Les phobies du tyran et la création de la milice politique
Parce que le Président en est arrivé à se méfier du peuple, de l'Armée et de l'étranger (Européens en particulier). Frappant inconsidérément dans toutes les directions, il ne voit plus que des ennemis autour de lui. Le mot d'ordre le plus propagé est: Vigilance.
Après les coups d’état au Togo, au Dahomey, au Nigeria, en Haute Volta mais surtout au Ghana, le dictateur Sékou Touré est aux abois. Il a peur de la contagion et ne peut se fier à son armée. Il procède alors à ce qui lui réussit le mieux la dénonciation de tentatives de coups d’état suivies d’arrestations massives.
Il procède aussi à l’émasculation de l’armée en confisquant les clefs des arsenaux, en créant sa milice dotée de tous les pouvoirs même sur l’armée par l’introduction de la politique basée sur les pouvoirs révolutionnaires locaux. Comme la politique a la primauté l’état, des miliciens pouvaient commander des généraux. Dans la rue, les miliciens pouvaient arrêter n’importe qui pour n’importe quelle raison. Par exemple, si vous aviez de beaux habits la milice pouvait vous arrêter pour vous demander comment vous les aviez eus. Ce billet est tiré du livre Mahmoud Bah Construire la Guinée après Sékou Touré |
Une dictature à visages multiples étouffe la concorde nationale qui a permis d’obtenir l’indépendance, confisque brutalement en quelques mois toutes les libertés fondamentales, enserre les populations dans un vaste réseau de polices occultes et parallèles, arrête, emprisonne et liquide des milliers de paysans, ouvriers, intellectuels et cadres. Finalement, ce régime qui se disait révolutionnaire se révèle particulièrement rétrograde et brise les ressorts de la vie économique et sociale d’un pays où les gens ne demandaient qu’à travailler et à vivre en paix….
Ces interminables arrestations et liquidations ne suffisent pas pour rassurer Sékou Touré. Mesurant la désaffection des masses vis-à-vis du Parti, les coups fourrés que toutes sortes de mafias et de réseaux de malfaiteurs organisent dans son entourage avec la complicité des dirigeants du Parti et de l’Etat, Sékou Touré crée une police supplétive dépendant directement de lui: la Milice Populaire.
Recrutés au sein de la JRDA, les miliciens reçoivent une formation militaire et politique faisant d’eux des sbires patentés du Président. La milice constitue la garde personnelle de Sékou Touré, doublée à ses débuts par des militaires cubains. Tous les gradés de la milice ont été formés à Cuba.
A partir de 1966, la milice est la première force de Sécurité lointaine et rapprochée. Elle joue le rôle d’interface entre le peuple et Sékou Touré, d’une part, entre l’Armée et le Président, d’autre part. Parce que le Président en est arrivé à se méfier du peuple, de l’Armée et de l’étranger (Européens en particulier). Frappant inconsidérément dans toutes les directions, il ne voit plus que des ennemis autour de lui. Le mot d’ordre le plus propagé est: Vigilance.
De 1966 à 1974, il ne quittera pratiquement pas Conakry, hanté par ses victimes et par les coups d’Etat dans les pays voisins et amis: Mali, Ghana… et par sa propre machine à tuer les Guinéens.
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Les miliciens du Président sont formés à l’intoxication, à la filature, à l’arrestation des gens en ville comme en campagne. Les grades sont les mêmes que dans l’Armée: sergent, adjudant, lieutenant, capitaine…
Barrages
Atteint de « complotite » au plus haut degré, Sékou Touré, dont l’imagination ne tarit donc jamais en matière de terrorisme politique et de répression, va mettre au point une technique qui réduit presque à néant le mouvement des personnes et des biens à travers le pays: il fait fermer toutes les frontières.
Toutes les routes sont barrées à intervalles réguliers par un tronc d’arbre ou une barre de fer entre deux pieux. Personne, rien ne passe avant l’ouverture de la barrière. A chaque barrage, les passagers, les bagages, le véhicule sont fouillés longuement par chacun des cinq (!) services politico-militaires: la milice, la police, la gendarmerie, la douane et l’armée. Le mot d’ordre est d’identifier systématiquement toute personne arrivant dans une localité. L’attente au barrage est toujours longue et insupportable. Les « contrôleurs » des barrages travaillent eux-mêmes dans des conditions très dures, leur nourriture n’étant pas assurée.
Les transporteurs ne tardent pas à trouver une faille dans le système et un moyen de franchir les barrages. Il leur suffit de corrompre les agents de contrôle avec de l’argent ou des aliments! Arrivé au barrage, le chauffeur descend et va serrer la main du Chef de Poste avec une somme d’argent dans la paume de la main ou un colis dans la main gauche. Et l’obstacle est levé…
Ravitaillement, trafic et marché noir
La production vivrière tombe si bas qu’on ne trouve plus rien sur les marchés traditionnels. On en vient à manquer des produits les plus élémentaires: sel, oignons, huile, riz, viande … sans parler des produits importés: tissus, chaussures, ustensiles …
Pour le Guinéen moyen, la Révolution s’identifie à une affreuse régression économique et sociale. Ce qui préoccupe le Président, c’est comment tenir la population entre ses griffes et parer à toute révolte. La formule qu’il met en application est bien connue dans les pays où la guerre ou un fléau naturel a sévi: Sékou Touré instaure le système de ravitaillement dans tout le pays.
Chaque famille dépose une liste complète de ses membres chez le Président du Comité du Parti. Le Comité reçoit du Bureau Fédéral différents produits dont il fixe le prix. Les produits sont vendus à chaque famille au prorata de ses membres.
