L’interrogatoire du Dr. Diallo Alpha Taran
Le Dr. Diallo Alpha Taran, un des premiers guinéens à obtenir son diplôme de chirurgien a été victime de la politique du tyran Sékou Touré dans sa politique de destruction méthodique des ressources humaines de la Guinée. Avant son arrestation sous de fausses accusations il avait été doyen de la Faculté de Médecine, Directeur des Services de Santé au Ministère de la Santé Publique et Ministre de la Santé Publique. Il fut interné au camp Boiro à Conakry et au camp Keme Bourema à Kindia où il fut exécuté en 1971.
Voici comment Alata raconte l’interrogatoire et la « confession de Dr. Alpha Taran Diallo, docteur, intellectuel marxiste, militant et cadre du PDG. |
Il y eut des moments tragiques. Tel fut l’interrogatoire de Diallo Alpha Taran. J’avais été révolté en apprenant son arrestation. De tous les cadres politiques que je connaissais en Guinée, il était le plus convaincu. Entièrement dégagé de toute contingence matérielle, il ignorait superbement l’argent et, cas rarissime, se désintéressait totalement du beau sexe… Il ne vivait que pour la révolution, Marxiste-léniniste, il était soupçonné d’avoir, autrefois, appartenu au PCF mais n’en parlait jamais. Tout le passé était effacé à ses yeux. Seul demeurait le PDG.
Haut fonctionnaire, puis ministre, il n’avait à se reprocher aucune action douteuse. Il n’avait pas particulièrement brillé. C’était dû à la médiocrité générale, peut-être aussi à ses scrupules de ne rien modifier aux consignes reçues.
Alpha Taran était accusé d’appartenance au Front et à tous les réseaux possibles. Sa seule réponse à toutes les questions en était une et toujours la même: « Pourquoi? ».
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Il était trop intelligent pour n’avoir pas compris qu’il était sacrifié à la raison d’Etat mais s’obstinait à chercher ce que son élimination pouvait apporter au Parti.
« Expliquez-moi les avantages ce que le PDG tirera de ma disparition et je serai d’accord sur tout . Nous sommes si peu nombreux à croire au socialisme. Si l’épuration nous touche, ce sont les cadres bourgeois qui en seront renforcés. »
Il n’en sortait pas. Personne ne put le faire fléchir. Depuis trop longtemps, il accordait sa vie matérielle à ses convictions politiques, il ne voulait accomplir aucun acte qu’il ne jugerait pas conforme à la ligne.
Il alla donc à la cabine technique, en toute sérénité. Il ne croyait pas à l’existence de telles pratiques.
Inventions de bourgeois pour déconsidérer le prolétariat vainqueur! La torture, tout le monde le savait, était affaire de fascistes: Gestapo. PIDE. Police politique espagnole. OAS.
Jamais un parti socialiste au pouvoir n’utiliserait de tels moyens! Taran partit donc, l’âme en paix.
Il était de constitution extrêmement faible et très peu préparé à la douleur. Quelques minutes seulement s’écoulèrent avant qu’on vienne prévenir Ismaël de sa capitulation.
De retour à la commission il put échanger quelques mots avec nous sans que le ministre parut y prêter attention.
— C’est cela que vous vouliez me faire comprendre?
— Oui, lui répondit Kassory. Nous savions que tu ne pourrais pas tenir.
— Non, je ne crois pas avoir peur de la mort mais cette douleur, pour rien, je ne l’ai pas supportée. Être dénudé devant ces gardes qui se foutaient de moi, comme un chien, non, je n’ai pas pu.
Il accepta donc ce qu’Ismaël lui imposa. Son visage reflétait son désespoir quand il comprit qu’il allait s’accuser d’être un agent de l’impérialisme.
J’essayai de l’aider:
— Camarade ministre, tout le monde connaît sa vie. Ses opinions sur les puissances occidentales sont affirmées. Sa vie matérielle est si dépouillée qu’il sera très difficile de faire admettre qu’il ait été agent secret. Ne pourrait-on pas, dans son cas, parler uniquement d’appartenance au Front? Il aurait alors agi par idéal gauchiste. Ce serait plus plausible.
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Ismaël ne répondit pas sur-le-champ mais le fit emmener dans une autre pièce et resta seul avec nous.
— Je crois que vous avez très mal compris certains aspects de nos problèmes. Il n’y a aucune impossibilité liée à des aspects matériels ou moraux de votre vie. Toi, Alata, tu as perdu ta nationalité pour devenir Guinéen? N’as-tu pas reconnu appartenir aux Services français? Toi, Kassory, n’es-tu pas l’intime du président depuis trente ans? N’as-tu pas avoué avoir voulu sa mort? Les positions officielles de Diallo Taran ne l’empêchent pas d’être un agent de l’Occident. Ceci étant réglé, passons à un autre aspect de la question. Il ne peut y avoir de déviationnisme de gauche. C’est le Parti qui mène la politique la plus progressiste, adaptée aux réalités du pays. Le comité révolutionnaire ne laissera pas s’accréditer la légende que certaines éliminations ont eu lieu parce que les coupables reprochaient aux dirigeants de trahir la Révolution. Tous les détenus ont trahi. Tous, vous avez trahi pour de l’argent, pas par idéal.
Il laissa passer quelques minutes, nous regarda dans les yeux, puis demanda:
— Est-ce clair?
Alpha Taran fut ramené et Ismaël lui fit admettre son point de vue. Ce fut très dur :
— Est-ce que cela servira la Révolution de dire que j’ai trahi pour de l’argent?
Kassory avança:
— Tout ce qui maintient l’unité d’un mouvement le sert. Nous avons été sacrifiés. Il faut que notre disparition soit utile. Si nous laissons planer un doute, que d’autres puissent exploiter, notamment sur la légitimité de l’action politique du PDG et sur sa pureté révolutionnaire, notre effacement servira nos adversaires.
— Mais c’est purement du chantage, protesta Alpha.
Dans sa tenue pénitentiaire, le malheureux avait pauvre allure. Maigre, chétif, les épaules en avant, le torse creusé, Les yeux, privés de lunettes lui dévoraient le visage, Ses cheveux avaient grisonné en l’espace de quelques jours.
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— Si encore, tu pouvais tenir le coup, lui dis-je, mais tu sais bien que tu n’y arriveras pas.
Taran était asthmatique et les longues journées passées dans l’atmosphère confinée des cellules étaient un cauchemar pour cet homme qui se sentait s’affaiblir d’heure en heure
Il accepta donc tout ce qu’on exigea de lui, pleurait de honte en signant sa déclaration. Lui dont l’intégrité morale et matérielle était reconnue par tous, il affirmait avoir reçu des milliers de dollars sur des comptes tenus à Genève !