Mahmoud Bah Construire la Guinée après Sékou Touré
Dans ce chapitre de son livre Construire la Guinée après Sékou Touré, Mahmoud Bah nous décrit comment le regime du tyran Sékou Touré a monté de toutes pièces le complot des enseignants, partant de la dénonciation de leur syndicat de la decomposition de l’état guinéen en à peine 3 ans d’indépendance.
Les populations ont répondu massivement à la mobilisation pour « l’investissement humain ». Elles ont construit des écoles dans tous les gros villages avec des moyens de fortune. Mais très souvent, le Gouvernement n’a pas tenu sa promesse d’envoyer des enseignants pour les écoles construites. Beaucoup d’écoles tombent en ruines avant même d’avoir été utilisées…
Durant l’hivernage 1959, les paysans ont fourni un très grand effort et cultivé de très grands champs. En 1960, ces paysans se retrouveront avec leurs récoltes sur les bras, la commercialisation n’ayant pas été organisée. Aussi, les cultures en 1960 sont-elles quasi nulles, les paysans vivant sur leurs réserves du dabbunde (stockage) précédent. C’est l’origine de la crise de 1961.
Les Services Publics commencent à être bloqués, faute d’équipement minimum. Ignorant que ces Services sont avant tout consommateurs de biens matériels et intellectuels, qu’il faut leur fournir constamment des outils de travail et entretenir ces outils, le Gouvernement ou plutôt le Parti laisse la situation se dégrader dans l’Administration.
Chaque fois qu’un budget de fonctionnement est présenté au Président, il commence par diviser le montant par deux, trois, quatre…. puis il raye plusieurs paragraphes. C’est ainsi qu’il a toujours refusé que les Services Publics aient un budget d’entretien. Il dit que chaque travailleur doit entretenir lui-même son poste de travail, il ne se préoccupe pas des moyens, des outils d’entretien. Une machine hors d’usage, un mobilier détérioré, un bâtiment délabré et les utilisateurs n’ont plus qu’à croiser les bras!
Ainsi, les magnifiques immeubles du Centre de Conakry qui faisaient la fierté de la capitale se détériorent rapidement sous l’effet de la chaleur, de l’humidité, de l’usage et du temps.
Ainsi, les écoles secondaires cessent d’offrir un équipement scolaire minimum aux élèves. Les internats, les cantines scolaires seront d’ailleurs supprimés.
Ainsi, les hôpitaux commencent à manquer de tout, de même que les bureaux, les Travaux publics, les Eaux-et-Forêts, etc.
La population observe et subit en silence. L’expression est déjà baillonnée, mais les commentaires vont bon train dans les coulisses. De bouche à oreille, chacun transmet la pensée du Peuple. « Radio-Banane » multiplie ses émissions:
— «Les fous et les soûls se sont battus; les malins en ont profité. »
C’est l’expression en vogue dans la chronique populaire: allusion aux événements qui secouaient le pays depuis 1954. Entendez: les Foula et les Soussou se sont battus, les Malinké en ont profité.
L’enthousiasme, l’unanimité et la ferveur des derniers mois de 1958 font place de plus en plus à une profonde amertume.
C’est dans cette atmosphère de crise sociale et politique que le Syndicat des Enseignants, après avoir tenu officiellement son Congrès en avril 1961, adresse une lettre au Gouvernement à propos d’une revalorisation des salaires longtemps promise et récemment octroyée. La lettre constate, sous forme de mémorandum, l’insuffisance de la revalorisation et demande qu’elle soit reconsidérée, améliorée, tout en affirmant sa soumission à la décision que prendra le Parti. La lettre se termine par ces mots: « Le propre de la Nation, c’est d’être le Bien commun de tous ses fils. »
Le 15 novembre 1961, l’UNTG (Union Nationale des Travailleurs Guinéens) tient une conférence des cadres. Cette conférence souhaite trouver un accord de l’ensemble du mouvement syndical sur la revalorisation des salaires.
En réaction à cette situation, le Bureau Directeur du Syndicat des Enseignants est « accusé de haute trahison » et pris comme bouc émissaire. Ses membres sont traduits devant un Tribunal spécial, accusés de diffusion illégale de documents calomnieux et anti-Parti. Le Tribunal, présidé par Saifoulaye Diallo, condamne chaque enseignant à sept ans de prison ferme. Ainsi :
- Koumandian Keïta
- Ibrahim Kaba Bah
- Mamadou Traoré (Ray Autra)
- Djibril Tamsir Niane
- Mamadou Gangué Bah, etc.
sont immédiatement mis aux arrêts.
Le Syndicat des fonctionnaires proteste contre ces mesures. Plusieurs de ses Responsables sont arrêtés:
- Mountagha Baldé
- Hacimiou Baldé
- Kolon Koundou Diallo
- Kenda Diallo, etc.
En apprenant l’arrestation de leurs maîtres et professeurs, les élèves de Conakry se mettent en grève, bientôt suivis par ceux de l’intérieur. Les jeunes filles quittent leur collège situé en ville pour rejoindre les garçons au Lycée de Donka. Elles sont arrêtées par l’Armée au niveau de l’hôpital de Donka: matraques, gaz lacrymogènes, coups de crosse. Plusieurs sont blessées ou tombent évanouies. L’Armée, sous la direction de Fodéba Keita, ministre de la Défense et de la Sécurité 3, encercle le Lycée par un cortège de chars et de camions. Après trois jours de siège, on oblige les élèves à sortir un à un, les mains en l’air, pour embarquer dans les camions. Ils sont conduits au Camp Alfa Yaya, près de l’aéroport.