Mais il se trouve que la quantité n’est jamais suffisante pour tous les habitants dépendant du Comité. Par exemple, il est courant d’avoir un lot de dix paquets de sucre, dix kilos de sel, dix litres d’huile et cent mètres de tissu pour un village ou quartier de deux cents habitants et pour un mois! Dans ces conditions, seuls les plus proches politiquement et familialement seront ravitaillés. Tous les autres se contenteront des discours et se feront vendre les mêmes produits au marché noir donc très chers.
A Conakry, les entreprises d’Etat ont le monopole de l’import-export. Ces entreprises répartissent les marchandises au moyen de « Bons », délivrés aux responsables du Parti. Le trafic des « Bons d’achat » devient alors un moyen d’enrichissement spontané des notables du Parti, un moyen de fidélisation des militants et surtout des militantes.
Pour une femme, il s’agit de jouer de tous ses charmes pour se faire délivrer un bon d’achat dans un commerce d’Etat (tissus, essence, denrées alimentaires, ustensiles de cuisine … ). Elle vend ce bon à un commerçant (qu’on appelle ici « trafiquant ») quatre à cinq fois plus cher que sa valeur officielle. La femme empoche la différence entre la valeur nominale de son bon d’achat et la valeur de cession au trafiquant. Celui-ci va payer la marchandise et la revend au public avec un bénéfice important.
C’est là le point de départ des « nouveaux riches ».
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Le Président et les Responsables principaux du Parti et de l’Etat sont de grands distributeurs de bons d’achat, ce qui leur permet d’avoir nombre de femmes à leur disposition…
Exil
Les vexations, humiliations, arrestations et liquidations s’amplifient d’année en année. S’y ajoutent la pénurie des biens de première nécessité et ses conséquences: famines et maladies, qui font des milliers de victimes.
Paysans, écoliers, hommes et femmes de toutes conditions quittent le pays en empruntant les pistes de brousse. Ils s’en vont vers des cieux plus cléments où ils espèrent trouver un peu de sécurité, de formation, de travail, de bien-être.
De 1962 à 1984, la Guinée perdra ainsi deux millions de ses ressources humaines. Les pays voisins (Sénégal, Côte d’Ivoire, Sierra-Léone, Libéria, Mali) ainsi que la France, le Gabon, les Etats-Unis, le Canada… vont accueillir des centaines de milliers de Guinéens qui ne peuvent plus vivre en Guinée.
1967
Bouche ouverte
Autant le Pouvoir refuse et réprime toute critique, même constructive, de la part des citoyens, autant les citoyens s’ingénient à faire circuler des critiques très salées de bouche à oreille, dans tous les coins et recoins de la société guinéenne.
– Oo Independan Ko ande pandi! (Cette Indépendance, c’est trop de soucis!) répète-t-on en milieu peul.
Depuis 1958, les Guinéens vont de misère en misère. Lors d’une réception du Président à Kissidougou, un paysan demande la parole et dit:
– Cette Indépendance, quand finira-t-elle?
Le Président, très décontracté, répond:
– Je ne sais pas! Mais ni toi, ni moi n’en verrons la fin, c’est sûr!
Saïfoulaye Diallo, en voyage à Labé, sa région natale, rencontre un ancien farba (griot, attaché de presse, porte-parole) de son père et dit:
– Salut à toi, Farba! Ainsi, tu es entré au Parti, toi aussi?
Et le farba de rétorquer:
– Ah! Moussé Saïfoulaye, tu sais bien, nous on n’est pas entré au Parti, c’est le Parti qui nous est entré dedans!
Ainsi, la chronique populaire ne mâche pas ses mots. Chacun communique tout et entend tout. La « presse » du peuple ne peut pas être muselée totalement.
Le Président, toujours « à l’écoute du peuple », lance un mot d’ordre: « Préparer un Congrès de la bouche ouverte! ». Il s’agit du huitième Congrès programmé pour le mois de septembre 1967. Comment celui qui a fermé la bouche aux étudiants, aux enseignants, aux commerçants, peut-il demander d’ouvrir la bouche ? Qui et que vise-t-il maintenant ?
Dans la lutte d’influence à laquelle se livrent les divers clans du pouvoir, un homme ouvre la bouche: Magassouba Moriba, alors ministre de l’Education Nationale. Est-ce le simple désir de prendre le Président au mot, ou bien un calcul politique?
Magassouba fait publier des articles virulents dans le journal Horoya, organe du Parti. Il y dénonce le mensonge, la cupidité, la gabegie… Il demande à tous les militants d’ouvrir la bouche, d’ouvrir leur intelligence pour servir le pays. Le style est passionné, à l’image des discours du Président.
La Guinée est entrée dans une ère de surenchère verbale. Les politiciens parlent pour accroître la « tension révolutionnaire ». Ils ragent , ils menacent, ils vilipendent. Concrètement, ils ne créent rien, ne construisent rien. Les valeurs éthiques, civiques, spirituelles, culturelles, collectives, nationales sont foulées aux pieds ou noyées dans une phraséologie fumeuse.
Magassouba parle longuement. Cela fait quelque bruit à Conakry. Après le troisième article, il est convoqué par le BPN (Bureau Politique National). Le ministre fait son autocritique, reconnaît ses erreurs et dénonce les erreurs d’autres responsables du Parti et de l’Etat. Il demande que chacun soit plus conséquent, plus responsable, plus efficace. Manifestement, il a trop parlé. Comme Keïta Fodéba, il a éveillé la suspicion du Président et signé ainsi sa condamnation…