Quelques formes de trahison et d’arrestations de Sékou Touré, au nom de sa révolution assoiffée de sang
Révisé le 30/06/21
Pour le doyen Alpha Abdoulaye Diallo ‘Portos’ dans son livre La vérité du ministre. Dix ans dans les geôles de Sékou Touré, après l’agression de novembre 1971, le premier Président guinéen avait adopté cette devise des dictateurs « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ». Dans le texte qui suit, l’auteur dévoile la perfidie du dictateur dans l’arrestation de ses victimes. Je le publie aujourd’hui comme témoignage sur la destruction volontaire et calculée de tous ceux qui auraient contribué à sortir notre pays la situation catastrophique qu’il a connu depuis son indépendance. Il est un peu long, mais une fois qu’on a commencé à le lire, on peut s’interrompre. |
Lors de la première vague, c’est Sékou Touré lui-même qui, à travers le comité révolutionnaire, ordonna les arrestations et y fit procéder. Puis lors de la seconde vague, il changea de méthode. Il engagea les organismes du parti dans l’opération : il en « suggère » l’idée à une fédération — en l’occurrence celle, pilote, de Conakry II, qui la fait sienne et la popularise. L’arrestation devient une « affaire du peuple » : c’est celui-ci qui force la main au comité révolutionnaire et au responsable suprême de la révolution, qui ont beau jeu de dire qu’ils sont tenus de lui obéir.
Cas concrets
Tous les développements qui précèdent peuvent être facilement illustrés par l’examen de quelques cas concrets d’arrestations dont la mienne.
- Tôt ce 29 juillet 1971, le ministre d’Etat, Béavogui Lansana ordonne à Emile Condé, secrétaire d’Etat aux Travaux publics, de se rendre immédiatement à Boffa 6, pour faire procéder à la réparation du bac sur la Fatala 7. Emile obéit et à son retour, à quelque distance de l’aéroport, sa voiture est arrêtée à un barrage par des gendarmes qui l’embarquent dans une jeep soviétique, à destination du Camp Boiro. Très violent de tempérament, grand amateur de chasse, Emile disposait de nombreuses armes chez lui où il ne fallait donc pas l’arrêter, car le pouvoir supposait qu’il s’y serait défendu et n’aurait pas hésité à faire le coup de feu.
- Pour sa part, Alassane Diop, secrétaire d’Etat au Plan et à la Statistique, assistait cette nuit-là, à Labé à une représentation artistique en compagnie du ministre-délégué Sékou Chérif, beau-frère du président, et des principaux cadres administratifs et politiques de la région. On l’informe qu’on le demande au téléphone dans le bureau voisin. Il se lève, sort de la salle de spectacles, entre dans le bureau et se trouve immédiatement entouré de gendarmes, fusil au poing. Le capitaine Charles Kourouma, qui les commande, lui notifie alors qu’il est en état d’arrestation et lui passe les menottes — des menottes tchèques dont la caractéristique essentielle est de se resserrer sur les poignets au moindre mouvement. Alassane est ahuri. Il n’y comprend rien et croit même qu’il y a eu un coup d’État à Conakry. On le rassure qu’il n’en est rien.
Au même moment, à Conakry, on envoie des camions et un contingent militaires à son domicile, avec ordre de déménager tout ce qui s’y trouve : mobilier, tapisseries, literie, réfrigérateurs, cuisinières, vêtements, etc. Après quoi, on proclame haut et fort qu’Alassane Diop voulait s’enfuir : c’est dans ce but qu’il s’était trouvé en mission à Labé d’où il voulait rejoindre son Sénégal natal. La preuve en est d’ailleurs « le départ récent de toute sa famille et sa villa vidée de son contenu ». - Quant au « paramount chief » de l’ethnie peuhle à Freetown, Almamy Bah — citoyen sierra-léonais d’origine guinéenne, en butte à une hostilité de plus en plus marquée de Sékou Touré qui le considérait comme un opposant à son régime, malgré ses tentatives de se rapprocher de l’ambassade de Guinée — un scénario particulier sera monté par le gouvernement sierra-léonais pour le livrer à son homologue guinéen. N’étant pas question de l’arrêter à Freetown où il jouissait d’une popularité et d’un respect particuliers, on le désigna comme membre d’une délégation sierra-léonaise devant se rendre à Conakry. On le prévint qu’une voiture officielle viendrait le chercher à son domicile. C’est ainsi qu’on le conduisit au Camp Boiro.