A l’intérieur du pays, les élèves se révoltent. Ils sont sauvagement matés et les écoles fermées. A Labé, la répression est particulièrement féroce. L’Armée quitte le Camp El Hadj Omar situé à 7 km de la ville et investit le centre de Labé. Des tirs de chars sont ordonnés. Un ouvrier peintre qui réalise une affiche pour le Parti à l’entrée de la permanence est tué net.
Décembre 1961: toutes les écoles de Guinée sont fermées, les élèves emprisonnés, torturés, avant d’être renvoyés chez leurs parents. Des meetings sont organisés où on oblige des parents à renier leurs enfants.
Sékou Touré, dans de violents discours, traite les enseignants et universitaires d’intellectuels tarés. Certains de ces enseignants, croyant naïvement que Sékou Touré était des leurs, n’avaient pas caché au Président leur penchant marxiste. Sékou en profite pour accuser l’URSS de vouloir exporter la Révolution en Guinée et crie:
« La Révolution ne s’exporte pas ! »
Il ordonne le départ de l’Ambassadeur soviétique après avoir demandé et obtenu des assurances du Gouvernement des USA, présidé alors par John F. Kennedy. Il jouera toujours ce jeu de bascule d’une puissance à une autre, d’une part pour se soustraire à ses engagements, d’autre part, pour être seul maître à bord de l’embarcation guinéenne.
Le riz manque dans le pays pour les raisons avancées plus haut. Le Président déclare carrément que ce sont les enseignants qui ont empêché la livraison de riz ! Il n’explique pas comment, mais ajoute que c’est pour inciter les populations à la révolte.
Le PDG tient un Conseil National à Labé. Dans un ton encore plus violent qu’à Conakry, le Président menace d’extermination ceux qu’il appelle « les féodaux, les ennemis du Parti ». Il promet « d’étouffer dans l’œuf tous les comploteurs ». Car pour lui, c’est là un nouveau complot ourdi par les enseignants.
Le comploteur en fait, est toujours lui. Il va enfoncer le pays dans un bain de terreur psychopolitique et physique, supprimer les droits et libertés qui subsistent.
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A partir de 1961, les Syndicats sont dirigés par le Parti: le Président de la CNTG est nommé par le Parti; les activités syndicales doivent « suivre la ligne du Parti ».
Qui aurait cru, en novembre 1953, alors que le Syndicat Guinéen était en grève, que Sékou Touré domestiquerait un jour ce même Syndicat et lui ôterait toute raison d’exister?
Le fait est encore une fois que, en matière de droits et libertés de l’individu, le régime colonial a été plus tolérant que le régime du PDG-Sékou Touré.
A l’extérieur du Pays, les étudiants guinéens manifestent vivement contre les mesures répressives visant l’Ecole guinéenne. Bien qu’étant intégrés dans le Mouvement JRDA, les étudiants n’hésitent pas à adresser des télégrammes au Gouvernement Guinéen pour condamner ses actes et exiger la libération des détenus et la réouverture des écoles.
En France, les étudiants guinéens alertent l’opinion sur les événements en Guinée par de nombreux tracts et réunions d’information. Le Gouvernement exige que les étudiants reviennent sur leurs déclarations. L’Ambassadeur Tibou Tounkara envoie un télégramme à chaque étudiant boursier. Les étudiants ne se laissent pas intimider. Devant le refus de ceux-ci, le Gouvernement coupe leur bourse. Il ordonne à l’Ambassadeur de rapatrier en Guinée tous les étudiants pour « explication et réintégration. » La guerre est ouverte entre le PDG et le Mouvement étudiant.
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A Dakar, l’Ambassadeur de Guinée décide de passer aux actes et entreprend de ramener de force les étudiants en Guinée. C’est l’époque où Siradiou Diallo, menacé d’enlèvement et de liquidation par les agents de Sékou Touré doit quitter l’Université de Dakar pour venir en France.
Les étudiants qui sont dans les pays de l’Est (Allemagne de l’Est, Pologne, URSS, etc.) sont ramenés manu militari à Conakry pour « explication ».
Après ce coup contre les enseignants et les élèves guinéens, l’insécurité devient plus inquiétante dans le pays. C’est le début de l’exode massif des élèves et des cadres intellectuels. Le cadre et les conditions de vie deviennent de plus en plus insupportables.
Les cadres progressistes étrangers venus en masse au lendemain du Référendum pour prêter main-forte à un Gouvernement qu’ils croyaient soucieux du développement social et économique du pays, s’empressent de repartir. Nombre d’entre eux sont ouvertement menacés. L’un deux, Yves Bénot 5 écrira: « Sékou Touré, c’est Staline moins Manitogorsk ». Un seul restera qui s’est rangé du côté de Sékou Touré, qui en a épousé les méthodes et qui le servira inconditionnellement jusqu’à la fin du régime: Louis Béhanzin, originaire du Bénin.