Détentions illégales, torture dans des camps militaires et exécutions extrajudiciaires au Rwanda
Ce billet est la deuxième partie de la Synthèse des atteintes aux droits humains récentes documentées par Human Rights Watch que cette organisation a présenté lors de la 6ème session de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui s’est tenue à Banjul, Gambie, du 1er au 15 novembre 2017. Il était intitulé Les règles élémentaires du pluralisme politique bafouées au Rwanda tout au long de 2017.
Exécutions extrajudiciaires et infractions mineures
Les forces de sécurité de l’État rwandais ont tué au moins 37 personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mineures et en ont fait disparaître quatre autres de force dans la province rwandaise de l’Ouest entre avril 2016 et mars 2017. La plupart des victimes étaient accusées d’avoir volé des articles tels que des bananes, une vache ou une moto. D’autres étaient soupçonnées d’avoir passé de la marijuana en contrebande, d’être venus au Rwanda après avoir franchi la frontière avec la République démocratique du Congo de manière illégale, ou d’avoir utilisé des filets de pêche illégaux.
Pour les autorités, ces exécutions extrajudiciaires devaient servir d’avertissement. Dans la plupart des cas, les militaires locaux et les autorités civiles ont déclaré aux résidents, souvent lors de réunions publiques, que le petit délinquant soupçonné d’infraction avait été tué et que tous les autres voleurs et criminels de la région seraient arrêtés et exécutés.
Nous avons rendu compte de ces assassinats en juillet, et les agents du gouvernement ont rapidement qualifié notre rapport de « fausse information ».
De nombreux membres des familles des victimes ont déclaré à Human Rights Watch que les autorités locales les avaient interrogés, menacés, voire détenus à l’issue de notre rapport.
Le 13 octobre, la Commission nationale des droits de l’homme du gouvernement rwandais a publié un rapport dans le but de discréditer les allégations d’assassinats extrajudiciaires et de disparitions forcées et d’attaquer Human Rights Watch. Le rapport de la Commission, compilé après avoir fait subir des mesures d’intimidation et des menaces aux témoins, de même que la conférence de presse qui s’en est suivie ont été en grande partie fabriqués de toutes pièces, ont dénaturé les travaux de Human Rights Watch et ont incité des agents du gouvernement et des parlementaires à émettre toute une série de commentaires désobligeants et injustifiés à l’encontre de notre personnel.
Détentions illégales dans des « centres de transit »
Nous effectuons des travaux de recherche sur les détentions illégales depuis 2010, et avons publié plusieurs rapports d’après nos conclusions.
Cela fait au moins douze ans que les autorités rwandaises embarquent les personnes démunies pour les détenir de manière arbitraire dans des « centres de transit » (également appelés « centres de réhabilitation ») à travers le pays. Les conditions qui y prévalent sont souvent inhumaines et reflètent la manière dont le gouvernement perçoit certains groupes d’individus, à savoir comme des contrevenants ou des sources de nuisances, plutôt que comme des victimes ou des personnes vulnérables.
Les personnes sans abri, les vendeurs ambulants, les enfants des rues, les travailleurs sexuels et d’autres personnes démunies ont été chassés de la voie publique et détenus dans ces centres de façon prolongée. Les détenus y ont reçu de la nourriture, de l’eau et des soins médicaux en quantité insuffisante ; ont fréquemment subi des passages à tabac ; et ont rarement pu quitter leur pièce sale et surpeuplée. Depuis 2014, nous avons interrogé une centaine de personnes qui ont été détenues dans ces centres. Aucune d’entre elles n’a été formellement inculpée d’une infraction pénale quelle qu’elle soit ni n’a vu de procureur, de juge ou d’avocat avant ou pendant sa détention. Nous restons préoccupés par cette absence de procédures régulières et considérons que ces détentions sont arbitraires et illégales.
Si ces centres ont officiellement pour mission de « réhabiliter » en offrant une éducation ou une formation professionnelle, la plupart des personnes que nous avons interrogées n’ont pas bénéficié d’une telle formation et ont été traitées comme des prisonniers.
Les conditions qui prévalent d’un « centre de transit » à un autre sont similaires. Ce sont des policiers ou d’autres groupes chargés de la sécurité qui ont embarqué les détenus pour les emmener dans un centre. La plupart des détenus n’avaient pas le droit de quitter leur pièce, sauf pour aller aux toilettes, et ce, seulement deux fois par jour. Dans la plupart des cas, leur seule nourriture était tout au plus un bol de maïs par jour, et plusieurs anciens détenus se sont plaints du manque d’eau potable et de possibilités de faire leur toilette.
Les passages à tabac par des policiers ou d’autres détenus étaient monnaie courante.
Détentions illégales et torture dans des camps militaires
De 2010 à 2017, des dizaines de personnes soupçonnées d’avoir collaboré avec des « ennemis » du gouvernement rwandais ont été détenues illégalement et torturées dans des centres de détention militaire par des soldats de l’armée rwandaise et des agents du renseignement. Certaines de ces personnes ont été détenues dans des lieux inconnus, notamment au secret, de façon prolongée et dans des conditions inhumaines.
Les actes de torture et les détentions illégales ont pour objectif de soutirer des informations à des membres ou des sympathisants avérés ou soupçonnés des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR)—un groupe armé basé dans l’est de la République démocratique du Congo—et, dans une moindre mesure, du Congrès national rwandais (RNC), un groupe d’opposition en exil, et des Forces démocratiques unifiées (FDU)-Inkingi.
La plupart des détenus étaient séquestrés près de Kigali, la capitale, ou dans le nord-ouest du Rwanda.
Les passages à tabac d’une grande violence, les électrocutions, les asphyxies et les simulacres d’exécutions sont autant d’actes employés pour forcer les suspects à passer aux aveux ou à incriminer d’autres individus. D’anciens détenus ont été séquestrés, pour certains jusqu’à neuf mois, dans des conditions extrêmement difficiles et inhumaines, avec des quantités insuffisantes d’eau et de nourriture pour pouvoir répondre à leurs besoins fondamentaux.
Dans de nombreux cas, au bout de plusieurs mois de détention illégale—et souvent après que les détenus avaient signé une déclaration sous la torture—, les autorités rwandaises les ont transférés vers des centres de détention officiels, d’où ils ont ensuite été inculpés et jugés. La période passée en détention dans le centre militaire a été supprimée de leur dossier public.
Bien qu’il leur ait été demandé de ne pas révéler les abus subis en détention, un grand nombre d’accusés ont déclaré aux juges avoir été détenus illégalement ou torturés dans des centres de détention militaire. Nous n’avons connaissance d’aucun juge qui aurait ordonné l’ouverture d’une enquête sur les allégations ou qui aurait rejeté les éléments de preuve obtenus sous la torture.
Les atteintes documentées dans notre dernier rapport (publié en octobre 2017) enfreignent clairement le droit rwandais et international, y compris plusieurs traités tels que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et la Convention contre la torture, qui interdisent les disparitions forcées, les arrestations et détentions arbitraires et illégales et le recours à la torture et à d’autres sévices.
En octobre, le Sous-comité pour la prévention de la torture, un organe de surveillance du Protocole facultatif à la Convention contre la torture (que le Rwanda a ratifié en 2015), a effectué une visite d’État au Rwanda. Toutefois, le Sous-comité a dû abréger son séjour, évoquant des mesures d’obstruction de la part du gouvernement rwandais et la peur de représailles à l’encontre des personnes interrogées. En dix ans d’existence, ce n’était que la troisième fois que le Sous-comité devait suspendre une visite.