Almamy Bah refusa de déposer. Aux questions qu’on lui posait, même aux plus banales concernant par exemple son identité, il répondait invariablement en langue peuhle « Ko Allah andi » (« C’est Dieu qui sait »). Dans sa cellule il répétait inlassablement en anglais « Nonsense… nonsense… ». On n’osa pas le torturer. Mais il passera quatre ans au Camp Boiro. Il y bénéficiera de faveurs relatives : ouverture de la porte (comprenez que sa porte était entrebâillée), douches moins rares que pour le commun des prisonniers, régime B normalement réservé aux Blancs et qui consistait, au départ, en un morceau de viande et une feuille de salade. On l’appelait aussi « beefsteak ». La viande disparaîtra à partir de 1973 et on verra, dès lors, un « beefsteak » sans viande.
A sa libération, on fera accompagner « triomphalement » Almamy Bah à Freetown, à bord de l’hélicoptère présidentiel, par une importante délégation gouvernementale. - Autre victime, autre mise en scène : le capitaine Kémoko Doumbouya, officier d’ordonnance de Sékou Touré au moment des événements de 1970, avait assisté à la confusion de ce dernier. Il lui en avait gardé un certain mépris. Le chef de l’Etat, gêné, s’était débarrassé de lui, en le nommant gouverneur de Koundara. Quand il s’agit de l’arrêter, le ministre-délégué Sékou Chérif, dont il dépendait, envoya en priorité absolue un message radio destiné à l’ensemble des gouverneurs de région de son ressort territorial, les convoquant à une réunion extraordinaire pour le lendemain. Il prit grand soin que seul le message destiné au gouverneur de Koundara fût effectivement envoyé. En le recevant, le capitaine Doumbouya sauta dans un véhicule en direction de Labé. A son arrivée, alors qu’il s’apprêtait à passer sous la douche, il fut ceinturé par les gendarmes postés dans un coin et chargés de l’arrêter.
- Ce dimanche matin, Kassory Bangoura, secrétaire d’Etat à la Justice, avait informé son ami, le président, qu’il se rendait à Coyah, pour y voir son vieil oncle malade. Le président en lui remettant cinquante mille francs guinéens, sa contribution pour les frais de médicaments du « vieux », lui avait dit qu’il l’attendait pour le soir. Kassory était parti, ne se doutant de rien. Il bavardait tranquillement avec son oncle dans la chambre de ce dernier quand on vint le prévenir que « des gens le demandaient ». Il s’agissait des miliciens venus l’arrêter et conduits par Sano Tidjane.
- Yansané Sékou Yalani, nommé chef de cabinet adjoint du président, s’était présenté, ce vendredi 29 juillet 1971 au matin, en compagnie de Sékou Fofana et Amiata Mady Kaba, tous deux anciens gouverneurs récemment affectés à Conakry, à Fily Cissoko, secrétaire général de la présidence. Celui-ci, après lui avoir montré son nouveau bureau, l’avait informé que Moussa Diakité, le ministre de l’Intérieur voulait le voir. Yansané se rend aussitôt au bureau de ce dernier, et en pénétrant dans son salon, se trouve nez à nez avec les gendarmes chargés de l’arrêter.
- On procédera autrement encore pour l’arrestation de Karim Bangoura, ancien ambassadeur de Guinée à Washington, ancien ministre. On commencera par confondre à la radio son nom avec celui de Karim Fofana. A plusieurs reprises, on dira : « Le traître Karim Bangoura [ … ] » puis on donnera un rectificatif : « Une erreur s’est glissée dans notre dernier bulletin. Il s’agit bien évidemment du traître Karim Fofana et non pas du secrétaire d’Etat Karim Bangoura [ … ] »
Le père de Karim, ancien chef de canton, inquiet de ces « erreurs » et des bruits qui courent au sujet de son fils, décide de voir le chef de l’Etat. Ce dernier le reçoit en compagnie de Karim. Il les met à l’aise, faisant ressortir ce que Karim a apporté et apporte comme contribution à la révolution. C’est l’un de ses meilleurs cadres et ce sont les ennemis de la révolution qui font courir « les fausses rumeurs de son arrestation ». Il n’est pas question de l’arrêter.
Quelques jours plus tard, Kalagban Camara, de l’entourage du président, passe, « tout à fait fortuitement », au bureau de Karim. Il bavarde avec ce dernier de façon « amicale » et lui confie, « seul à seul », « tout » le bien que le président dit souvent de lui et « toute » la confiance qu’il a en lui. Puis, fait exceptionnel, Karim est chargé de l’inauguration de l’usine de céramique que les Coréens viennent de réaliser à Matoto, proche banlieue de Conakry (à 20 km).
