mu je trebalo, inače bi najjednostavnije odbio da pozira sa četničkom radžom. pic.twitter.com/7Skm8Tp1wa
— Dragan Bursać (@dijalekticar) December 25, 2020
Encore une fois, les fans naïfs commentent avec bienveillance que Nole n’avait pas besoin de faire cela. Je ne veux pas gâcher la fête, mais je pense qu’il en avait besoin, sinon il aurait simplement refusé de poser avec cet énergumène.
Pseudo-science et charlatanisme
Il est possible que le manque d’éducation scientifique au cours de ses années d’apprentissage, passées à perfectionner ses compétences tennistiques, et sa sensibilité aux appels à l’émotion de sa famille, de ses amis et des hôtes qui l’accueillent chez eux, rendent M. Djokovic vulnérable aux influences douteuses.
Il promeut également les travaux plus ou moins scientifiques des pseudo-historiens ultra-nationalistes et théoriciens du complot Jovan Deretić et Milan Vidojević [bs]. M. Djokovic a utilisé [bs] le compte Instagram de sa femme pour montrer son admiration envers M. Deretić et son histoire alternative, y compris un trope nationaliste serbe bien connu selon lequel les Serbes sont un ancien « peuple céleste » ( nebeski narod).
La communauté scientifique a sous-estimé l’impact de telles affirmations sur la suprématie historique, ethnique et religieuse des Serbes lorsque M. Deretić a commencé à les publier dans les années 1980. Même si ce type de « théories » a été moqué, par exemple à travers la populaire pièce de théâtre satirique Farce chauvine (Šovinistička farsa), elles ont été largement acceptées par la population serbe moins instruite, inspirant des idéologies qui ont justifié les atrocités commises en masse lors de l’éclatement de la Yougoslavie 10 ans plus tard.
Lors de sa visite en Bosnie-Herzégovine, M. Djokovic a également visité le complexe tentaculaire des « Pyramides bosniennes du soleil » à Visoko, dont il est alors devenu le plus célèbre promoteur et la célébrité à venir le plus souvent. Géré par l’homme d’affaires bosno-américain pseudo-archéologue Semir Osmanagić, ce complexe est devenu une attraction touristique majeure. Bien qu’il soit clair que le site a une certaine importance en matière d’archéologie, le mythe propagé par M. Osmanagić, qui en fait le siège des plus grandes et plus anciennes pyramides artificielles, a été réfuté par des experts.L’homme d’affaires a depuis changé son boniment, présentant l’endroit comme un lieu de guérison et de régénération naturelles. Parlant de la visite la plus récente de M. Djokovic, il a déclaré [bs] que le long réseau de tunnels creusé par son équipe a des caractéristiques régénératrices, « purifiant [le corps] des virus et bactéries ».
Il a également utilisé son influence et sa popularité pour diffuser sur sa chaîne YouTube des théories du complot à propos de la pandémie de COVID-19, comme l’ont documenté [bs] les contrôleurs d’information travaillant pour le site Raskrinkavanje.ba.
Bien que n’approuvant pas ouvertement l’opinion des personnes opposées au vaccin, M. Djokovic s’est prononcé contre les vaccinations obligatoires après avoir été infecté par le COVID-19 en juin 2020, lors d’un tournoi d’exhibition controversé qu’il a organisé en Croatie. L’événement aurait inclus des participants n’ayant pas respecté les mesures sanitaires contre la pandémie recommandées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Opportunités de transcendance
Alors qu’au fil des ans, M. Djokovic et son père ont soutenu avec véhémence les positions de la ligne dure serbe contre l’indépendance du Kosovo, il a également montré qu’il pouvait transcender l’attraction du nationalisme serbe. Il a souvent prôné la réconciliation entre Serbes et Croates, s’opposant au nationalisme antagoniste qui a causé d’énormes souffrances humaines pendant les guerres des années 1990 [fr].
Lorsqu’en 2008, un présentateur français l’a qualifié à tort de Croate, le champion de tennis serbe a répondu dans une déclaration [hr] au journal croate Jutarnji list que cela ne le dérangeait pas. Il a souvent répété que les deux peuples sont très proches, «presque un seul peuple » et qu’il est compréhensible que les «étrangers » ne puissent pas les distinguer.
De nombreux habitants des Balkans idolâtrent M. Djokovic dont la philanthropie accompagne les exploits sportifs, finançant des causes humanitaires grâce à sa fortune considérable. Sur son site Web, il se décrit comme « holiste », c’est-à-dire comme une personne ayant une approche holistique de la vie. Développer sa pensée critique quant aux questions scientifiques et historiques ainsi qu’étendre sa compassion à tous les peuples des Balkans qui ont souffert aux mains d’extrémistes purs et durs serait le bienvenu. Malheureusement, son adhésion aux théories du complot, au révisionnisme, au charlatanisme médical ainsi que son habitude de fréquenter des extrémistes serbes, sapent en l’état actuel des choses ses efforts positifs.
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Ce billet que j’ai traduit de l’anglais a été écrit par Mirza Hota pour globalvoices.org qui la publié la traduction le 11 novembre 2021