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Le 27 aout 1977: Intensification de la révolte des femmes

Les femmes au tyran: "Vingt ans de crimes c’est assez. Tu dois t’en aller"

Ce 27 aout marque le 45ème anniversaire de la révolte des femmes contre les crimes de la révolution du tyran Sékou Touré. Tous les guinéens avaient tellement mare de la tyrannie et de la misère qu’elles se révoltent d’une manière spontanée et sans aucune coordination.

Fatiguées des tracasseries de toute nature que la population subissait, les femmes sont sorties pour crier leur ras-le-bol à Nzérékoré Macenta, Gueckédou, Kissidougou, Beyla Conakry, Kankan, etc . Le responsable suprême de la révolution et de nos malheurs, Sékou Touré est obligé de se cacher.

Ce texte est tiré du livre du Prof. Ibrahima Baba Kaké, Sékou Touré: le héros et le tyran, chapitre 8. Le séducteur aux abois.

Le mouvement, avec encore plus de violence, embrase Macenta, Gueckédou, Kissidougou, Beyla, jusqu’à atteindre une partie de la Haute-Guinée, notamment Kankan, deuxième ville du pays. Toujours conduit par des femmes, toujours dirigé contre la pénurie, il s’agit moins d’un mouvement politique organisé que d’une immense clameur contre la misère et la tyrannie.

Ce chapelet de manifestations spontanées, sans coordination aucune, ne menace peut-être pas sérieusement le pouvoir a priori, mais le prend au dépourvu. Voilà pourquoi Sékou Touré, qui pensait au début pouvoir maîtriser la situation en se contentant, comme il le fit, de destituer quelques cadres locaux a été obligé de déchanter.

Les incidents devaient fatalement toucher Conakry. C’est au marché Mbalia qu’ils éclatent au matin du 27 août, quand un membre de la police économique exige de vérifier le contenu du sac d’une ménagère. Déjà excédée de n’avoir pas trouvé au marché de quoi nourrir sa famille, la femme se jette sur le policier en ameutant tout le quartier. Les vendeuses se précipitent au secours de la ménagère et d’autres policiers viennent prêter main forte à leur collègue.

Rapidement submergés par le nombre, les policiers doivent abandonner le terrain. Les femmes, alors, s’organisent en cortège, entonnant un chant improvisé contre la police économique. Elles marchent sur les postes de police, qu’elles saccagent de fond en comble, ainsi que sur le siège central de la police économique, avant de décider de se diriger vers la présidence, à quelques centaines de mètres de là. Elles draînent maintenant dans leur sillage tout ce que la capitale compte de femmes.

C’est une scène tellement ahurissante que de voir ces dix ou quinze mille manifestantes en colère dans les rues de Conakry que les militaires du camp Samori, devant lequel elles passent, ne tentent pas de les arrêter. Elles franchissent de même sans résistance les portes du palais présidentiel, pourtant gardées par les redoutables membres du Service de la sécurité présidentielle (SSP) que les Guinéens, allez savoir pourquoi, surnommaient les SS .

Un témoin anonyme a raconté la scène qui se passe alors, dans la revue sénégalaise Africa:

Tour à tour les ministres Fily Cissoko des Affaires étrangères, Mouctar Diallo du Développement rural de Nzérékoré et le premier ministre Lansana Béavogui tentent sans succès un apaisement. Les femmes les renvoient tous par des huées et des quolibets. A Béavogui notamment, elles tiennent des propos pour le moins insolites: « Nous ne discuterons pas avec un porteur de pagne et de camisole comme vous. Si tu étais un homme, on l’aurait su depuis longtemps ». Sur ces entrefaites, Sénainon Béhanzin, ministre de l’Information et de l’Idéologie, s’improvisant technicien de radio, portant un haut-parleur sur le dos, descend de la salle du Conseil des ministres, en vue de mettre en place une installation sonore, car Sékou Touré lui-même doit s’adresser aux manifestantes: c’est le seul interlocuteur qu’elles admettent. Celui-ci apparaît au balcon. Avant de prendre la parole, il agite son éternel mouchoir blanc. Les femmes crient en choeur:
— « Pas de mystification. Ton mouchoir est devenu noir, rentre-le ! «
Quand les femmes de Conakry, ces femmes dont il aimait dire qu’elles l’avaient porté au pouvoir, crient en choeur
— « ton mouchoir est devenu noir«,
personne depuis vingt ans ne s’est permis, en Guinée, pareille insolence. Aussi Sékou Touré sent-il que quelque chose lui échappe. Il ne doute pas de ses qualités, réelles, de tribun. Il sait user de la force des slogans comme de la musique des mots. S’adressant aux femmes, il choisit de commencer par asséner les slogans usuels: « Prêts à la révolution ! A bas le colonialisme ! » C’est d’ordinaire sa manière de « chauffer« les militants qui viennent I’entendre et, d’ordinaire, les militants reprennent ces slogans d’une seule voix. Mais les femmes de Conakry ne se pressent pas devant lui pour entendre des slogans. Elles attendent autre chose. En silence. Et les quelques secondes qui s’écoulent avant que Sékou ne se ressaisisse sont d’une densité incroyable.
Le chef de la révolution guinéenne est un monstre politique, comme on dit d’un acteur qu’il est une bête de scène. Il sent la salle. Il comprend qu’il a fait fausse route. Il ne peut espérer s’en tirer par de simples mots. Il lui faut lâcher du lest, trouver un exutoire à la colère de ces matrones prêtes à mettre le palais présidentiel à sac, malgré la menace—mais les militaires auraient-ils tiré ?—des mitraillettes braquées maintenant sur elles.
— « Je viens, dit-il, d’être informé par le bureau fédéral de Conakry II qu’un incident ayant opposé un agent de la police économique et des femmes au marché Mbalia a entraîné votre marche sur la présidence. Vous avez raison. Vous ne pouvez supporter indéfiniment, sans réactions, les exactions de ces agents dont les épouses vivent, elles, dans l’abondance, portent des vêtements coûteux, des bijoux de grande valeur, tandis que vous autres, vous peinez pour vous assurer le pain quotidien […] Eh bien ! retournez chez vous et je vous donne la liberté de tuer tout agent de la police économique qui essaiera désormais de vous déranger […] A bas la police économique démobilisatrice ! »

Ce n’est évidemment pas vouloir justifier les pratiques des agents de la police économique que de remarquer qu’il est douteux qu’ils aient été nombreux à avoir les moyens de couvrir leurs femmes de bijoux. Ils rançonnaient les Guinéens pour nourrir leur famille, profitant d’une impunité quasi garantie, pauvres volant des pauvres, arrogants, impopulaires au posible parce qu’impliqués en première ligne, par leur fonction, dans les difficultés rencontrées par les ménagères sur les marchés. Il est facile pour Sékou Touré de détourner la menace qui pèse sur lui en sacrifiant ces sous-fifres. C’est une manière de gagner du temps.

Trois femmes se précipitent sur Sékou Touré en chantant. Vingt ans de crimes, c’est assez !

Pour l’heure, les femmes ne voient qu’une chose: elles ont obtenu la suppression de la police économique. Mieux: le chèque en blanc que Sékou Touré leur a publiquement signé a valeur d’amnistie pour les événements du marché Mbalia, comme pour la mise à sac des commissariats. Et tant qu’à faire, elles vont aller achever le travail dans les quartiers qu’elles n’ont pas encore visités , détournant à cet usage les cars de transport urbain, avant de se rendre jusqu’à la brigade de Lansanaya, à 30 kilomètresde Conakry, pour raser et incendier ses bâtiments, après les avoir vidés des denrées de première nécessité qui y étaient stockées.

Jusqu’au soir du samedi 27 août, l’agitation reste maîtresse de la rue. A 19 heures, un communiqué laconique diffusé par la Voix de la révolution a annoncé à la population qu’un meeting d’information, organisé au Palais du peuple par le comité central du parti-Etat, aura lieu le lendemain matin à 10 heures. Il sera consacré au problème des commerçantes. Chacun se dit que des événements importants sont en train de se préparer.

Le dimanche matin, Conakry se réveille sous l’une de ces pluies torrentielles du mois d’août. Peu après, dès 8 heures, de nombreuses femmes se pressent devant les portes du Palais du peuple. En d’autres temps, nombre d’entre elles auraient été vêtues de blanc, en hommage à la révolution et à son chef. Ce jour-là, arborer une telle couleur, ou même une couleur claire, aurait été une provocation vis-à-vis des héroines de la veille. La plupart des femmes sont donc habillées de rouge, une couleur vive. Les autres portent au moins une bandelette rouge autour de la tête. Manifestement, elles sont déterminées à ne plus se laisser faire; à ne pas quitter les lieux sans avoir obtenu solennellement satisfaction.