On le met à l’aise et, au moment où il ne s’attend plus à rien, on le dénonce à la radio et le « peuple », c’est-à-dire les responsables de son comité, l’appréhendent chez lui et le conduisent au camp Boiro. Le président a tenu parole : il n’a pas arrêté Karim, c’est le peuple qui l’a arrêté. Il n’y peut rien. Karim connaîtra une fin tragique : ligoté, les mains au dos, les pieds joints, il sera jeté dans le fleuve Fatala - L »ambassadeur Marof Achkar, représentant permanent de la Guinée à l’O.N.U., proposé en 1968 par U Thant, secrétaire général des Nations unies, au poste de haut-commissaire des Nations unies en Namibie, décidera de démissionner de l’administration guinéenne, à la suite de son rappel à Conakry et du rejet de cette proposition par Sékou Touré. Il commettra, hélas ! la faute, sur la pression insistante de son ami Keita Fodéba, alors secrétaire d’Etat à l’Agriculture, de revenir sur sa décision et de rentrer en Guinée. Il sera arrêté dès sa descente d’avion et enfermé au Camp Boiro. U Thant, au cours de son voyage en Guinée, interviendra, personnellement, en sa faveur, auprès de Sékou Touré qui lui promettra la libération de Marof. Promesse non tenue ! Pire, Marof sera fusillé au lendemain de l’agression du 22 novembre!
- Quand à Thierno Mamadou Bah, patriarche de Dow-saare, Labé, opposé, de tout temps, aux méthodes de Sékou Touré, c’est ce dernier qui enverra à Mamadi Keita un mot dans lequel il lui demande de le faire dénoncer et arrêter. C’est ainsi que Thierno Mamadou Bah, malade et alité, sera arraché, à soixante-quinze ans, à l’affection des siens. Il sera enfermé à Pita, puis à Kankan où il rendra l’âme en janvier 1972, par manque de soins et à la suite de l’épidémie de choléra qui ravagea la prison. Seuls cinq prisonniers en réchappèrent.
Notons que- le fils de Thierno Mamadou Bah, Bah Bano, ancien secrétaire d’Etat au Budget
- sa fille Bah Mariama Poréko
- ses neveux El Hadj Baldé Siradiou, inspecteur des Affaires administratives et financières
- El Hadj Bah Mamadou (plus connu sous le nom de Bah ‘Libraire’)
- docteur Sow Mamadou, ancien secrétaire d’Etat au Plan et à la Statistique
- son frère El Hadj Baldé Hady, chef de cabinet du ministère des Finances,
seront arrêtés à leur tour en 1971 ! Déjà, en 1962 au « complot » des enseignants, ses neveux - Baldé Mountaga
- Baldé Hassimiou
- Bah Ibrahima Kaba
- Diallo Colon
avaient été condamnés à cinq ans de prison.
- Le cas du docteur Diallo Abdoulaye semble intéressant à un autre point de vue. Qu’on en juge ; éminent chirurgien en service à l’hôpital de Kankan où il connaîtra beaucoup de réussites dans ses interventions et d’où sa réputation gagnera les pays voisins, Diallo Abdoulaye, alors qu’il se trouvait à La Mecque où il accomplissait ses devoirs religieux, sera informé, de source sûre, qu’il serait arrêté, à son retour en Guinée! Il s’adressera alors aux ambassades de France et du Sénégal à Djeddah, deux pays où il avait fait ses études, pour lesquels il nourrissait une réelle et profonde amitié, et près desquels, il estimait qu’il trouverait compréhension, aide et protection. Les deux ambassades le renverront sans même lui faire l’aumône de la moindre sympathie, bien que les relations fussent mauvaises entre la Guinée et leurs pays. Peut-être croiront-elles à une provocation ?
Désabusé, découragé par leur attitude, Diallo Abdoulaye renoncera au combat et reprendra son avion pour Conakry. Je comprends les sentiments qui l’animaient alors, pour avoir été confronté à une situation analogue, et j’ai failli connaître le même itinéraire que lui, quand, après avoir franchi la frontière guinéenne, je me heurtais à une « incompréhensible incompréhension » de l’ambassade de France à Dakar auprès de laquelle, muni d’un certificat d’hébergement en bonne et due forme, je ne sollicitais pourtant, peut-être un peu naïvement, qu’un visa !
Toujours est-il que le docteur Diallo Abdoulaye à son retour à Conakry, sera arrêté dès sa descente d’avion. Torturé, il « témoignera » et sera fusillé.