A 9 heures 45, arrive Sékou Touré, accompagné de ses plus proches collaborateurs:

  • Ismaël Touré, son demi-frère, ministre de l’Economie et des Finances
  • Fily Cissoko, ministre des Affaires étrangères
  • Lansana Diané, ministre de la Défense.

L’atmosphère est tendue. Sékou Touré s’efforce de garder son calme, mais les témoins remarquent tous sa nervosité. Quand il prend la parole et lance les slogans traditionnels contre le colonialisme, le néo-colonialisme et leurs complices, ces slogans ne sont repris que par les responsables politiques présents dans la salle. Alors, comme il commence son discours par l’interrogation:

— Est-ce que les mouvements que vous avez faits hier étaient bons ou mauvais ?

Et que d’une seule voix les femmes répondent:

— Bons et même très bons !

C’est d’une voix sourde de fureur rentrée que le vieux tribun lance:

— Les agitations ont été provoquées par les parents de la Cinquième colonne …
Phrase terrible, à l’époque, en Guinée. On ne qualifiait ainsi que les opposants au régime, les contre-révolutionnaires , les ennemis du peuple , c’està-dire les hommes voués aux arrestations, à la torture, à la détention sans jugement, à la potence ou aux balles des pelotons d’exécution.

S’il croyait en imposer ainsi aux femmes qui remplissaient la salle du Palais du peuple, Sékou Touré se trompait. La suite de son intervention fut couverte par les huées et les invectives. Le chef de la garde présidentielle, surnommé de Gaulle à cause de sa grande taille, a raconté en privé comment il a vécu ce moment:

— « Elles ont tout de suite répliqué:

— « C’est toi la Cinquième colonne. C’est toi l’impérialiste. C’est toi le raciste».

Elles le traitaient d’aventurier et d’assassin. Elles disaient qu’elles allaient lui enlever son pantalon pour lui en faire un chapeau. Et puis elles se sont mises à chanter en choeur une chanson improvisée en langue soussou qui disait:

— « Vingt ans de crimes c’est assez. Tu dois t’en aller«.

Sékou Touré faisait comme s’il ne comprenait pas. Il voulait continuer à parler. C’est son frère Ismaël qui lui a demandé s’il n’entendait pas ce que chantaient les femmes. Le président ne lui a pas répondu. Il voulait continuer à parler, à tout prix. Même quand le ministre Lansana Diané l’a saisi par la main pour lui faire prendre la porte de sortie, il a refusé de s’en aller. C’est alors que trois femmes en rouge se sont approchées de lui pour lui dire en face les paroles de la chanson. De l’extérieur, des gens jetaient des pierres à travers les vitres, et des boîtes de conserves vides, et des bouteilles. Alors, le président s’est levé, comme réveillé.

Précipitamment, il a pris la sortie du sous-sol, malgré les trois femmes qui maintenant s’accrochaient à lui pour l’empêcher de s’enfuir. Alors la garde armée est intervenue. L’une des trois femmes a été abattue, une grosse vendeuse du marché Mbalia. Les deux autres ont été arrêtées, plus une quinzaine encore qui s’étaient avancées pour leur prêter main forte. Sékou Touré était dans une rage folle.

Il a exigé que l’on utilise les armes pour briser la révolte. Les femmes arrêtées ont été exécutées plus tard. Les compagnes de ces femmes ne se laissent pourtant pas intimider. Elles passeront plusieurs heures autour du Palais du peuple à guetter la sortie du président. En fin d’après-midi, convaincues qu’il était parvenu à s’echapper, elles se sont répandues dans toute la ville.

Quelques semaines plus tard, à Bamako, le premier ministre Béavogui reconnaîtra dans une interview que, ce jour-là, l’émeute était maîtresse de la rue: Sur les six cent mille habitants de Conakry, il y en avait bien cent mille qui manifestaient. Ce n’est qu’une fois la nuit tombée que la troupe a commencé à tirer. Entre temps, le chef d’état-major Condé Toya a ordonné aux blindés de prendre position dans Conakry.

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